Entretien avec Dario Argento à l’occasion de la sortie de Dracula



A l’occasion de la sortie de son Dracula, Dario Argento nous a accordé une interview. Le Dracula d’Argento est une belle immersion dans le cinéma populaire italien des années 70s, un voyage au coeur de l’épouvante gothique latine dans laquelle la 3D est employée de manière poétique et ludique. La singularité du film tient justement à cette jonction entre les techniques numériques employées et un regard sur un cinéma d’antant révolu… pas tout à fait, donc.

Pouvez-vous me parler des origines du projet Dracula ?
C’est un vieux projet. Ça faisait longtemps que je voulais faire mon Dracula. J’ai toujours été fasciné par le personnage, mais j’attendais de trouver l’Idée qui le rendrait différent des autres films. Puis j’ai découvert la nouvelle technologie 3D, en particulier avec les reflex et les caméras Arri Alexan qui offraient la possibilité d’une 3D magnifique avec une profondeur incroyable. A partir de là, j’ai donc commencé à imaginer une nouvelle manière de voir le personnage de Dracula et ça m’a fasciné. Je me souviens encore de cette première prise de vue avec cette profondeur, cette distance ! J’étais certain que ce serait une nouvelle expérience très importante pour moi.

Vous vous êtes amusé avec la 3D ?
Je me suis beaucoup amusé, c’était enthousiasmant de voir pour la première fois mes images avec cette distance, les personnages plongés dans cette profondeur, comme un spectateur qui se projette dans l’écran. C’était magique.

Je trouve que votre approche du cinéma dans Dracula ressemble à un retour aux sources du cinéma. Avec son approche picturale, ses mate painting, elle a quelque chose de très enfantin ? Elle me rappelle Coppola semblant redécouvrir le plaisir des débuts avec Twixt, ou à Scorsese, Pourrait-on qualifier Dracula de film naïf ?
Oui, je pense que c’est un film naïf. Hugo Cabret m’a beaucoup surpris car Scorsese y emploie avec beaucoup d’intelligence la nouvelle technologie. Ça m’a beaucoup donné envie. Il n’y a pas longtemps, il y avait, lors dans une convention aux Etats-Unis, un cycle des premiers films tournés en 3D. C’est là que j’ai découvert pour la première fois de ma vie Dial M for Murder de Hitchcock et ce fut une découverte enthousiasmante. Le grand Hitchcock a utilisé la 3D, pas seulement pour étonner les spectateurs, mais pour les plonger littéralement dans les trois dimensions. Dans un film quasiment entièrement tourné dans une chambre, il avait déjà exploré toutes les possibilités de la 3D. C’est un film vraiment génial.

Justement, la première fois que j’ai vu Dracula en 3D, j’ai pensé à ce jeu sur les perspectives de Dial M for Murder. Dans la séquence avec les animaux empaillés avec ce jeu sur les profondeurs ou encore celle de l’arrivée du train, il y a ce petit quelque chose de magique.
Le côté enfantin dont vous parliez, il est là, oui.

Etes-vous un fan du livre de Bram Stoker ?
Je suis plus un fan du personnage que du livre de Stoker qui constitue plus une étape dans le mythe de Dracula. J’étais intéressé par le livre de Stoker, mais je l’ai trahi, beaucoup (rires). Je voulais injecter du sentimentalisme, de romantisme au personnage. J’ai toujours gardé à l’esprit l’idée de transformation de Dracula en toutes ces créatures étranges. Si Dracula se transforme en chauve-souris ou en loup, en quelles autres bêtes pouvait-il aussi se transformer ? C’est dans cette optique que j’ai choisi de montrer Dracula métamorphosé en d’autres animaux : la mouche, la mante religieuse, les rats… Toutes ces étranges formes animales, c’était mon idée.

Dracula a été beaucoup adapté qu’il s’agisse de la Hammer, de Coppola, de Murnau. On trouve des Dracula asiatiques, mexicains… Qu’espériez-vous apporter de plus avec le Dracula d’Argento ?
Je crois que j’en ai fait un personnage plus romantique, à la fois terrible et romantique. Il tombe amoureux de cette fille, comme un adolescent. Et évidemment, je me suis quand même un peu inspiré des films de la Hammer avec Christopher Lee, qui sont à mes yeux de grands films.

C’est la première fois que vous rendez autant hommage aux maitres du fantastique italien comme Bava, Freda. Etait-ce que c’était conscient ?
C’est quelque chose d’inconscient. Car je ne pensais qu’à mon film. Mais toute notre culture cinématographique ressort, obligatoirement. Je n’avais pas donc pensé consciemment à ces références.

Comment s’est imposé le choix des acteurs ?
Pour Dracula, le choix de Thomas Kretschmann s’est imposé immédiatement. C’est un grand ami. Nous avons fait ensemble Le Syndrome de Stendhal, puis, j’ai suivi sa carrière à Hollywood. Quand j’ai eu l’idée de faire ce film, j’ai vraiment pensé à lui, comme LE personnage exact. Pareil pour Rutger Hauer, pour moi c’est un monument du cinéma : LA légende. C’était vraiment une belle expérience de travailler ensemble.

