Paul Vecchiali – rétrospective « Femmes Femmes » et « Change pas de main »

Suite de l’aperçu sur la Rétrospective Paul Vecchiali avec la ressortie en salles de « Femmes Femmes » (1974) et « Change pas de main » (1975)…

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« Femmes Femmes » (1974) est l’œuvre la plus connue, reposant sur les facéties et l’immense complicité de son duo d’actrices, également comédiennes dans le film : Hélène Surgère et Sonia Saviange. L’idée géniale, tient à priori du sacrilège : que deviennent les actrices, une fois déchues, et que leur première jeunesse est fanée ? Surmontent-elles leur dépendance au luxe, au narcissisme, à la comédie ? Comment s’accommodent-elles de cet enterrement anticipé : mises au placard et à l’oubli ? L’une surmonte son oisiveté en la noyant dans le champagne ; l’autre, sa fausse jumelle, en commettant de mauvais dramatiques pour la télévision, lorsqu’elle ne s’adonne pas goulûment au rouge. Et toutes deux font de leur appartement un théâtre permanent, sans plus de discernement quant à la réalité et au jeu. C’est la somme des deux addictions qui se joue dans leur huis-clos domestique, avec en marge quelques escapades chez les voisins de paliers, comme autant de dépendances scéniques avec, au gré des étages, un jeune dandy narcissique qui en aura pour son compte (Noël Simsolo), et une vieille dame, qui n’en a plus elle, pour très longtemps. Espiègleries, roueries, régressions infantiles, mises en scène boulevardières du quotidien le moins flatteur, et surtout, le caveau à l’horizon.

Peu à peu, le délire (tremblant) s’immisce dans la représentation, gagnée par la folie des deux actrices recluses. La mixité des deux registres, folie douce et pathologie, donne à « Femmes Femmes » sa puissance tonitruante : la dérision jusqu’au-boutiste est aussi un manifeste d’empathie, une déclaration d’amour non voilée à toutes les grandes actrices disparues des écrans, à leur glamour irréel (le pôle mythique de Surgère) autant qu’à leur réalité plus prosaïque (Saviange, encore combattante). Par la radicalité de ses partis-pris – l’économie de séquences étirée allant jusqu’au bout des scènes, durée pesée ; le noir et blanc ; l’atmosphère claustrophobe –, le film est une épreuve, mais il s’endure dans l’humour et dans le charme, aussi euphorisant que glaçant, comme une redescente après une ivresse trop joyeuse. Opus populaire et « expérimental » à la fois (dans la mesure où son dispositif renvoie à une idée très précise, traitée avec beaucoup de cohérence formelle, mais laissant la place à des développements improvisés et à une spontanéité de jeu), le film transmet aussi l’humour insouciant de son tournage, reflétant les limites et la gracieuse inventivité d’un artisanat porté par l’urgence.

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« Change pas de main » (1975) peut être lu comme le deuxième volet d’un diptyque féminin, dont « Femmes Femmes » serait le premier moment (les deux films étant par ailleurs co-scénarisés avec Noël Simsolo). C’est assurément la rareté de cette première sélection rétrospective, car le film, avec son contenu ponctuellement pornographique, n’avait pas fait l’objet de reprise en édition DVD jusque-là, contrairement aux autres titres. Il partage avec le précédent, outre sa dominante de femmes à l’écran, le goût ludique du détournement, du simili pastiche, et d’une sur-théâtralisation du réel, investi par la fantaisie sexuelle et morbide de son héroïne. Le personnage joué par Myriam Mézières est un privé, figure de dure à cuire, mais aussi une incarnation mélancolique au sexe un peu las. Elle évolue entre le monde de sa commanditaire, une femme de pouvoir calculatrice, Hélène Surgère (l’Algérie et les ex-barbouzes de l’OAS trament dans le fond), et un cabaret interlope, devanture d’une industrie pornographique dérangée et crapuleuse, spécialisée dans le chantage.

Il fût beaucoup question à l’époque de la sortie, de savoir si « Change pas de main » n’était que la réponse à une commande, autrement dit un film d’exploitation plus que « d’auteur », ou s’il s’intégrait de plein droit dans la filmographie du réalisateur. Vecchiali, pour sa part, a répété sans malice apparente qu’il ne faisait aucune distinction entre ce film et les autres. Et « Change pas de main », en effet, ne se réduit pas à un simple film pornographique, étant bien trop stylisé et scénarisé pour cela ; il n’est pas davantage un objet « féministe » stricto sensu, même s’il joue l’inversion des rôles usuellement virilisés. Si l’on dépasse le débat critique, faux et insoluble – grande œuvre ou mineure, commande ou film personnel –, « Change pas de main » se regarde pour ce qu’il est : une sorte de fantaisie graphique un peu sombre, inspirée par le cabaret, ses travestis et ses postiches, dans lequel se projette, plus ou moins confusément, tout le trouble de l’époque : des identités, des visages, des sexes ; et celui du pouvoir, de ses accouplements et sa progéniture, forcément monstrueuse (Jean-Christophe Bouvet en rejeton pervers, muet et psychotique, échappé d’un roman gothique). Son imagerie distanciée et son exécution rapide n’appellent pas la même adhésion émotionnelle : c’est un plaisir de surfaces, reflets et déformations, souvent grotesque et affecté. Avec son lot de clins d’œil (au film noir, à Chandler, à Von Sternberg), le film navigue entre l’invraisemblance ludique de la culture de genre, la langueur des ébats rendus triviaux, et les dissonances morbides de la petite mort. Un crachat de dégout, lui sert, tel un symptôme, de conclusion amère.

La seconde partie de la rétrospective de 1983 à 1988 sera en salles l’été prochain, à compter du 8 juillet 2015. Elle contiendra 4 films emblématiques de cette autre décennie : « En Haut des Marches » (1983, avec Danielle Darrieux, Françoise Lebrun, Micheline Presle…), « Rosa la Rose, fille publique » (1986, avec Marianne Basler, Jean Sorel…), le très beau « Once More » (1988), un incontournable ; et enfin « Le Café des Jules » (1988, avec Jacques Nolot, Brigitte Roüan…).

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Rétrospective Paul Vecchiali partie 1 : de 1972 à 1979

« Femmes Femmes » (1974) et « Change pas de main » (1975)

Distribution : Shellac – copies numériques restaurées

En salles à partir du 11 février 2015

et toujours à l’écran depuis le 28 janvier 2015 :« Nuits blanches sur la Jetée »

Visuels © Shellac

Hélène Surgère et Sonia Saviange dans « Femmes Femmes » /

Myriam Mézières dans « Change pas de main »

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A propos de William LURSON

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