A quoi tient donc cette capacité de Burnt Offerings à générer une telle angoisse encore aujourd’hui ? En général il est préférable de bannir le « je » lorsque l’on commence une chronique. Et pourtant il me faut commencer par l’empreinte que Burnt Offerings a laissé dans mon rapport à la peur au cinéma. Je pourrais en citer quelques autres, comme Don’t look Now de Nicolas Roeg et son estomaquant final. Toujours est-il que le film de Dan Curtis est bel et bien l’une des œuvres fantastiques qui m’a le plus terrifié et qui continue à chaque vision de provoquer de réels frissons. Sans doute parce qu’il parle à des fractions intimes de notre inconscient. Je ne suis pas le seul à avoir eu le corps traversé d’un courant glacé en voyant apparaître ce majordome et son sourire glaçant, celui qui terrifia le héros gamin et revient hanter régulièrement ses nuits avant que le cauchemar ne devienne réalité. Car cette relation intime aux frayeurs qui naît dans l’enfance, se modifie mais perdure dans l’âge adulte est aussi la notre. Ces failles qui ne nous abandonnent pas, c’est exactement ce que Burnt Offerings capte à merveille, comme si la destruction progressive de ses personnages, profitait de leurs peurs enfouies, de leurs fissures, pour les ouvrir à leur propre vertige. Impossible donc d’oublier les expressions terribles de Ben ( Oliver Reed) de Tante Elizabeth (Bette Davis) ou David (Lee Montgomery). Pour Marian (Karen Black), c’est tout autre chose…

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© Rimini Editions

Pourtant, quel point de départ plus simple que celui de Burnt Offerings ? Pour un loyer dérisoire Ben, Marian et leur fils David viennent passer l’été dans une maison de rêve, qui ressemble à ces vieilles demeures du temps de l’esclavage. La seule règle : aller chaque jour nourrir la mère des propriétaires, qui ne descend jamais. Marian, dès son arrivée, semble particulièrement à l’aise, comme si elle y avait déjà habité.

Burnt Offerings distille l’art de l’interrogation, du non-dit, montant en gradation vers l’inéluctable sans qu’on y prenne garde. Certes dès la première séquence une musique anxiogène provoque l’inquiétude autour d’un événement insignifiant : l’arrivée de la famille vers une imposante maison de type colonial, qui sera le théâtre d’étranges événements. Curtis installe une ambiance un peu banale, presque téléfilmesque, la manière de voir défiler le générique rappelant presque celle de séries américaines de l’époque à la Dallas (Curtis est essentiellement un réalisateur télé). Rapidement les éléments de dérèglement, de contamination troublent le réel, à commencer par ces teintes ouatées qui plus qu’imposer une esthétique floutée et diaphane, donne la sensation d’un brouillard permanent, d’une buée posée sur le regard. Burnt Offerings cultive cette idée de voile appliqué devant nos yeux où le spectacle qui nous est donné a la teneur d’une normalité qui se déforme lentement jusqu’à la monstruosité. La terreur s’installe insidieusement, privilégiant les détails qui clochent, les incidents inexpliqués et autres accrocs au tissu du rationnel (des fleurs fanées qui refleurissent soudainement, une mystérieuse fuite de gaz ) qui aspirent dans l’inquiétante étrangeté sans nous plonger dans l’impossible.

Si Burnt Offerings est un grand film de maison hantée, c’est qu’il n’en est pas un. Le monstre terrifiant, invisible, l’entité malfaisante, tel un dieu païen, est bien la maison elle-même qui vit, respire, avale ses habitants, les vampirise. Les indices sont en place d’emblée : photos à de multiples époques de la maison accrochés aux murs, comme un cycle toujours recommencé. Toujours intacte au fil des siècles. Les questions demeurent. Qui l’a construite ? Et si elle avait toujours existé ? Magnifique sensation d’un temps qui passe sur les êtres, les fait disparaître, tandis qu’éclate l’éternité du milieu naturel… et des choses. Les éléments ralliés d’habitude à l’homme telles les constructions ou les objets affirment ici leur immanence et leur dimension occulte. Curieusement la maison apparaît dans sa vie propre tel un végétal, en osmose avec les éléments qui la protège, la défende. Les arbres, les plantes et les tempêtes servent de muraille à ce lieu de culte… et de sacrifice.