Vous retrouvez Luciano Tovoli à la photo ? Quelles directives lui avez-vous donné ? Quelle ambiance picturale vouliez-vous ?
Tovoli qui m’avait donné beaucoup de satisfaction avec Suspiria et Ténèbres et je voulais un peu retourner à des atmosphères à la Suspiria. Je désirais un film avec beaucoup de couleurs. J’ai donc pensé retravailler avec lui. C’était intéressant aussi de se lancer ensemble sur la 3D pour redéfinir les couleurs du cinéma.

Est-ce toujours aussi difficile de monter des films en Italie ?
C’est très difficile en ce moment, un grand problème. Mais heureusement, j’ai aussi des projets à l’extérieur, aux Etats-Unis, pour les prochaines années peut-être.

N’êtes-vous pas découragé ?
Ah non, j’ai envie de tourner. C’est mon métier. C’est mon travail. C’est mon amour.

C’est notre plaisir de spectateur également…
Merci

Beaucoup de fans de la première heure regrette toujours que vous ne fassiez pas toujours les mêmes films. Par exemple pour Mother of Tears, ils regrettent de ne pas retrouver l’esthétique colorée de vos films précédents. Que leur répondriez-vous ?
Je leur répondrais que l’on change. Notre histoire change, le monde change, alors nos films changent. De nouvelles situations donnent de nouvelles histoires, de nouvelles visions, de nouveaux personnages. Le lieu où l’on va tourner influe également beaucoup sur l’univers d’un film. Le giallo est une chose que j’ai presque inventé, c’est une manière de raconter le cinéma que j’aime. Et peut-être que je vais en refaire un bientôt.

Votre prochain projet sera un giallo ?
J’ai dans l’idée de faire un giallo, mais ça ne sera peut-être pas mon prochain film.

Il me semble que vos préoccupations sont différentes. J’ai l’impression que vous vous intéressez plus à la réalité mais que vous portez un regard désabusé sur elle. Croyez-vous encore en la magie ?
Quelque fois, je pense que la magie existe dans le monde non pas comme une vérité, mais comme une expression, une question culturelle. C’est quelque chose qui m’intéresse encore beaucoup, pas pour le moment, mais je compte bien y retourner.

Justement quelle est la différence entre le Argento de Suspiria et celui d’aujourd’hui ?
C’est juste un Argento avec des histoires et des projets très différents. Suspiria était une histoire au féminin, avec des protagonistes féminins, une histoire d’une force et d’une violence incroyables. Dracula est une autre histoire, plus romantique. Mais raconter une histoire comme dans Suspiria est quelque chose qui m’est cher et familier, j’y reviendrai probablement.

Mais Dracula aussi a quelque chose de très féminin. Le personnage de Mina en particulier est très émouvant, presque aussi important que celui de Dracula.
Je voulais une Mina très jeune, comme une petite fille, un peu comme dans Suspiria avec ses très jeunes héroïnes. C’est pourquoi j’ai choisi Marta Gastini, une actrice très jeune (elle est née en 1989) pour jouer ce personnage. J’ai beaucoup aimé travailler avec elle.

Vous vous considérez comme un cinéaste de genre ou pas ?
Vous savez, je me considère comme un cinéaste tout court. Je fais des films très différents l’un de l’autre. Des giallos, des thrillers, des films d’horreur.

Alors justement, je pensais à un film qui n’est pas le plus connu, Cinq jours sous la révolution. Je me demandais si vous vous voudriez justement changer radicalement de style et faire quelque chose de totalement différent, sans épouvante.
Pour le moment, non, mais j’ai revu récemment le film à une rétrospective et je l’aime beaucoup.

C’est un vrai film politique.
C’est tout à fait exact.

Vous venez de mettre en scène Macbeth de Verdi à Novara. C’est une pièce sur laquelle vous avez travaillé pour le film Opera (Terreur à l’opéra, 1987) ? Quelle couleur vouliez-vous donner à cette mise en scène ?
J’avais envie d’utiliser au théâtre toutes les possibilités qu’a le cinéma : les effets spéciaux, la lumière, le sang, des citations de mes films, de Profondo Rosso, d’Opera. Mon but était un spectacle moins traditionnel, plus moderne. J’espère que personne n’a jamais vu ça. Ça faisait longtemps que je voulais mettre en scène un opéra.

Vous avez réalisé un rêve ?
Oui. Mais j’avais déjà mis en scène un opéra dans Opera. J’étais déjà assez à l’aise.

Dracula, c’est un peu la deuxième fois que vous adaptez un classique de l’épouvante après Le Fantôme de l’Opéra. Est-ce que vous auriez envie d’adapter autre chose ?
Il y a eu le Chat Noir d’après Poe (NDLR : un des sketches de Deux yeux diaboliques en collaboration avec Romero) aussi. Normalement je ne suis pas particulièrement porté par les adaptations de roman, mais quelques fois, ça arrive. Les livres me donnent parfois des idées, mais je préfère quand c’est moi qui raconte mes histoires.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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