Yasuhiro Yoshiura – « Patéma et le monde inversé »

En matière d’animation, la nouvelle génération nippone se montre t’elle à la hauteur de ses aînés? Si les noms de Mamoru Hosoda (Les enfants loups) ou Keiishi Hara (Colorful) semblent sortir du lot, il faut peut-être remarquer que même dans les meilleurs exemples, les oeuvres récentes en dehors des derniers fleurons Ghibli trainent avec elles un certain nombre de scories, qui ne tiennent pas seulement aux scénarios mais aussi à une posture d’ensemble bien épuisée, notamment celle de méler adolescence et dystopie mature… tout celà quand « la forme » reste, elle, assez (a?)vide…

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Patema rejoint ainsi cette impression parfois d’audaces « plastiques » mises au service de clichés épuisés et un brin agaçants. Si le pitch ici (deux univers, une société autoritaire et des réfugiés dans des grottes, opposent leurs lois contraire de la gravité suite à une catastrophe écologique) rappelle le récent Up & Down, le résultat va surtout brasser pèle/mèle des éléments vus de nombreuses fois que ce soit dans Nausicaä, l’excellente série Now and Then, Here and There, ou encore Escaflown… Mais la caractérisation ici des deux héros se réduit à peu de chose, ce qui est moins une sobriété assumée, qu’une vague mièvrerie suggestive aux traumas vites grillés et une danse de semi-flirt aux codes bien arrêtés… même si ses personnages finissent par en devenir attachant sur la longueur, on reste loin de ce que les studios Gainax et I.G dans leurs grande période, ou encore diverses productions télévisuelles plus récentes, sont capables de livrer.

L’univers des « deux mondes » lui même est à peine effleuré dans un film qui démarre brut de décoffrage, avec un minimum d’exposition… et l’on comprend vite pouquoi en s »intéressant au background du film, très contemporain : le studio du réalisateur Yasuhiro Yoshiura intègre ce long métrage à un petit « serial » de six épisodes et à des mangas à venir, un déploiement multi-support qui forcément fait perdre de la force, dissémine l’ouvrage en lui même, n’achappant pas à un grand nombre de codes pour encrer la forme « temporaire ». Contrairement à un Blood the Last Vampire, ce film sorti au cinéma en mars dernier en France peine un peu de ce statut, à la fois esseulé narrativement dans un univers riche, et tout entier dévoué à une sorte de « démonstration / happening » dans ses plus beaux passages.

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Et c’est là tout de même que le film mérite ce petit recensement : il semble tout entier assumer un fantasme d’enfance, le « plongeon » dans le ciel, le « poirier » où l’on perdra véritablement pied. En inversant les lois de la gravité, notamment dans sa grande séquence centrale en ballon, Yasuhiro Yoshiura démontre une vraie élégance et un talent certain pour les tours de manèges. L’intérêt pousse donc vers un oubli de soi, un flottement lyrique qui rejoint sans doute le sentimentalisme un peu à l’oeuvre, mais s’avère aussi une véritable expérience sensorielle, le film étant peu complexé d’expérimenter dans ce « lâcher prise », s’avérant ludique dans ses différentes manière de voir le sol et le « dur » se dérober … ou se rappeler à nous.

Au niveau texture, on remarquera une volonté de varier les styles : des imitations très réussies de filtres vidéos et caméras qui virent presque « Distric 9 » se mèlent à une certaine naïveté et des architectures ou renversements complexes.

Un objet particulièrement frustrant donc que ce Patema, « instable », éculé, mais d’un lyrisme qui fait encore mouche, et brillant dés que ses attaches narratives se font oublier… Finalement dans l’ennui de certaines sorties hebdomadaires, c’est une oeuvre qui contient son lot de surprises stimulantes. Même quand elle est moyenne et semble se mordre la queue, cette production japoanise en matière d’ animation a des ressources qui paraissent inépuisables. Espérons juste que celà ne donnera pas que des objets aussi diffus et en arrière-plan stéréotypées, d’un parcellaire un peu facile, à l’heure où Ghibli annonce se mettre en sommeil notamment et où on attends un grand Oshii à se mettre sous la dent (ça fait longtemps!).

Sortie en DVD et Blu-ray chez @Anime/MAD le 24 septembre 2014

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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