Gravity fonctionne sur le principe d’un huit-clos dont le décor et le principe (un nombre réduit de personnages / un lieu unique / une tension croissante) loin d’être purement illustratifs deviennent le prétexte à la métaphore. Ils mettent en relief et traduisent les émotions des personnages jusqu’à en devenir une allégorie existentiel. En cela, Gravity est un film très malin, très intelligent puisqu’il prend pour unité de lieu un espace aussi infini que l’esprit, où nulle vie ne peut subsister avec en arrière-plan permanent la Terre, le berceau de la vie, ce point qui semble si inatteignable pour Ryan Stone (Sandra Bullock), dernière survivante du nuage de débris ayant détruit le vaisseau Explorer. On apprend très vite qu’elle a perdu sa petite fille. Un enfant est un bout de nous-mêmes et s’il en vient à disparaître prématurément, ce morceau de nous disparaît avec lui, laissant un vide incommensurable, un trou noir qui aspire toutes les raisons que l’on pourrait avoir de continuer à vivre. L’on devient en quelque sorte spectateur de sa propre vie, curieusement détaché voire indifférent à tout choc ultérieur et soit on se roule en boule par terre et on se laisse mourir, soit on se relève. Ryan est ici confrontée au pire. Seule, à la dérive, poursuivie par des débris instantanément mortels, sa seule chance de survie est de rejoindre le module Soyuz sur la Station Spatiale Internationale. En dépit de ses efforts, le Soyuz manque de peu de devenir son tombeau et la voilà repartie vers la station spatiale chinoise Tiangong, son dernier espoir. Comme dans la vie, les situations se répètent jusqu’à ce qu’on accepte de lâcher prise des débris destructeurs de son passé, lorsqu’on flotte dans une sorte de vide existentiel et qu’on se retrouvé balloté au gré du hasard des chocs.
Nous étions curieux de vérifier si ce voyage parmi les étoiles allait tenir toutes ses promesses visuelles et sensorielles glanées au travers de brefs extraits présentés à l’avance, en sachant également qu’à l’instar d’un James Cameron, Cuaron a lui-même fait construire des caméras et autres lumières pour traduire sa vision à l’écran. A travers une 3D qu’il sera bien difficile d’égaler par la suite, Cuaron passe de façon très habile entre prises de vues subjectives et objectives dans de longs plans séquence d’une maîtrise impressionnante. Nous ressentons pleinement l’isolement dans ce milieu hostile et le facteur de stress est régulièrement porté à son comble. La sensation de vertige est omniprésente dès les premières images, tous repères terrestres supprimés au profit d’une perte de gravité, soulevant le spectateur de son siège confortable pour l’emmener flotter tout là-haut avec les cosmonautes. Ainsi, Gravity sort du cadre d’un « simple » film de survie dans l’espace pour devenir une expérience autant visuelle que sensitive et auditive à travers la bande son réduite au minimum (aucun son n’existe dans l’espace) mais renforcée par le score composé par Steven Price d’une redoutable efficacité. On y retrouve bien quelques clins d’œil évidents à 2001, L’odyssée de l’espace, un autre film de SF ayant fait date dans l’univers cinématographique, mais Cuaron les intègre de façon organique à son histoire et non comme de vulgaires copié-collés. Et si, justement, Cuaron opérait par Gravity une variation autour d’une unique scène de Kubrick, celle où le cosmonaute voguant seul vers l’infini nous entraîne avec lui au fin fond du vertige cosmique ? Cette question reste…. en suspens.
Quant à l’interprétation, Sandra Bullock livre une prestation aussi juste que touchante dans le rôle d’une mère orpheline de son enfant qui n’a rien d’autre que sa propre âme en miettes auquel se retenir. Dans la première partie du film, elle est encore accompagnée de George Clooney dont les histoires drôles et la voix rassurante sont un point d’ancrage autant pour elle que pour le spectateur.
Au-delà des prouesses techniques encore jamais vues à l’écran, Alfonso Cuaron et son fils co-scénariste Jonas nous offrent là une magnifique métaphore pour l’adversité de la vie et la renaissance personnelle. La solitude extrême nous met face à nous-même comme rien d’autre. Ce que nous avons enfoui tout au fond de nous remonte tel des bulles d’air éclatant à la surface d’une mare stagnante, relâchant des effluves impossibles à ignorer. Nos enveloppes charnelles si petites, si limitées contiennent toutefois une profondeur d’âme, de sentiments, de croyance et de confiance insoupçonnée. Rien n’est gravé dans la pierre, aucun état, aussi beau ou douloureux soit-il, n’est définitif. Et si l’on n’a strictement aucun contrôle sur les évènements extérieurs, on préserve le contrôle de nos propres vies à travers les choix qui se présentent à nous. La Vie se charge elle-même de nous mettre à l’épreuve de notre résistance en nous envoyant des coups qui nous laissent à terre, hagards et étouffants de souffrance. Et là, que faire ? Rejoindre la mort, cette douce entité qui nous tend les bras vers le seul endroit où l’on désire être ? Ou choisir de vivre avec tout ce que cela comporte de combats et de nouvelles souffrances ? Se relever et affronter ce qui doit l’être pour en sortir gagnant et plus fort, transformer tout le négatif en positif. Soulager nos genoux du poids qui nous écrase en plantant fermement les pieds sur terre pour avancer, un pas après l’autre vers la vie. Enlacer cette vie de toutes nos forces, l’accueillir dans notre cœur, notre corps et notre esprit pour la ressentir pleinement, jusqu’au bout de notre être et ainsi être entièrement réceptif à tout ce qui nous entoure. Croire que ces combats en valent la peine et qu’un jour, cette même Vie nous récompensera au-delà de ce qu’on imaginait possible.

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