Michael Feeney Callan- » Robert Redford »

La singularité de cet ouvrage, nourrie à la fois d’articles, de la correspondance du cinéaste et de centaines d’heures d’interviews, tient d’abord à sa forme. Il dresse un portrait de Robert Redford tout en étant une biographie. S’attachant à un même sujet- une star – la biographie tend à en traduire l’histoire du cinéaste en inscrivant dans la narration l’homme dans l’Histoire, celle de l’Amérique. Le portrait lui tend à en produire une complexité dans la représentation : il s’agit de « percer le mystère des origines de ce robuste générateur d’art au cœur même de l’Amérique »1. Entre continuité et discontinuité, c’est à la fois l’homme et l’acteur, la star et l’artiste ordinaire qui se lisent sur ce visage biographié et portraituré.

Michael Feeney Callan, auteur irlandais de poèmes et de romans, après quatorze ans de recherches, livre ici , sans complaisance mais avec un attachement aux détails et un style très personnel, à la fois très littéraire, lyrique et réaliste , un travail tout à fait remarquable . Il met en lumière un cinéaste sous un angle neuf : fragile et endurant, engagé et mobile dans son métier, dans son histoire et dans ses liens , qu’ils soient familiaux, amoureux ou amicaux .

L’ouvrage est construit en quatre parties, chacune étant un portrait du cinéaste qui se précise dans le temps. Mais l’auteur rompt avec la linéarité du récit : au plus près de son sujet, en auteur-cinéaste d’une certaine manière, la fluidité de la narration est contredite par des flash-backs, des ellipses, des allers-retours qui justement mettent en lumière le parcours d’un homme en perpétuelle construction : celui d’un homme «  établissant des habitudes nomades qu’il allait conserver toute sa vie »2.

La seconde singularité du livre est qu’il crée des résonances entre l’homme et le personnage des films. «  L’Amérique, c’est la fille » , et l’auteur montre en quoi, dès son adolescence, Redford nouera une relation intime avec la terre , là où il s’est « senti submergé par le sacré »3. Et c’est là sous nos yeux que revivent les personnages de Butch Kassidy et le Kid,L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, Jeremiah Johnson. Athée, Redford croit à la puissance du mythe qui « invite à nous souvenir de qui nous sommes et de ce voyage spirituel partagé que nous faisons »4. Cet attachement de Redford à la terre, c’est aussi ce qui le relie au Festival qu’il a créé, Sundance film festival , principal festival américain de cinéma indépendant.

L’autre écho de la vie du cinéaste avec ses personnages est la présence des femmes tout au long de sa vie, «  il n’y avait que des femmes et encore des femmes. Et le sable, et les vagues, et les vastes étendues de l’horizon »5.Les premières années de la vie de Redford sont dominées par les femmes, celles de l’Ouest, et par sa mère «  le centre de son univers »6. Cette mère qui aime le cinéma et qui lui donne l’occasion de découvrir les films et les plateaux de tournage.

Mais jamais pour autant cet ouvrage ne fixe et donc ne fige le cinéaste, qui se définit par ses paradoxes. Redford échappe, à l’image de ses personnages comme ceux de L’Arnaque ou de Out of Africa. Farouche à la norme, à la disciple rigide de l’institution scolaire , détestant toute forme de compromis, il déclame Edgard Poe en dansant ou voyage en Italie pour peindre dans la rue et en même temps «  Vegas ( l’) encourage à ( se) montrer plus éclectique dans ( ses) goûts , à ( se) défaire de ( ses) réactions rebelles instinctives »7. Si Redford invente le cinéma indépendant à Sundance ( le premier principe étant de laisser aux jeunes artistes la chance de s’exprimer) tout en étant une star d’Hollywood, c’est parce qu’il dépasse justement toute contradiction.

Cette identité plurielle et multiple n’est pas exhibée selon une modalité attendue, mais se construit par le lecteur lui-même . Aux fascinations et aux choix du cinéaste décrits s’éclairent les gestes du metteur en scène, de l’acteur et du militant politique.

Cette biographie, très dense et riche, constitue donc une entrée de la plus grande précision dans la compréhension d’un cinéaste singulier et d’une grande sincérité.

1Michael Feeney Callan, Robert Redford, Editions La trace, 2022, p. 20

2Ibid , p.91

3Ibid, p.23

4Ibid, p.639

5Ibid, p.52

6Ibid, p.34

7Ibid, p.241.

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Maryline Alligier

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.