L’éditeur Tamasa poursuit son exploration des comédies anglaises puisées dans le vaste catalogue de Studio Canal. Ce sont trois nouveaux titres qui sortent aujourd’hui en édition DVD : soit dans l’ordre chronologique, les irrésistibles « Hue and Cry » (À cor et à cri) de Charles Crichton (1947) et « The Happiest days of Your Life » (Cette sacrée jeunesse) de Frank Launder (1950) ; suivis par le très satirique « Heavens Above ! » (Le Ciel vous Regarde !) de John et Roy Boulting, un film plus tardif (1963), qui bénéficie de la présence de l’acteur Peter Sellers dans le rôle principal.

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« Hue and Cry » (1947) de Charles Crichton

Ces films sont un témoignage précieux de cette période « florissante » du cinéma anglais de l’après seconde guerre, initiée par des producteurs-entrepreneurs ambitieux (J. Arthur Rank, Alexander Korda, Michael Balcon, Frank Launder et Sydney Gilliat…) et des associations talentueuses de réalisateur et scénariste (Powell/Pressburger pour l’une des plus fameuses). C’est un cinéma « grand public », très écrit et scénarisé, où cohabitent pochades comiques sans prétention et amples ambitions artistiques (les productions d’Alexander Korda). Sans prétendre à une quelconque unité (de style, de studio, de production ou de personnes), ce cinéma s’ancre dans une diversité de genres : la comédie de mœurs, la satire, le film noir expressionniste, parfois le fantastique, ou les brasse avec éclectisme, quand il ne les combine pas au sein d’un même film. Il est notable pour son ironie malicieuse et ses allusions irrévérencieuses : un burlesque de situation qui brocarde les institutions et les conservatismes en s’amusant des stéréotypes anglais. C’est aussi un cinéma d’acteurs et actrices : Peter Sellers que l’on a évoqué, mais également Alastair Sim, Margaret Rutherford, et Alec Guiness (Tamasa a édité récemment trois comédies où l’acteur figure en vedette), pour ne citer qu’eux.

Le typage culturel de ce cinéma, souvent célébré par une formule convenue comme une marque de fabrique (les humoristiques « made in UK » et autres « typiquement british »), tient à ce mélange d’éducation très guindée et d’un naturel très excentrique, qui forge le stéréotype anglais, sa représentation comique et populaire ; une image d’Épinal comme on le dirait par ici. Cinéma d’évasion, il devait distraire les masses de la réalité accablante de l’après-guerre. Encore peu documenté en France (à l’exception des travaux de Philippe Pilard notamment), il a connu un sort critique un peu similaire à celui de la production française des années 30 et 40. Comme elle, il fût dédaigné au nom d’une politique des auteurs-réalisateurs trop partisane, car il était une « industrie » de scénaristes et d’acteurs à vocation populaire, auquel on préférait les francs tireurs des années 60, plus immédiatement « engagés » dans la réalité sociale (le « Free Cinema » et le « télé-cinéma » semi-documentaire de Ken Loach, Mike Leigh, Alan Clarke pour la BBC ou Channel Four). On en redécouvre sur le tard les qualités, aidés par les restaurations et l’édition DVD de ses représentants les plus reconnus, David Lean (à ses débuts, avant les superproductions internationales), Powell et Pressburger, Alexander Mackendrick, les fresques de Korda, ou les comédies des studios Ealing.

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Alaistair Sim dans « The Happiest Days of Your Life »(1950) de Frank Launder

Parler de « comédies anglaises » ne signifie pas pour autant une production unifiée ni un « genre » exclusif. Les trois films édités par Tamasa sont une sélection éclectique. « The Happiest Days of Your Life » se rapproche le plus des comédies effrénées à l’américaine (la « screwball comedy », alliage de burlesque et de loufoquerie), tandis que « Hue and Cry » est un dosage singulier d’aventures enfantines et de film policier expressionniste sur fond documentaire (on y voit encore les décombres à perte de vue et les ruines occasionnées par les bombardements). Le plus tardif, « Heavens Above ! », s’inscrit quant à lui, plus directement dans le genre satirique, dans une sorte de mise dos à dos collective, miséreux, fortunés, profiteurs des deux bords, bonimenteurs et église, avec entre eux un bon samaritain ingénu (un aumônier plein de bonne volonté), qui occasionne bien plus de mal que de réparation, et se laisse berner à tout va.

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Margaret Rutherford dans « The Happiest Days of Your Life »(1950) de Frank Launder

Le générique de « The Happiest Days of Your Life » (1950) de Frank Lauder, s’ouvre sur les dessins de Ronald Searle (ses illustrations sont pastichées dans une veine plus douce par Betty Deléon, pour composer tous les visuels de la collection « My british comedies »). Suite au bombardement de leur établissement, les élèves de St Swithin, une école pour filles, sont transférées en dernière minute, le jour même de la rentrée scolaire, dans un autre établissement, à Nutbourne. Non seulement le proviseur (Alastair Sim) n’a pas été informé de ce doublement impromptu du nombre d’élèves, d’où des problèmes insolubles de logistique, mais de surcroît, son établissement est une école… pour garçons ! Cette erreur administrative, l’école mixte n’existant pas encore, occasionne outre la pagaille, une guerre des sexes entre les deux proviseurs et équipes pédagogiques (certains préférant toutefois la paix amoureuse au conflit). Confronté à une double inspection des locaux, ils devront sauver les apparences en intervertissant professeurs et élèves, filles et garçons, et faire en sorte, au gré d’un minutage diabolique des parcours, que les deux groupes ne se croisent jamais… « The Happiest Days of Your Life », même s’il est excessivement écrit, est un petit chef d’œuvre de mécanique scénaristique sur le mode de l’avalanche de catastrophes burlesques, avec pour fond l’incurie de l’administration et les préjugés d’un sexe envers l’autre, confortés par une éducation très vieux jeu.