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© Rimini Editions

Comme pour mieux déclarer sa filiation avec The Haunting de Robert Wise, Burnt Offerings adopte quasiment le point de vue de la maison observant les pantins qu’elle a piégés. Curtis établit son angoisse autour du comportement de personnages qu’on l’on observe lentement glisser, perturbés, affolés, paniqués… ou modifiés, assaillis par des pulsions inexplicables. Il étudie la lente érosion des sentiments. Le classicisme de sa mise en scène sied à merveille à cette fissure de la normalité jusqu’à la tragédie : l’implosion d’une famille idéale, heureuse. A ce titre, on a rarement vu autant de finesse psychologique dans le cinéma de genre. La fragilité humaine explose. Lors d’une des séquences les plus perturbantes du film, Ben se baignera avec son fils, et s’amusera à lui faire boire la tasse, jusqu’à le faire de manière effrénée et monstrueuse en tentant de le noyer. En cette sensation d’inéluctable, de claustrophobie croissante, les issues s’évanouissent une à une. C’est l’inexplicable qui conduit à la démence. Quoi de plus terrible que cette existence donnant l’illusion que tout continue alors que tout est déréglé ?

C’est un peu la peur de nous-mêmes, notre peur de sombrer, qu’exploite divinement Dan Curtis, cette hantise dont la maison se sert pour détruire et avaler ses hôtes.  Elle se sert de leurs peurs, met en évidences les failles endormies, révèlent leur subconscient pour les annihiler. Le décor de Burnt Offerings se mue alors en splendide théâtre de marionnettes. Toute la force de Burnt Offerings tient enfin à ce qui fait tant défaut aujourd’hui dans le cinéma de genre, un refus absolu du jump scare, instaurer un climat de l’abîme dans lequel chacun peut tomber et le culte de la zone d’ombre.

La copie proposée par Rimini provient sans doute du même excellent master que celui proposé par Arrow en 2016. Elle retranscrit parfaitement la texture trouble de la photo de la photo de Jacques R. Marquette, et nous immerge dans cette atmosphère qui vire de la clarté aux ténèbres. La piste sonore  anglaise (mono d’origine) a quant à elle un très beau relief, parfaite lorsque l’angoisse monte. La vf, largement en dessous, fera surtout office de curiosité pour se retrouver au temps où nous découvrions le film en VHS. Au sein du somptueux digipack, on lira avec attention le livret de Marc Toullec, très informatif, revenant sur la genèse, la production, le tournage du film. Concernant les bonus on a perdu les deux commentaires audios d’Arrow dont celui de Dan Curtis, Karen Black and et du co-scénariste William F. Nolan. Traumatisés par l’abominable rictus du majordome, nous retrouvons avec grand plaisir l’acteur Anthony James s’exprimer sur sa carrière, de Dans la chaleur de la nuit de Jewison à Unforgiven d’Eastwood. Il évoque ses souvenirs de tournage, et combien ce fut difficile pour lui de n’être autre chose qu’un visage, alors qu’il aurait aimé laissé libre court à ses talents d’acteur. Intéressant aussi de l’entendre dire que même en jouant les méchants, il essayait à chaque fois de leur trouver une singularité spécifique et de leur offrir un peu plus de complexité. Lee Montgomery revient quant à lui avec bonheur  sur ses souvenirs de tournage qui lui ont laissé des marques très fortes dans les rapports qu’il entretint avec l’équipe. Il est notamment très fier de présenter le scénario bariolé de dédicaces des acteurs et notamment celle de Karen Black qui fut comme une seconde mère pour lui et qui lui proposa de l’adopter si nécessaire ! L’intervention de William F.Nolan nous éclaire sur l’adaptation du roman de Robert Marasco (traduit en français sous le titre Notre vénérée chérie). Il évoque les différences entre le film et le matériau d’origine et toutes les idées qu’il apporta, notamment autour du personnage du majordome… et on l’en remercie, car grâce à lui, Burnt offerings n’a pas fini de nous hanter.

 

Burnt offerings (USA, 1976) de Dan Curtis, avec Oliver Reed, Karen Black, Bette Davis, Lee Montgomery . Combo Blu-Ray /DVD édité par Rimini Editions

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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