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La série B est par excellence le lieu de la distance et du contrepoint qui demande toujours au spectateur de ne pas prendre argent comptant du spectacle qu’il regarde. Elle se travestit régulièrement derrière le divertissement populaire pour mieux livrer des brûlots politiques, violents instantanés d’époque cachés derrière le spectacle a priori inoffensif. Que seraient Starship Troopers (Verhoeven), Invasion Los-Angeles (Carpenter) ou Dawn Of The Dead (Romero) pris au premier degré ? Par cette distance de l’ironie, n’expriment-ils pas toute la force subversive du cinéma de genre ? Partant de cette ébauche , Cold In July de Jim Mickle projeté à la Quinzaine des Réalisateurs au dernier Festival de Cannes, relève évidemment de la série B, et le spectateur s’apprêtant à voir un polar à la James Gray risque d’être fortement déçu ou vexé. On peut même dire qu’avec Cold In July, c’est le grand retour de la série B. Non pas de la série A quand elle fait des clins d’œil (Drive de Refn) ou rend hommage (Tigre & Dragon de Lee) mais du film à petit budget tout simplement. Dès le générique, le recul est demandé : une typo digne des premiers Wes Craven, une musique qui lorgne vers les BO de Carpenter, une esthétique et une lumière un peu cradingue ambiance motel 80’s, un comédien moyennement bon (Michael C. Hall de la série Dexter) et une effraction dans une maison en pleine nuit avec le lointain cousin de Michael Myers d’Halloween.

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Ensuite, on pénètre dans le film avec la même joie qu’a dû ressentir le réalisateur lui-même au moment du tournage. On a envie de dire qu’à son visionnage, c’est toute notre enfance cinéphilique qui remonte à la surface et qu’on avait, sans le savoir, refoulé. Avec son deuxième film Stake Land, projeté aux Utopiales 2012, intéressante mais inaboutie variation post-apocalyptique sur le thème du vampire, Jim Mickle nous invitait déjà à une certaine idée de la série B, avec ses terrains vagues aux carcasses rouillées, ses pieux trempés de sang, son désespoir tribal et ses comédiens passables. Avec Cold In July, tout commence donc en 1989 par le réflexe pavlovien d’un jeune père de famille, Richard Dane, qui surprend une nuit un cambrioleur dans sa maison et l’abat froidement. Pour les gens du coin, des texans qui voient dans le port d’armes bien plus qu’un deuxième amendement, Dane est un héros, quelqu’un qui a fait acte de légitime défense. Mais Dane est traumatisé…

C’est à partir de ce trauma que va se tisser tout le film, partant d’un présupposé que Cronenberg avait admirablement traité dans son History Of Violence. Passé ce début digne d’un slasher ou d’un film d’horreur des années 80 (Poltergeist n’est pas loin, Freddy non plus), le film laisse place à un polar bien poisseux digne de Blood Simple des frères Coen ou d’Un Plan Simple de Sam Raimi. Et avec l’arrivée pimpante et exotique de Don Johnson (un privé qu’on dirait sorti tout droit de son ranch avec ses chemises à fleurs impeccables et ses santiags brillantes) Cold In July prend une autre tournure dans sa version polar provincial. L’un des Deux Flics à Miami, livre-là son meilleur rôle, inattendu et rock’n rollesque au possible, tirant le drame vers l’humour et le désabusement déjà amorcés par un excellent Sam Shepard en père endeuillé et cynique.

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Que dire encore des bières que notre trinôme s’envoie à tire-larigot dans leur quête de justice et qui répondent au doux nom de Lone Star ? C’est précisément la bière que boit l’un des protagonistes de la série True Detective et le titre éponyme d’un excellent opus de John Sayles de 1996 où Chris Cooper donnait la réplique à Kris Kristofferson, dans un film suant et dérangeant aux non-dits mortifères. Encore mieux : une scène les fait se retrouver dans un drive in où l’on projette comme par hasard La Nuit des Morts-Vivants ! Cold In July est bourré de références, et  Jim Mickle les assume et se les réapproprie avec une jouissance et un plaisir des plus naïfs. Voilà un chant d’amour dédié à notre enfance et à nos films, ce pourquoi on aime aussi ce cinéma-là. Après les blockbusters dont les effets spéciaux cachent souvent la misère et la vacuité du scénario, fondus dans leur promotion surmédiatisée, le temps serait-il enfin revenu des petites productions faites avec trois bouts de ficelle qui font la part belle à ce qu’a perdu le cinéma français : la passion, l’humilité et l’humour ?

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A propos de Emanuel Dadoun

1 comment

  1. Pierre Audebert

    Je te suivrai pas jusque là (le déclin du cinéma français) mais cold in july s’avère surprenant avec structure étonnante (maîtrise de la première partie d’un classicisme éclatant, pour une seconde libérée, décomplexée mais finalement, de par ses thématiques, totalement au goût du jour (Kill list…). Une belle surprise qui me donne envie de découvrir tout le reste de sa filmo !

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