Après Horreurs nazies de Sergio Garrone, les éditions Artus nous convient une fois de plus à explorer les territoires les plus sulfureux du cinéma d’exploitation en mettant à l’honneur deux films relevant de la « nazisploitation ». Ce « sous sous-genre » peut être qualifié de surgeon décadent de certaines catégories « classiques » du cinéma bis : le « WIP film » (pour « women in prison ») ou la « nunsploitation » (les films se déroulant au cœur de couvents de nonnes). On y retrouve effectivement la même imagerie érotique teintée de violence (séquestration dans un lieu clos, geôliers cruels et sadiques, crêpage de chignons entre recluses…) mais dans le cadre du troisième Reich et des camps de concentration. Cet arrière-plan plus folklorique qu’historique n’est pas pour rien dans le caractère plutôt crapuleux de ces « svastikas films » qui naquirent d’ailleurs dans le sillage de films d’auteurs renommés : Les Damnés de Visconti, Portier de nuit de Liliana Cavani et surtout le Salon Kitty de Tinto Brass.

L’un des premiers films relevant du genre est pourtant antérieur à ces titres puisqu’il date de 1969 et s’intitule Love camp 7. Réalisé par Lee Frost, l’un des ténors du cinéma d’exploitation fauché, ce film annonce le succès d’Ilsa, la louve des SS de Don Edmonds puis la déferlante de la « nazisploitation » dont la durée sera très limitée dans le temps (en gros, de 1976 à 1978). Si les français et la firme Eurociné en particulier prendront le train en marche avec des films comme Elsa Fräulein SS de Patrice Rhomm ou les films d’Alain Payet (Nathalie dans l’enfer nazi et Train spécial pour Hitler), ce sont bien évidemment les italiens qui vont signer les fleurons du genre.

holocaust nazi

Passons rapidement sur Holocauste nazi qui passe pour l’un des plus mauvais films de la « nazisploitation » chez les connaisseurs. Signé Luigi Batzella, sympathique tâcheron à qui l’on doit quelques westerns spaghettis (Pour Django, les salauds ont un prix) et un honnête film d’horreur gothique (Les Vierges de la pleine lune), le film s’avère complètement bricolé et fou. Difficile de juger l’œuvre à l’aune de nos critères habituels puisque le cinéaste recycle une bonne partie d’un de ses longs-métrages précédents, Quand explose la dernière grenade, un film de guerre mettant en scène un groupe de résistants luttant contre les allemands. A ces passages plutôt obscurs comportant leur lot de trahisons, de cas de conscience (puisque les actes de résistance sont suivis de représailles du côté des civils) et de sacrifices mélodramatiques, Batzella a adjoint les traditionnelles scènes racoleuses des exactions nazies, sans d’ailleurs vraiment se soucier de les raccorder harmonieusement avec celles tournées quelques années auparavant. Et là, le réalisateur n’y va pas avec le dos de la cuillère en nous présentant toutes les horreurs imaginables : électrodes placées dans le vagin d’une prisonnière, une autre offerte aux rats, bébé lancé dans les airs et fusillé, viols, tortures, meurtres (notamment un avec l’intromission d’un canon de révolver dans le sexe d’une détenue)… Mais le clou du spectacle reste sans doute cette « bête en chaleur » incarnée par Salvatore Baccaro (le titre original du film étant La bestia in calore), sorte de créature monstrueuse atteinte de priapisme galopant, créée par une cruelle doctoresse afin de faire avouer les plus récalcitrantes de ses prisonnières. Pour faire parler les donzelles, l’effroyable matonne les livre au monstre qui les viole jusqu’au dernier soupir ! Dans l’une des scènes les plus crues du film, la créature arrache brutalement les poils pubiens d’une de ses victimes tandis que la caméra de Batzella zoome ostensiblement sur l’entre-jambe plein de bolognaise de la malheureuse. Avis aux amateurs !

