Albert Marcœur et le Quatuor Béla – « Si oui, oui. Sinon non. » (2017)

Le dernier disque d’Albert Marcœur en compagnie du quatuor à cordes Béla.
Drolatique et toujours émouvant. Oui, oui.

On était resté sur les merveilles de « Travaux Pratiques » en 2008, et le souvenir d’un concert exceptionnel au Café de la Danse, les frangins Marcœur au complet, et déjà le quatuor à la ronde. Albert a pris ensuite le temps de respirer, c’est-à-dire de pas mal travailler sans s’en donner l’air. Remasterisation complète de son catalogue impeccablement réédité sur son label Frères sans codes barres correctionnels. Premières représentations avec le quatuor Béla dès 2012 et parution d’un petit livre narrant ses démêlées avec l’antédiluvienne SACEM (Mais Monsieur Marcœur…). Nous, on vivotait de notre côté, au rythme d’une lettre de nouvelles, erratique mais toujours réjouissante quand l’humeur n’était pas à la fête, en se disant que quand même, un ptit’ album ne nous ferait aucun de mal. Ce disque attendu, « Si oui, oui. Sinon non », sort enfin, autoproduit et distribué sur Label Frères. Cerise sur la galette : Albert et le Quatuor devance le printemps avec quelques concerts, histoire de fêter le petit dernier aimablement. On n’ose pas dire qu’il(s) tourne(nt) : on se rend visite, on renoue veilleuse allumée avec des drôles de comptines, triviales, acides, anecdotiques, tragicomiques.

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Les nouveaux venus dans l’univers de Marcœur ne manqueront pas d’être déstabilisés par cette voix, ô combien singulière et personnelle. C’est un mélange de douceur et d’anxiété qui monte et descend, parfois prise d’accès, folie douce, coup de gueule, mots malicieux, parlée-narrée comme un monologue confident. Chaque disque de Marcœur, est à l’image de ses concerts, quelque soit l’ampleur de la formation : une sorte de petit théâtre intime, un ravissement de proximité. Même quand il emprunte les témoignages d’autres, ou un autre personne, il y met forcément beaucoup du sien. Off et In à la fois les histoires. La musique, elle, épouse les soubresauts, émotionnels et humoristiques, et accompagne le texte sans être subalterne. Ce sont deux voix qui se rencontrent, concertantes ou tiraillées, en vie commune musicale, petite compète surprenante. Le bégaiement fait partie du jeu, friction rythmique et sillon fermé d’une phrase mélodique mise en boucle. Les respirations et les points de suspension font partie du lexique harmonique.

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On aurait pu craindre une certaine austérité musicale, avec le seul quatuor de cordes comme soutien musical, mais ce dépouillement (très relatif) ne fait que mieux ressortir la plénitude de l’écriture. Rien n’y manque donc, avec au contraire un effet de compagnonnage resserré. L’habit semble plus dramatique et coulant à première ouïe, avec forcément, cet effet de suite classique, mais ce sentiment s’estompe vite. L’espièglerie, des mots et des notes, reste toujours vive. Au demeurant, la musique de Marcœur a gagné un zeste de tristesse ces dernières décennies, sans perdre en délire ou fantaisie, plus reposée mais toujours un peu burlesque, le dessin très animé.

Les petits vieux, extrait de « Si oui, oui. Sinon non »

Je pourrais donc parler pochette – Marcœur ne trompe jamais sur la marchandise en choisissant des graphistes bien conformes à son univers : François Bréant, Crapule !, Plonk et Replonk pour le dernier – mais je m’aperçois que je n’ai pas rien dit, sacrilège, des textes. Les abus de langage, marotte forcément marcœurienne, se voient épinglés en ouverture du disque, avec l’inénarrable « au jour d’aujourd’hui » et autres horripilants trucs verbaux. C’est « Pirouettes pour des prunes » qui n’a d’autre équivalent que le trr trr trr des valises à roulettes. Ailleurs ce sont « Les mouches » qui continuent de s’enfiler joyeusement, et tout ce vibrant parasitisme participe de la vitalité du disque comme de l’environnement, une forme de noces absurdes avec la réalité. De l’autre côté, il y a les vieux, la fanfare de Laumes, la grande fête ratée de l’éclipse solaire au Havre, et l’école publique… dont il ne faudrait pas se priver. Marcœur en a parfois lourd partout, mais l’inventaire reste élégant. « L’entretien » est un nouveau concentré de comique aigre-doux, avec les chœurs semi parodiques des membres du quatuor. Une ritournelle typique aux accents progressifs, presque frithien dans ses cordes suspendues. Comme un ticket de caisse à rallonge avec à la clé, son refrain-gimmick imparable : « Faut faire briller dedans pour oublier que dehors c’est pas brillant ».

Chacun l’aura compris, « Si oui, oui. Sinon non », on est bien chez Marcœur, à prendre surtout. Rien à laisser.

Album paru depuis février 2017 sur BELA Label
Le disque est disponible sur le site d’Albert Marcœur et du Quatuor Béla
Discographie d’Albert Marcœur et informations sur  www.labelfreres.com
Vidéos de concerts à voir et écouter ici
Illustrations : Plonk et Replonk – photos : Jean-Christophe Alluin, Jean-Louis Fernandez

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A propos de Robert Loiseux

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