En pleine campagne présidentielle, la démarche de Lucas Belvaux est courageuse et inédite, il fallait oser. Avant même sa sortie, « Chez nous » déclenche une polémique avec le Front National qui s’y reconnaissant dans une bande annonce très ramassée, escompte que le film sera un véritable réquisitoire qui alimentera le désormais sempiternel discours sur sa diabolisation ou sa caricature : absence de cinéphilie ou indifférence à la culture ? C’est mal connaître le réalisateur de « 38 témoins » et de « Pas son genre ».

Lucas Belvaux est chabrolien de coeur et c’est en véritable géographe qu’il sonde les âmes autant que les terroirs, ces espaces entremêlés où s’ancrent rancœurs, colères et frustrations, c’est « chez nous » et Chez Nous. Belge, Lucas Belvaux aurait pu nous chanter l’histoire de « ces gens-là » avec colère et dédain mais Lucas Belvaux a l’accent généreux et populaire d’un Pierre Bachelet pour nous parler des corons, et lorsqu’il finit par tutoyer face à face le Bloc Patriotique, pour en dévoiler sa part sombre, façon Diam’s à plein poumons, alors c’est Chabrol qui surgit dans le silence des rues de Hénard pour souhaiter « Que la bête meure ».

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Plus qu’une chronique, Chez nous est donc la peinture d’un paysage français, mais pas n’importe lequel, celui du nord de la France et de la petite commune de Hénard. Dès les premiers plans, Lucas Belvaux raconte à travers ces paysages du Pas de Calais, de chez nous, une histoire, notre histoire celle d’un chez nous qui se transforme en un équivoque « On est chez nous ! ». Friches industrielles, vastes étendues de terres encore jonchées d’obus enfouis, terrils transformés en pistes skiables pour les enfants, Lucas Belvaux filme l’histoire qui est passée en quelques plans. De grandes voies rapides dessinent l’inexorable étalement urbain, le mitage des campagnes et la désertification des terroirs. Enfin, disséminés ça et là entre les corons, de grands ensembles, qui ont poussé à la vitesse de champignons, dessinent le présent où une infirmière à domicile (Emilie Dequenne) et un médecin de famille (André Dussollier) pansent des maladies, des solitudes et votent pour un Bloc Patriotique qui est chez lui, chez eux et… chez nous.

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Dans ces paysages désolés, ce n’est pas la caméra de Lucas Belvaux qui se fait intrusive à mesure qu’elle entre dans le quotidien de Pauline (Emilie Dequenne) et dont les talons scandent le terre à terre d’une vie laborieuse à soigner les uns et les autres ou dans celui feutré du docteur Berthier (André Dussollier) : c’est le vulgaire – et non pas le populaire – du Bloc Patriotique qui campe, ou mieux siège sur les ruines de ce qui fut jadis le terroir de la première révolution industrielle et de Jaurès.

Sitôt que Pauline est recrutée pour figurer sur la liste du Bloc Patriotique pour seconder sa cheffe Agnès Dorgelès (Catherine Jacob), la fiction dégoupille aussitôt le paysage au propre comme au figuré, et comme on ne transforme pas du plomb en or, Lucas Belvaux filme « plat » à hauteur du propos : du blond, du bleu marine, du recrutement vite fait bien fait. Toute l’artillerie familière pour ne pas dire populiste déboule pour sucrer le décor comme un loukoum alléchant.

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Lucas Belvaux filme la grand-messe du Bloc Patriotique comme une kermesse où les « ingérables », ceux qui ont la haine, la haine de l’autre, de tous les autres, tel Stanko le nouveau compagnon de Pauline sont invisibles. Et pourtant ils crèvent l’écran ces identitaires, noyau historique du Bloc patriotique, mais comme un cri sourd Lucas Belvaux a pris soin de les isoler et de les réserver pour les seuls yeux du spectateur, loin de Pauline l’infirmière loyale et empathique qui un jour, sur un coup de tête, a adhéré au Bloc Patriotique.

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