Werner Herzog – « Salt and Fire »

Une nouvelle fois explorateur de contrées oubliées, Werner Herzog signe une fable étrange et conceptuelle. Salt & fire est une œuvre remplie de belles idées qui oublie trop vite ses enjeux narratifs et abandonne ses personnages. Dommage.

On connaît la passion de Werner Herzog pour les contrées oubliées et son incessante réflexion sur les rapports entre l’individu et son environnement. Que ce soit dans le cadre de la fiction – Aguirre, pour citer l’une de ses plus fameuses – ou du documentaire – le formidable Grizzly man -, le cinéma d’Herzog fonctionne sur des obsessions aventurières qui plongent au cœur des hommes et des choses. Salt & Fire renoue avec cette promesse d’un voyage et des limites avec ce plaisir non-feint de voir un auteur européen en découdre une nouvelle fois avec les codes du cinéma mainstream américain – souvenir de l’excellente relecture qu’était Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans. Salt & Fire, avec l’immensité de son lac de sel et son casting international, est un projet plein de promesses.
On ne pourra pas reprocher à Werner Herzog de se livrer à l’exercice trop facile du film de kidnapping. Dès son introduction, le film traîne une indolence inhabituelle qui désamorce la tension habituelle du genre et oublie très vite son postulat de départ pour nous entraîner ailleurs. Objet déroutant, Salt & Fire transpire la singularité d’un auteur qui se prête au jeu du détournement des codes pour, une nouvelle fois, revenir à ses obsessions. Derrière le mainstream, on observe la naissance d’un projet très personnel et d’un film hybride assez intriguant.
La réflexion est passionnante et c’est bien celle d’un cinéaste : il sera question de gestion des espaces, d’absence de lignes de fuite et de points de vue. En plongeant dans les espaces monochromes du lac de sel d’Uyuni en Bolivie, Werner Herzog confronte son cinéma et son personnage à la problématique du point de vue, invite l’un comme l’autre à faire « un pas de côté » pour apprécier la réalité sous un nouvel angle. L’idée de réunir questionnement social et artistique sous le même regard est sans doute l’une des plus belles idées de Salt & Fire.
Cette réflexion , à laquelle Werner Herzog semble tenir plus que tout, est aussi le handicap majeur d’un film certes cérébral mais aussi trop conceptuel. Si le film désincarne les principes narratifs du film de rapt, il vide aussi peu à peu ses personnages de tout enjeu. Au service d’une démonstration brillante, ils apparaissent désincarnés, instruments au service d’une réflexion certes brillante mais qui fige le film dans une posture. La froideur du territoire n’a d’égal que la froideur d’un spectateur vis-à-vis d’acteurs qui peinent à donner vie à des personnages manipulés par un réalisateur trop soucieux de la brillance de sa réflexion. Le film est appliqué comme une démonstration scientifique mais dilue ses enjeux narratifs dans le désert de sel.
Reste une stylisation absolue qui impose des images fortes, hantée par un archaïsme qui a fait les belles heure du cinéaste et qui fait aussi penser à la sécheresse d’un film post-apocalyptique. Si Salt & Fire  plonge avec autant de ferveur dans le primitivisme, c’est peut-être pour mieux nous montrer notre avenir. C’est l’une des belles leçons d’ un film que l’on pourra qualifier de « magnifiquement raté ».

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A propos de Benjamin Cocquenet

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