Lorsqu’il s’agit d’évoquer des giallos de référence et de prodiguer quelques conseils pour découvrir le genre, il est rare que Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? ne soit pas dans la liste. On pense le connaître par cœur, mais un beau jour, au détour d’une nouvelle vision, le film de Dallamano se découvre dans une complexité qu’on ne lui connaissait pas. Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? n’est donc pas juste un prototype du giallo avec ses archétypes de tueur masqué, de jeunes femmes assassinées à l’arme blanche et de mystère à résoudre. Plus important, l’idéologie un peu réactionnaire qui l’accompagne de prime abord – à la manière des slashers où les héros sont « punis pour avoir péché » (et en l’occurrence, ici, par où ils ont péché) – est nettement moins évidente qu’il n’y paraît tant Dallamano ne cesse de semer le doute et le trouble dans son pessimisme, comme pour mieux traduire ses propres tiraillements.

Il n’est pas question d’ignorer le moralisme de Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? qui oppose bien une forme de pureté à la dépravation. Ou se situe la dénonciation, entre une vision expiatoire qui se calquerait sur celle de l’assassin, ou un procès des institutions religieuses et des ravages meurtriers qu’elles peuvent produire en apprenant les interdits pour mieux inciter à les enfreindre ? La débauche sexuelle apparaît plus comme un symptôme du mal social que comme le mal lui-même. De plus comme peu en témoigne le sort d’Elizabeth, l’innocence ici, ne sauve pas. Cette fusion de la perversité et de la beauté juvénile définit assez justement l’art de la transgression et de l’ambiguïté propres au genre entre dénonciation et complaisance. Pourtant, la vision de Dallamano va plus loin : elle respire la mort de l’enfance et la perte de l’innocence liées à cette peur du passage à l’âge adulte, une peur que le cinéaste partage et transmet. Le monde adulte est nocif ou impuissant : le héros s’amourache d’une lycéenne, un autre professeur joue au voyeur en observant les jeunes femmes sous les douches, les parents ont juste vu leur fille leur échapper, et seul son cadavre apporte la preuve de leur immobilisme. Enfin, le prêtre sous le sceau du secret de la confession, sait probablement tout mais ne dit rien , se faisant complice d’un crime. Les vrais irresponsables ne sont pas ces jeunes filles se libérant sexuellement, se libérant de l’emprise et de l’hypocrisie des institutions, mais bien ceux qui sont sensés en avoir la charge. Dallamano exposera plus explicitement cette figure d’un monde adulte comme une menace, un ennemi, dans le film suivant de sa trilogie des « school girls, La polizia chiede aiuto plus noir encore, et dont le titre anglais « What have you done to your daughters » , choisi pour rappeler Solange, pourrait offrir une réponse à cette question morale, un « Qu’avons-nous ? » se substituant au « Qu’avez-vous.. ? » comme pour désigner les vrais coupables.

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© Le Chat qui fume

Si Dallamano traite de cette perversité des jeunes filles en fleur, il la met en scène comme insouciante, inconsciente : elle ne les soustrait pas à l’enfance.  Ce Leitmotif des héroïnes souriantes en vélo – en mode sourire, bonheur, liberté – définit bien cette dichotomie,  plus encore lorsque la scène réintégrera par son explication son sens bien plus dérangeant  au sein de la narration.  On pressent dès le générique que cette joie n’est qu’un leurre. Une fois de plus, comme ce sera le cas dans Profondo Rosso apres Blow Up, tout est là, reste a décrypter ce qui se tient devant nos yeux depuis le début mais qu’on a pas su regarder. Solange est définitivement un film sur le trompe l’oeil , sur ce qu’on a pas su voir, où le code du giallo se confond à la dénonciation sociale.

Le giallo aime régulièrement s’aventurer hors de l’Italie pour y installer ses intrigues, comme une Queue du Scorpion en Grèce ou un Je suis vivant à Prague. L’Angleterre donne donc à Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? un parfum particulier, mais une Angleterre revisitée, portée par un regard étranger.  Ici, même le Tower Bridge paraît avoir perdu de sa brume, Les alentours de Londres semblent se parer d’une lumière plus méditerranéenne, et les cottages anglais dialoguent avec la ruralité italienne. Si le décor explicitement cité est celui d’un lycée catholique de jeunes filles anglaises, on ne doute pas un seul instant que ce soit pour Dallamano le moyen détourné de s’en prendre aux institutions religieuses de son pays.