D’aucuns trouveront ces séquences particulièrement répugnantes mais elles relèvent, en fait, d’une longue tradition venue du Grand-Guignol et c’est à cette aune qu’il faut les juger. Et ce sont d’ailleurs ces scènes « choc » qui apportent un peu de piment à ce long-métrage complètement foutraque et dégingandé.

la dernière orgie

Plus soigné et solide d’un point de vue cinématographique, La Dernière orgie du troisième Reich de Cesare Canevari rebutera également le spectateur non averti dans la mesure où il s’agit sans doute d’une des œuvres les plus outrancières de la « nazisploitation ». Le réalisateur, surtout connu pour son western Matalo ! et pour le film érotique Moi Emmanuelle, se veut pourtant plus ambitieux et s’inscrit d’emblée dans le sillage du Portier de nuit de Liliana Cavani. Le film se situe dans l’immédiat après-guerre alors qu’un ancien commandant de camp de concentration vient d’être gracié par le tribunal et retrouve une ancienne détenue juive, Lise, dont il s’est entiché autrefois.

Construit sous la forme de flash-back, le film entend explorer les rapports troubles entre une victime et son bourreau. Mais encore une fois, ce thème est surtout un prétexte pour aller le plus loin possible dans l’horreur. Même si le film n’est pas forcément très sanglant visuellement, il se complait dans une atmosphère malsaine jusqu’au malaise. Le spectateur aura droit à de nombreuses scènes de tortures, de viols et de meurtres avec des prisonnières flagellées, suspendues par les pieds, jetées dans de la chaux vive, livrées aux rats. Le clou du spectacle étant sans doute cet abominable banquet où les dignitaires nazis se repaissent de viande humaine (juive) avant d’asperger une femme de cognac pour la flamber !

Pour les cinéphiles curieux, ce film et tous ceux relevant de la « nazisploitation » sont intéressants pour constater à quel point le « bis » italien a eu à cœur de repousser les limites de la représentation et à surenchérir dans l’innommable. Paradoxalement, on peut considérer le chef-d’œuvre de Pasolini, Salo, comme l’une des œuvres matricielles de ces œuvres fascinées par la violence et le décorum nazi. Lorsqu’on voit dans La Dernière orgie du IIIème Reich une prisonnière contrainte à se badigeonner d’excréments avant de les manger, on pense au traumatisant « cercle de la merde » du film de Pasolini. Et d’une certaine manière, le film de Canevari fait également le lien avec des films récents comme les Hostel d’Eli Roth qui recycle à sa façon l’imagerie de la « nazisploitation » (songeons à Hostel 2 et à son bourreau cannibale, à sa femme suspendue par les pieds avant d’être éventrée).

On pourra juger inadmissible cette manière d’utiliser les pages les plus sombres de l’Histoire du 20ème siècle pour satisfaire les plus vils instincts du spectateur (l’érotisme glauque, la violence racoleuse). Mais si l’on prend un peu de distance, on pourra trouver assez intéressant cette évolution d’un certain art populaire vers les formes les plus extrêmes. Le film de Canevari n’est en aucun cas à prendre comme un documentaire « historique » mais comme une sorte de transposition cinématographique d’une certaine littérature de gare portée sur l’outrance et le Grand-Guignol.

Même si La Dernière orgie du IIIe Reich a parfois des allures de roman-photo mélodramatique (citons cette hallucinante scène d’amour où Lise, toujours menacée de mort après avoir subi les pires sévices, s’envoie en l’air avec un beau médecin conquis tandis que résonne une chanson sirupeuse), la mise en scène et la photographie s’avèrent plutôt soignées et, chose rare dans ce genre de films, l’interprétation de la belle Daniela Poggi est plutôt convaincante.

Répétons-le, ces deux films s’adressent avant tout, selon la formule consacrée, à un public averti. Difficile, en effet, de juger sur des critères « normaux » ces films aberrants au premier sens du terme (« qui s’éloigne de ce que l’on appelle le bon sens, les règles »).

Mais pour les plus curieux, la « nazisploitation » reste une rencontre intéressante avec un art populaire, sans doute fruste, racoleur, malsain mais capable de repousser les limites de la représentation et de mettre à mal la notion même de bon et mauvais goût…

la dernière orgie 2

Holocauste nazi (1977) de Luigi Batzella

La Dernière orgie du IIIe Reich (1977) de Cesare Canevari

Éditions Artus Films

 

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