Dino Risi – « Il Gaucho »

Attaché de presse sans le sous, Marco Ravicchio (Vittorio Gassman) accompagne l’équipe d’un film italien en Argentine pour un festival de cinéma à Buenos Aires. Sur place, la délégation est accueillie par un ingénieur italien expatrié qui a fait fortune sur place…

Tel est l’argument de départ d’Il Gaucho, une comédie satirique de Dino Risi qui retrouve une fois de plus son acteur fétiche Vittorio Gassman après Le Fanfaron et Les Monstres. Pour bien saisir la teneur du film, il suffirait de citer une scène. Invité dans une luxueuse propriété par le richissime industriel qui chapeaute l’équipe de cinéma depuis son arrivée en Argentine, Marco observe un personnage que le spectateur voit de dos et demande s’il y a beaucoup d’Allemands dans ce pays. Tandis que son hôte lui réplique qu’il s’agit d’un simple jardinier, nous découvrons avec une certaine stupéfaction que cet homme est tout simplement un sosie d’Hitler avant que le propriétaire ajoute qu’il tient à le garder à son service même si un vieux juif l’a également réclamer pour l’employer!

Par ce petit détail, on réalise à quel point la comédie italienne du temps de son âge d’or pouvait aller loin et tout oser. Risi et son compère Scola (au scénario) poursuivent dans une veine sarcastique d’une méchanceté tout à fait réjouissante. La première partie du film est une satire jouissive du petit milieu du cinéma : un attaché de presse concentrant tous les défauts (supposés) du « parfait italien » : hâbleur, goujat, menteur, escroc, veule et grossier… C’est peu dire que l’abattage de Vittorio Gassman fait, une fois de plus, merveille. Il est à la fois totalement insupportable et, en même temps, il reste constamment attachant. C’est peut-être dans cet équilibre que réside le miracle d’une certaine « comédie à l’italienne » capable de forcer le trait, de caricaturer l’être humain dans ce qu’il a de plus vil et de plus mesquin tout en évitant un regard surplombant sur ses personnages. Si l’on rit de leurs défauts, c’est parce que ce sont aussi les nôtres et que jamais Risi ne se croit plus malin qu’eux pour rire à leurs dépens. Ce qu’il nous renvoie, c’est le reflet (à peine) déformé de notre vanité d’homme.

gaucho

Marco et ses blagues douteuses (il entre dans le cockpit de l’avion qui les transporte pour annoncer une catastrophe imminente), sa manie de vouloir extorquer des fonds par des moyens plus ou moins honnêtes (le jeu, la ruse…) et de courir tous les jupons qui passent à sa portée n’est cependant pas la seule cible de Risi.

Celui-ci se livre à un véritable jeu de massacre en épinglant des starlettes au regard hébété lorsque des journalistes leur posent des questions sur le « néoréalisme » ou le théâtre de Brecht. L’une d’elle cherche même à voir par un hublot la ligne jaune de l’équateur (!) mais l’autre, plus maline, lui rétorque qu’on ne peut pas distinguer une ligne à cette hauteur ! Mais le sarcasme n’épargne ni le riche industriel d’une naïveté confondante qui se fait chiper sa femme ou encore l’ami exilé de Marco qui concède que son entreprise s’est révélée être un échec.

A travers ce petit tableau cruel, le cinéaste raille un certain « choc des cultures » se réduisant à des comportements caricaturaux : les italiens débarquent dans un brouhaha indescriptible et engouffrent des spaghettis tandis que la culture argentine est réduite à quelques pas de tango, d’anciens criminels de guerre en exil et à la vision de quelques « gauchos » roulant désormais à mobylette !

Derrière le rire se dégage alors quelque chose d’assez amer de cette vision d’un petit monde étriqué, mesquin et replié sur lui-même. Si le personnage de l’ami « raté » incarné par Manfredi nous touche tant, c’est qu’il temporise la verve persifleuse de Risi pour introduire une dimension plus « humaine » dans le récit.

Au fond, il ressort de toute cette agitation un sentiment d’immense vacuité que le cinéaste aura eu l’élégance d’exorciser par le rire…

***

Il Gaucho

(Italie, 1964, 106 minutes)

Réalisation : Dino Risi

Scénario : Ruggero Maccari, Tullio Pinelli, Dino Risi, Ettore Scola

Acteurs : Vittorio Gassman, Silvana Pampanini, Nino Manfredi

Editeur : ESC éditions

Sortie en DVD-BR le 26 septembre 2017

 

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Vincent ROUSSEL

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.