Surprenant dans sa forme, White Shadow renvoie parfois à la splendeur primitive d’un Nicolas Roeg. Comme une échappée, une respiration, le rêve vient recouvrir d’un voile l’horreur du réel. Plus qu’un film, une expérience hypnotique et éprouvante. White Shadow est une odyssée de survie, magique et terrifiante.

White Shadow est le premier long-métrage de fiction de Noaz Deshe, né à Jaffa, vivant à Berlin, « a world citizen » comme il se définit lui-même. White Shadow est déjà estimé par la profession grâce à plusieurs festivals. Et il a reçu le Lion du Futur, meilleur premier long-métrage de fiction, à la Mostra de Venise en 2013. Noaz Deshe est un artiste complet, « touche à tout », plutôt dans l’ombre et là où son énergie le porte. Passé par le théâtre, la danse, le court-métrage, la musique, il est aussi co-auteur du scénario et co-compositeur (ce que c’est moche !) de la B.O. de son film avec James Masson.

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Si les albinos de Tanzanie ont le soleil pour ennemi, ils ont surtout des assassins, qu’ils soient sorciers, dealers, bouchers ou clients. Depuis 2007, des faits divers en cascade nous renseignent sur une réalité effroyable. En lisant la presse, dans quelques reportages et sur Internet, des « informations » décrivent l’horreur des actes perpétrés, le plus souvent contre des enfants, à l’encontre de cette minorité atteinte d’albinisme. Une approche rarement réussie, au mieux factuelle, souvent courte, au pire sensationnaliste ou macabre et/ou ethno centrée.

White Shadow comble un gouffre pour les amoureux du cinéma qui n’ont pas peur de se vivre multiples, de ressentir autrement, de découvrir un ailleurs même cruel. Bref, si l’inhumanité et la barbarie sont la chose la mieux partagée de l’espèce, et sont bien là dans ce film, leurs contraires aussi…

L’histoire d’Alias (Hamisi Bazili, sidérant) est tenue et ténue de bout en bout. Sa réalité est dure. A quinze ans, caché, il voit son père lui – aussi albinos – se faire sauvagement assassiner devant sa mère. Elle le confie à son propre frère Cosmos pour qu’il l’emmène en ville (à Dar El Salam sans doute) ; contre de l’argent, il doit le placer dans un centre où il sera protégé…

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La « face » réaliste du film n’est ni manichéenne, ni pathétique, elle emprunte au réel. Le film évite toute vision misérabiliste sur le monde qui entoure Alias ; sa mère (Riziki Ally, un rôle court mais intense. son monologue d’au revoir), Kosmos (James Gayo, époustouflant de complexité), Antoinette (Glory Mbayuwayu, unique, choisie parmi quatre cents adolescentes !), Salum (Salum Abdallah, les anges sont parmi nous, pas au ciel)… White Shadow est libre de tout jugement, de culpabilité, d’ethnocentrisme. Mais il montre un monde où il n’y a que deux camps ; deux couleurs, les albinos n’ayant ni l’une, ni l’autre…

Vivre dans White Shadow, c’est courir et nager plus vite que les adultes. C’est se recouvrir de boue pour échapper à des tueurs. C’est voir un enfant chanter et jouer, avant qu’on ne le dépèce vivant pour lui voler un membre ou un organe. On se purifie avec du sang humain, avec le feu. Des prédicateurs, des pasteurs judéo chrétiens dévoyés, et d’autres ex sorciers, appellent à la vengeance : c’est œil pour œil, dent pour dent. Certains ne savent même plus s’ils sont musulmans, chrétiens… Le chaos devient leur croyance.

La réalité est si violente, qu’il faut chercher à la fuir, à s’évader et même  savoir voler… White Shadow transcende son socle réaliste en offrant à ses personnages (et à son public), la possibilité sans cesse renouvelée de le faire… Le film s’envole alors littéralement pour « s’oxygéner » dans des strates cinématographiques d’une intense expressivité surréaliste ou lyrique. A travers la mise en scène des rêves, de l’imagination, de la magie des enfants. Grâce à leur humour (« Jésus c’est comme Fuck ! »), à leurs premières amours, leurs serments, leurs jeux… Puisqu’il faut s’absenter, se dissoudre : courir dans la poussière, s’allonger à l’ombre d’un arbre, trouver un portable dans une décharge, être un Dieu sur son vélo fera l’affaire. Puisqu’il faut se sauver absolument, l’énergie de la musique, elle aussi une ombre blanche, celle de la voix off de Salum, enfant Sage sacrifié, celle enfin de la caméra qui décroche puis s’envole fera l’affaire. White Shadow délivre son propre ensorcellement, en dépit de la terreur qui le hante.

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La vision du monde pour Noaz Deshe ne s’affranchit jamais du songe. Mieux, le monde est un songe. Car White Shadow intime l’ouverture du regard, une traduction différente de la réalité pour sortir de l’épouvante. Il n’existe pas deux mondes distincts, celui que l’on regarderait et celui qu’on inventerait. Le fusionnement les pousse à s’unir. L’univers porte en lui cet imaginaire qui libère l’humain hors du temps et des exactions, là pour permettre à son héros de courir en se confondant à un nuage de poussière. White Shadow se permet d’être parfaitement insaisissable lorsqu’il délaisse la narration usuelle et le plaisir de raconter une histoire pour emprunter les chemins d’une poésie magique et d’un rythme qui s’apparente à la transe. Dans ces moments les plus hypnotiques il nous aspire au cœur de la terre, de ses pulsations, à la manière d’une danse païenne.

Culturopoing abhorre l’injonction mais vous incite à vous laisser porter par cette clarté émergeant des ténèbres. Il faudrait voir ce « petit » film (pour son budget) coûte que coûte ; le porter, le chérir, en parler, etc. Car passer une heure cinquante avec Alias, Antoinette et Salum est une expérience de cinéma qu’on n’oubliera jamais.

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