© Le Chat qui fume

Mais… qu’avez-vous fait à Solange ?  frappe par la beauté de sa mise en scène et son sens du découpage, et particulièrement dans son éblouissante première partie. A ce titre, la séquence d’ouverture est exemplaire et caractéristique d’une esthétique du contraste et de l’oxymore : Fabio Testi et Christina Galbo flirtent dans une barque, se laissant aller au gré de l’eau avant que le regard de la jeune femme ne soit distrait par les images d’un meurtre : réel ou imaginé ?. L’apaisement de ce moment idyllique est comme parasitée par l’angoisse qui y sommeille et les secrets qui s’y dissimulent : le crime caché dans les sous-bois , la liaison adultère avec une mineure. Il exprime également symboliquement la peur du passage à l’acte de sa passagère, la lame brillante du couteau s’imposant comme l’évidence du substitut phallique et de la peur de la pénétration. Le mode de meurtre – chaque victime est retrouvée poignardée dans le vagin – ne cesse de filer cette métaphore, plus encore lorsqu’il s’agit de lycéennes en pleine découverte de leur sexualité. Faisant écho à cette première séquence, lorsqu’Elizabeth, se décidera enfin à perdre sa virginité auprès d’Enrico, lui revient à nouveau cette image traumatique du couteau dressé, qui une fois de plus l’empêchera de concrétiser l’acte.

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© Le Chat qui fume

La violence du montage traduit la conception d’un cinéma comme un moment de contradiction, avec cette sensualité montante, la beauté du corps et des visages, et la rupture qui s’en suit, rupture qui interfère, tel un va-et-vient incessant entre l’amour et la mort. Tout moment d’épanchement amoureux n’existe que dans l’attente de la brutalité qui suivra. La musique de Morricone sous tend cette idée, tour à tour romantique et anxiogène. Les scènes de meurtres procèdent évidemment en mode inversé, douloureuses, violentes et hyper-sensualisées, hyper-sexualisées. Le fétichisme du giallo, n’est pas nouveau, mais la sexualité contamine plus que jamais les thèmes et l’esthétique de Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? .

Certes, le genre s’échappe régulièrement, vers la comédie, la satire sociale ou le fantastique, mais il est rare qu’il adopte un ton aussi désenchanté que dans Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? pour lequel la tension n’a peut être jamais été aussi dramatique. Le regard halluciné de son héroïne éponyme (Camille Keaton, future héroïne du classique du rape and revenge I spit on your grave) pourrait résumer à lui seul la tristesse du film. L’étude des caractères est également ici particulièrement aiguë, notamment dans la construction de ses personnages et leur évolution au fil de l’intrigue. D’abord terriblement froid et antipathique, Enrico se fissure et s’humanise, tandis que sa femme aussi stricte qu’un cliché de professeur à l’anglaise libère à la fois sa féminité et son amour, parallèlement à l’énergie folle qu’elle donne à prouver l’innocence de son mari adultère. On assiste à cette transformation, cette rédemption d’un couple en désagrégation. Elle trouve son accomplissement dans une image finale splendide et dérangeante, annonce d’une recomposition singulière de l’image de la famille qui peut enfin renaître sous une forme inédite, meurtrie, mais les deux pieds dans la vie.

 

Superbe copie que nous propose Le Chat qui fume qui respecte à la fois bien les teintes discrètes de la photo, soulignant les bleus et les nuances de l’obscurité dans les scènes les plus anxiogènes. On opter pour la version italienne plus que la française mais si comme la plupart des giallos de l’époque le film a été post synchronisé. En bonus, dans un entretien de 2006 (Dallamano et les autres), le toujours alerte Fabio Testi revient sur l’ensemble de sa carrière et son éclectisme, autant portée par le cinéma le plus intellectuel (Le Jardin des Finzi-Contini) que le cinéma le plus populaire, aussi à l’aise chez Zulawski que Fulci. L’actrice Pilar Castel qui incarne Maud, évoque son expérience sur le film (Mais qu’avez-vous fait à Pilar ?) Enfin, Le Grand producteur laisse s’exprimer Fulvio Lucisano, qui revient sur son travail avec Dallamano et particulièrement sur la personnalité du cinéaste. Avec Solange, on voit combien au-delà du genre, le giallo est le reflet des inquiétudes sociétales, combien la maltraitance enfantine, la sexualité des jeunes adultes, les risques qu’ils encourent y sont omniprésents, le rendant plus passionnant encore.

Qu’avez-vous fait à Solange ? What Have You Done To Solange? (Italie, Allemagne 1972) de Massimo Dallamano avec Fabio Testi, Cristina Galbó, Camille Keaton

Blu-Ray édité par Le Chat qui fume

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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