Tomm Moore – « Le Chant de la Mer »

Un an après la sortie du dernier film du Maître, Le Vent se Lève, achèvement d’une œuvre flamboyante, Le Chant de la Mer de Tomm Moore, perle rare de l’animation « traditionnelle », console avec sa beauté et sa poésie ; une autre œuvre est en train de naître…

Tomm Moore s’est fait connaître comme réalisateur, après la sortie de son premier long-métrage Brendan et le Secret de Kells (The Secret of Kells) en 2009. Le film n’a pas rencontré le succès public lors de sa sortie en salle en Irlande et les critiques étaient nuancées. Les festivals, les prix, le bouche à oreille qui ont suivi, l’ont porté aux nues avec pour apothéose, une nomination aux Oscars… Depuis, le studio Cartoon Saloon de Moore et de Paul Young (son producteur) à Kilkenny, une petite ville à 1h30 de Dublin, est devenu un nouveau centre du monde de l’animation. Les réalisations s’enchainent. Des court-métrages, une série (39 ép.) coproduite avec Nickelodeon, s’il vous plait, etc.

En deux long-métrages, avec Le Chant de la Mer comme affirmation, Tomm Moore a créé un style unique, né d’un brassage esthétique et narratif foisonnant. Les influences de l’artiste sont nombreuses, et déjà présentes dans The Secret of Kells (titre meilleur en VO!). Comme les couches de ses films, elles se superposent pour définir son univers.

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La première émane d’un condensé de l’histoire de l’animation 2D traditionnelle (stop, cutout, graphic animation, etc.) ; et des multiples échanges qui l’ont nourrie, faite évoluer et s’enrichir sans cesse. Si ce genre intègre depuis longtemps les technologies numériques, la « digitradi », ainsi nommée aujourd’hui, reste une niche face à la déferlante de l’anim 3D (CGI/images de synthèses). Il n’empêche, la « touch » de Moore, à réaliser ce cinéma d’animation là, pourrait rencontrer un très large public avec « Le Chant de la Mer ».

Un montage financier européen solide (Danemark, Belgique, Irlande, Luxembourg et France), une distribution aux Etats-Unis (à vérifier ?) ; Le Chant de la Mer est moins sombre, plus léger que son premier film ; l’animation a sensiblement évolué, en « décollant » du décor, à peine plus que dans Brendan, les personnages principaux et quelques accessoires utiles. Les héros sont un peu plus mangas, un peu plus « ronds » et encore plus expressifs ; à ce titre l’animation de Maïna (Saoirse dans la v.o.), petite fille muette de six ans est une pure merveille.

La seconde inspiration, plus rare en animation et rarement réussie, provient de l’histoire de l’Art. Plusieurs styles s’enchevêtrent dans les décors et dans leurs détails, dans les couleurs et dans leurs palettes, qu’ils viennent des Arts du livre, de la Mosaïque, des Arts Décoratifs de l’Islam, de l’Asie, etc. Qu’ils soient préraphaélites, symbolistes, avec Moreau, Böcklin, etc. ; ou Moderne avec l’Art Nouveau, le Surréalisme, le Bauhaus, le Cubisme, avec Miro, Klee, Kandinsky, etc. C’est à chacun de « voir », de se balader… Un bon remède pour lutter contre le sommeil pour les parents fatigués, à mi-chemin de ce mois marathon, où ils sont très sollicités !

L’imaginaire de Tomm Moore est aussi en symbiose avec les légendes et les contes des côtes sauvages bretonnes, de l’insularité et… du Japon. On s’amusera des symbioses inattendues, plus encore à la sortie du très beau ultime film des studios Ghibli Souvenirs de Marnie qui fusionne avec délicatesse les imaginaires asiatiques et anglo-saxons. L’Irlande de Moore a la mer en partage avec la Bretagne et le pays de l’animation du soleil levant. Ce « personnage » si puissant et évocateur (en animation aussi) nourrit depuis la nuit des temps, une multitude de mythologies, y compris « celtiques ». La mer est bien ce monde infini de l’allégorie, de la magie, de l’irréel, de l’imaginaire sans cesse revisité, réanimé… Comme dans ce si bleu Chant de la Mer.

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Une influence et non des moindres est « miyasakienne » ( que ce mot est laid !). Plusieurs points communs unissent les deux artistes. Un souci identique de la perfection, malgré la différence de style ; une grande attention portée au scénario, aux dialogues avec de « vraies bonnes histoires fortes dedans » ; un soin constant apporté à la postproduction, à la musique ; un effort commun de se mettre au niveau des enfants, et de nos enfants intérieurs (en option !) ; la possibilité de ressentir, le temps d’un film, un déluge d’émotions ; et Moore et Miyazaki partagent ensemble une nostalgie pour leur propre enfance…

Tomm Moore travaille avec les mêmes talents, et avec ceux qu’il forme. Son studio est une sorte d’école où de jeunes artistes viennent de toute l’Europe. Adrien Mérigeau faisait partie de ceux-ci. Stagiaire, décorateur puis chef déco sur The Secret, il est directeur artistique et créateur graphique du film. Cet artiste multiforme, doué, sait parfaitement prolonger et enrichir l’univers et le style de Moore. C’est à nouveau Bruno Coulais qui signe la musique du film, livrant deux versions : une anglaise avec Lisa Hannigan, et une autre avec Nolween Leroy (qui a composé une chanson pour le film). Culturopoing ne s’attendait pas à croiser le chemin de la jeune bretonne chouchoute des Stars Ac et des 6/12 ans, c’est fait ! Et pourtant, ne cherchons pas à être gratuitement méchants : sa voix (trop) placée sait se moduler (et se mettre en sourdine !), et la voix qu’elle prête à Bruna, le personnage de la mère, est une réussite de douceur et de rassurance.

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Il ne reste plus qu’à se laisser charmer et emporter… Non pas par des Totoros cette fois, mais par des Selkies !? Pour conclure, une pensée toute émue pour les parents des années 50/60’s, etc. ! Il n’a pas dû être facile pour eux de « penser pouvoir faire croire » que : « Mais non, la maman de Bambi n’est pas morte ! Elle est partie dans la forêt magique pour jouer avec ses copines… ».

Impossible de se retrouver face à ce genre de « déconvenue » avec Le chant de la Mer ; l’imaginaire du spectateur y est sollicité, comme interactif avec le film, grâce à sa beauté inhabituelle, à son merveilleux, à ses mythes universels ; et grâce à ses personnages animés par des émotions humaines… Les gosses, eux, marchent à fond … et nous emportent avec eux.

Le chant de la mer n’est projeté en v.o que dans une seule salle, aux Studio des Ursulines (10 rue des Ursulines, Paris – 01 43 26 19 09) tous les jours sauf vendredi et samedi à 19h et 20h45 et le samedi à 20h45. Courez-y

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