« Partition inachevée »

 

Quatre ans après un premier long-métrage émouvant, Angèle et Tony, Alix Delaporte revient avec un nouvel opus en demi-teinte : en brossant le portrait sensible d’un jeune garçon en devenir, la réalisatrice fait preuve de la même délicatesse formelle que dans son film précédent mais nous offre une œuvre moins aboutie.

Dès ses premières images Le dernier coup de marteau nous garantit l’entrée dans un territoire familier, celui d’un paysage intime, fait de visages identifiables et des thèmes retrouvés. On s’y installe facilement. L’univers pudique et attentionné d’Angèle et Tony est bien là. La réalisatrice reprend son fidèle duo, Clothilde Hesme et Grégory Gadebois, dont la sensibilité de jeu est pour beaucoup dans la beauté des deux films.

A la fin d’Angèle et Tony, la naissance d’un couple dessinait la possibilité d’une vie de famille. Ici, la famille de Victor, cet adolescent de 13 ans vivant dans un camping bordé par une plage, a volé en éclats ; pas une seule fois, les parents du héros ne seront réunis à l’écran. Très malade, sa mère Nadia ne croit plus en l’éventualité de sa guérison et a décidé de vendre leur maison. Trop faible pour s’occuper de son fils, elle souhaite du reste le confier à ses parents qui ne le connaissent pas. Cette menace sourde du déracinement et de l’abandon incite Victor à aller à la rencontre de son père. A l’occasion d’une tournée, celui-ci – qui n’a apparemment jamais vu son fils – revient à l’opéra de Montpellier pour diriger la 6e symphonie de Mahler. En assistant plus ou moins clandestinement aux répétitions de l’orchestre, Victor va trouver le courage d’aborder son père.

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© JC Lother

 

Avec subtilité et tendresse, la réalisatrice choisit d’embrasser le point de vue de Victor tout au long du film. On l’accompagne dans ses premiers émois amoureux et sensuels, dans sa découverte de l’autre, dans sa rencontre avec la musique. Sa détermination se lit dans la franchise et l’intensité d’un regard à la fois plein de douceur et étonnamment adulte. Par exemple, Victor ne détourne pas les yeux devant sa mère dont les cheveux sont tombés. Victor surprend également par une certaine qualité d’obstination : c’est parce qu’il ne quitte pas des yeux son père lors des répétitions qu’il va forcer ce dernier à faire un pas dans sa direction. Enfin, dans un film où les dialogues sont (trop ?) rares, le jeu des regards prend le relais de la parole et comble les silences.

Alix Delaporte n’abandonne jamais son héros dans son parcours ni cette volonté infaillible qui se manifeste par les allers-retours constants du jeune garçon entre le camping où il vit et l’opéra où son père travaille. Son itinéraire est donc avant tout géographique : tout se passe comme si, à travers ces trajets répétés, Victor cherchait vainement à concilier deux espaces que tout oppose – à l’image des univers disjoints du père et de la mère. D’un côté, une plage balayée par le vent aux splendides couchers de soleil, de l’autre, l’écrin feutré d’un auditorium obscur. Ce parcours se veut aussi initiatique : les paysages traversés suggèrent l’avancée du personnage dans les épreuves qui l’amènent à grandir et à prendre en main son destin, à l’instar de ce match de football où il sera sélectionné par des entraîneurs venus détecter les jeunes talents.

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© JC Lother

 

La sobre retenue avec laquelle la réalisatrice approche son sujet dans Le dernier coup de marteau en constitue paradoxalement la limite. En plaçant le discontinu au cœur de la narration, en proposant une intrigue sans véritable nécessité et sans temps forts, Alix Delaporte met à mal le rythme de son récit. Elle propose un portrait lacunaire de ses personnages, à la limite de l’ébauche, en décidant de ne pas éclairer leur passé ni d’évoquer leurs motivations. Loin de creuser le mystère des personnages, ces silences n’apportent rien. A cet égard, le choix de ne pas montrer le premier baiser de Victor et de sa voisine espagnole Luna, dont la caméra capte pourtant les prémices, semble confirmer une esthétique de l’ellipse in fine plus artificielle que franchement justifiée. Ce dispositif impressionniste s’avère finalement peu convaincant. Il permet certes de tenir à distance le pathos intrinsèque au sujet, évitant ainsi toute facilité, mais il ne donne pas la possibilité au spectateur de s’immerger ni de s’attacher aux personnages. Restent quelques moments de grâce, notamment lorsque la musique s’immisce dans les béances du récit et exhume de manière éloquente les sentiments enfouis des personnages.

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A propos de Sophie Yavari

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