Un super-héros qui ne fait rien de son pouvoir et transforme en boue l’or qu’il a entre les mains ? C’est tout Melvin, l’anti-héros par excellence, pas assez bon pour sauver l’humanité, ni assez mauvais pour la ruiner. Un homme moyen, en somme, mais franchement limite quant à sa moralité. Sa marginalité retourne sa déliquescence en attitude critique vis-à-vis de la société américaine. Ou comment détourner le cliché du super-héros pour en faire une figure subversive.

Nick Love brosse le portrait d’un homme singulier et attachant, tant il est désoeuvré. Melvin s’impose comme un parfait loser et – osons l’expression ! – comme un surdoué attardé. Melvin a lu tous les livres, alors Melvin s’ennuie. Melvin a connu un échec sentimental, alors Melvin sabote la relation amoureuse de sa sœur. Il lui pourrit la vie, même, comme pour remplir la sienne. Séparé de sa femme, il a perdu la garde de son fils et vit chez sa mère, alors qu’il a la trentaine passée : déjouant son ennui par ses errances déjantées, il échappe à l’accablement. Son pittoresque sens du déguisement et son pouvoir surnaturel ajoutent à son grain de folie. C’est à cela qu’on rit et qu’on adhère, même si la vraisemblance n’est pas de mise. On se prend aussi de sentimentalisme : il faut dire aussi que Melvin est lesté du tourment de ne pas pouvoir approcher son fils. S’il est inconséquent, il ne rêve que d’une chose : retrouver ses prérogatives paternelles. Mais il s’enfonce et sa descente laisse présager un tournant dans le scénario : irrécupérable, sourd aux conseils de son ami Lucille, Melvin pousse la provocation jusqu’à fumer des joints quand il écope d’une peine de travaux d’intérêt commun.

AH indien

Copyright Chrysalis Films

La spirale destructrice de Melvin est un festival de beuveries, de débauches sexuelles et de consommation de drogues. Les séquences en caméra embarquée emportent le spectateur dans le vertige de la déflagration psychique, l’épave physique, sans lui laisser le temps de la respiration. Et si les frasques de Melvin n’étaient que le masque fragile d’une conscience tragique, révélant le monde comme une farce absurde ?

En observant la société avec distance, Melvin désamorce le sérieux et la gravité de sa propre existence. Se refusant à être là où on l’attend – un super-héros à la morale et au physique bien léchés – il dénonce le poids des conventions. Le rythme du scénario est trépidant, renvoyant à l’instabilité du monde tenue dans des codes moraux et sociaux rigides, que Melvin transgresse de façon jouissive. Les effets spéciaux et moyens techniques ne sont pas en reste pour renverser de façon carnavalesque la bienséance et les convenances.

American Hero serait un film léger, si l’action n’était émaillée de pauses réflexives : pendant à l’arythmie et à la décadence du personnage, des interrogations inquiètes sur le sens et les accidents de la vie craquèlent son insouciance. Elles creusent une profondeur dans un scénario qui a tendance à enchaîner trop facilement les actions stéréotypées. Melvin, c’est un peu « Pascal chez les Fratellini », en fait. Nick Love prend prétexte d’un personnage complètement frappé pour développer, parallèlement, un sujet social. A la Nouvelle-Orléans, la pauvreté et la violence gangrènent la vie des citoyens, sur fond de trafic de drogue endémique. Cet aspect constitue le pivot de la rédemption de Melvin. En refusant de voir son fils grandir au milieu des gangs, il va trouver une vraie bonne raison pour épouser la cause du bien.

Lassé d’employer ses pouvoirs à des fins délictueuses, Melvin va donc lutter contre les criminels, s’alliant à la police. Lucille, son comparse paraplégique de toujours, l’encourage dans son retour dans le droit chemin. C’est à ce moment que le scénario renoue avec les codes du genre : super-héros contre malfrats. L’antithèse est éculée et construit alors toutes les relations entre les personnages dans la seconde partie du film. Il y va aussi du duo de complices, Melvin et Lucille, qui s’enferre dans des poncifs sentimentaux : le sage en fauteuil roulant prodiguant des conseils de bon sens au jeune homme turbulent. Seuls les dialogues, truffés de blagues à l’humour décalé, parviennent à nous extirper d’une narration convenue. Car dès lors que Melvin se rachète une conduite, le souffle libertaire retombe. Le film commence par une critique sociale acerbe et truculente de l’Amérique bien-pensante et triomphe caricaturalement dans le manichéisme. L’anti-héros fatigué, drogué et multi-tatoué endosse finalement son costume de circonstance et rejoint l’ordre établi. Il est bien là où on l’attendait, l’ « American Hero ».

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