Tobias Lindholm et Michael Noer – "R" (comme Rune)

 Co-réalisé par les futurs réalisateurs de Hijacking (Tobias Lindholm) et Northwest (Michael Noer), R vient confirmer la nervosité du cinéma populaire danois. Sans doute bien inspirés par le succès de Borgen dont Lindholm était l’un des scénaristes, les distributeurs ont eu la bonne idée de sortir cette terrifiante plongée dans l’univers carcéral. Peut-être pas d’une originalité folle, mais en tout cas, rudement efficace.

 

 

Le monde carcéral, là où le temps et l’espace sont comme distordus ou arrêtés, n’en finira jamais d’inspirer scénaristes et réalisateurs. Les séries américaines, les films de cinéma semblent se répondre dans une sorte de caisse de résonance, dans un crescendo quasi schizophrénique. Ces œuvres tentent de préserver et de nourrir une mythologie sans cesse à réinventer, depuis les premiers héros innocents, victimes d’injustice et de cruauté, qui ne songeaient qu’à s’évader… Et, quasi cliniques et documentaires, elles donnent toujours plus à voir de la violence inhérente à l’enfermement et à la prison.
R de Tobias Lindholm et Michael Noersorti en 2010 au Danemark, assume une voie exemplaire sans jamais s’en départir, celle d’une réalisation sobre, constante et éblouissante de sens à la fois. Le film est immersif jusqu’à donner la sensation d’une réalité documentaire, tout en distillant jusqu’au bout, par-delà ce faux réel, des sentiments concrets; ceux d’un gâchis irréversible, de la permanence vitale de la sauvagerie, d’une grande souffrance du corps et de la psyché, de la torpeur ressentie face à la vacuité de certaines vies.
L’histoire de R, Rune (Pilou Asbæk magistral) commence comme pas mal d’autres films de ce genre, exactement comme Le Prophète sorti la même année en France. A part ce point commun scénaristique, les deux films partagent aussi quelques codes; l’arrivée de jeunes au milieu de clans rivaux en place, la hiérarchisation fasciste de ces bandes, la dépersonnalisation du détenu face au système, à l’autorité et à l’arbitraire des matons, les « bizutages » brutaux des codétenus, les brimades, les coups et les tortures, les premières atrocités à commettre comme preuve de ralliement à un caïd, pour surtout rester en vie…
D’emblée pourtant, le spectateur n’est pas dans un film de plus. Malgré la reconnaissance de ces quelques repères cités plus haut, R se singularise par une parfaite et admirable absence d’effet, sur la forme comme sur le fond. Les réalisateurs dépeignent toutes les situations successives avec un traitement invariable et égal; de la courte parenthèse enchantée le temps d’un pétard allongé sur un lit, aux évènements les plus oppressants et les plus violents.
Le film ne laisse aucun espace à une quelconque possibilité de mythification de la vie carcérale d’aujourd’hui et de ses « anti-héros » dont Rune. Le spectateur, pourtant enfermé à ses côtés, à le suivre, à se crisper, à « respirer » juste un peu, à avoir peur, etc. assiste de plus en plus passif, prostré et distancié, à l’anéantissement irréversible d’une vie gâchée.
Comme la prison moderne avec ses détenus, le film vide littéralement le spectateur de tout affect. Il ressort dépourvu d’une projection compassionnelle, même fugace et démuni d’empathie de toute façon inutile. Face aux forces destructrices dignes d’un tsunami : celle du groupe contre l’individu, celles de la soumission, de l’humiliation, du mensonge, de la trahison, du meurtre, celle enfin de pouvoir sauver sa peau, R n’est qu’un grain de poussière…

 

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A propos de Christophe SEGUIN

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