« Hue and Cry » (1947) de Charles Crichton

« Hue and Cry » (1947) voit Joe, un adolescent dégourdi, découvrir avec stupéfaction que les récits criminels racontés par son illustré « Trump », se reproduisent dans la réalité. Effet d’une imagination exaltée ou contrebande « à ciel ouvert » ? Avec ses jeunes compagnons d’infortune (les enfants de condition modeste en uniforme scolaire, qui errent costumés comme de petits animaux dans les décombres des bombardements, et les squelettes carbonisés des immeubles devenus leurs seuls terrains de jeu), Joe entreprend de démasquer le cerveau de l’organisation.

On aurait vite fait de minorer l’intrigue, film d’aventures espiègles pour public enfantin, si ce n’était son humour et son arrière fond documentaire, audacieusement mêlé au film noir expressionniste. La ville toute entière, des artères populeuses de Covent Garden jusqu’aux champs de ruines, en passant par ses faubourgs ouvriers et ses ramifications intestinales (les égouts), se retourne comme un monstre fantastique, un effroi devenu opportunité imaginaire ; soit un appel à transcender la dure réalité des temps par l’humour et la fantaisie. C’est en dernier lieu la magnifique photographie noir et blanc de Douglas Slocombe qui fait de ce film, un nouveau (petit ?) chef d’œuvre de divertissement.

Mont Heavens

« Heavens Above ! » (1963) de John et Roy Boulting

« Heaven’s Above ! » (1963) de John et Roy Boulting, est le moins tonitruant des trois. Son humour est plus pinçant, désabusé, et pour tout dire contenu. L’Angleterre qui est décrite ici n’est plus celle en clair-obscur des années de reconstruction, mais de la consommation de masse des années 60 qui contamine même la campagne anglaise : anxiolytiques et tonifiants, miches de pain, réclames et aides sociales à gogo, et même, un sur-commerce religieux, avec davantage de confessions presque, que d’habitants. Cette fois-ci, c’est Peter Sellers/Joe Smallwood en aumônier de prison, affecté au gré d’une nouvelle confusion avec un homonyme, qui va semer la confusion à Orbiton Parva, une petite bourgade dominée par un complexe pharmaceutique. Ce dernier prodigue à la population son remède miracle trois en un, le « tranquilax », un ersatz de trinité chimique, purgatif, antidépresseur, et stimulant à la fois ; ce produit est aussi le « nerf » de l’économie locale, le premier employeur. En prenant parti pour les plus pauvres, Smallwood va opérer une véritable révolution, contre-productive à bien égards, car les campements et distributions qu’il favorise, vont engendrer une désaffection des investisseurs, et de surcroît, la ruine économique de la ville, changée en un système d’assistanat et d’abus massif. Le révérend Smallwood, saint naïf et idéaliste, aveuglé par une bonté qui n’existe plus en dehors de lui, n’aura plus qu’à s’exiler aux confins de l’univers pour échapper à une exploitation généralisée de tous et de chacun (seule « religion » qui vaille), et surtout, au risque de plus en plus avéré d’un lynchage collectif. Au passage, les réalisateurs ne se privent pas de faire un clin d’œil savoureux à « Lolita » de Kubrick, tourné un an plus tôt. Le film, un énorme exercice satirique, est surtout mémorable pour la performance de Peter Sellers, d’une candeur aigre-douce, sans exubérance.

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« Heavens Above ! » (1963) de John et Roy Boulting

L’édition DVD de Tamasa, bénéficie en outre d’un livret d’accompagnement pour chaque film écrit par Charlotte Garson, précieux pour la justesse et le ton enjoué de ses analyses, mais aussi pour sa documentation. La lecture permet de bien saisir la spécificité de cette production et plus encore, de tout ce qui s’y joue en sous-texte, allusions historiques et commentaire critique. Au chapitre des doléances, on notera ça et là, des défauts d’images persistants malgré l’indication des masters restaurés (poussières, points blancs…). Les noirs de « Hue and cry », film très expressionniste dans sa facture, souffrent un peu du transfert numérique. Mais l’essentiel est là : les films, les livrets, et une image qui reste tout de même correcte dans l’ensemble.

« Hue and Cry » (À cor et à cri) de Charles Crichton (1947)

« The Happiest days of Your Life » (Cette sacrée jeunesse) de Frank Launder (1950)

« Heavens Above ! » (Le Ciel vous Regarde !) de John et Roy Boulting (1963)

3 films édités en DVDs chez Tamasa

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A propos de William LURSON

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