Venu du documentaire pour nourrir la fiction de ses expériences, Christophe Farnarier réalise avec El perdido un véritable manuel de la vie sauvage. En s’attachant aux actes d’un homme perdu à travers la Catalogne, le cinéaste installé de l’autre côté de Pyrénées livre un film radical et passionnant. Retrouver le sens de l’essentiel passe nécessairement par une aventure de cinéma où le manque de moyens devient ici un atout et l’exigence, son carburant. Amateurs d’extrême nature ou cinéphiles désireux d’autre chose retrouveront ici un espace-temps propice à voir naître les émotions et accueillir tous leurs questionnements. Un film comme seul le festival d’Alès sait oser en programmer !

On a le sentiment en découvrant El perdido que vous avez peut-être expérimenté en partie ou en tout cas connu des gens ayant vécu la vie sauvage…
J’étais adolescent dans les années 70 et donc j’ai connu des gens qui ont vécu des utopies, qui ont cherché à vivre différemment. Même dans ma famille, il y avait des gens qui avaient fait l’ENA et qui sont ensuite partis. Ils avaient des chèvres sur le plateau de Valensole… Donc j’ai vécu ça de près. Ensuite, il s’est passé des tas d’années et moi je cherche… Je crois que l’utopie doit revenir, c’est quelque chose dont on a besoin, surtout en ce moment !

Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
Au départ, j’étais en train de finir mon film précédent, La Primavera, un documentaire sur une femme qui vit dans une ferme dans la montagne. Pendant les pauses du tournage, puis du montage, j’ai relu Walden. Pour lire, je prenais la voiture et j’allais m’installer dans la forêt. Je lisais en prenant des notes. Et puis je me suis posé la question, non pas d’adapter Walden, parce que l’adaptation c’est pas mon truc, mais de comment faire résonner au jour d’aujourd’hui ce discours qui a quand même plus de cent cinquante ans. A partir de là, j’avais fait tout un travail de prises de notes etc. et d’autre part, j’avais un ami qui est mon voisin – on habite dans un petit village. On n’est pas beaucoup et on s’entend très très bien depuis des années – et il me disait toujours que son rêve, c’était d’aller se construire une cabane dans la forêt. Je me disais que ce serait génial que je prenne la caméra et que je fasse un documentaire sur la construction de sa cabane. Ça, ajouté à Walden, ça donnait déjà une base… A ce moment là, j’ai reçu un coup de téléphone d’un producteur de Madrid qui avait vu mes films précédents et qui cherchait un réalisateur pour tourner un film sur une histoire vraie qui avait eu lieu en Andalousie, l’histoire d’un paysan qui voulait se suicider et finalement ne se suicidait pas et avait vécu quatorze ans caché dans la forêt andalouse. Alors on s’est mis à travailler, on a fusionné toutes les idées. On a pris des éléments dans une, des éléments dans l’autre, des morceaux de Walden etc. On a écrit une première version, puis une nouvelle et à chaque fois l’histoire évoluait. Elle s’est construite et simplifiée à la fois. Je suis plutôt favorable à un cinéma peu narratif, qui évacue la psychologie, un cinéma plus orienté sur le geste, sur les cycles, le sensoriel. Donc petit à petit, le scénario est passé de 80 à 60 pages, puis à 40. Il n’y avait plus de dialogues, plus rien. Puis on s’est mis à tourner sur ce qui était écrit…

Christophe Farnarier et Nathalie Combe sur le plateau de Radio Grille Ouverte - Festival Itinérances 2017 © Alix Fort

Christophe Farnarier et Nathalie Combe sur le plateau de Radio Grille Ouverte – Festival Itinérances 2017 © Alix Fort

Quelle a été finalement la part d’improvisation au tournage ?
Énorme ! Il a fallu trois ans pour le montage financier, et pourtant c’est pas un gros budget… C’est tombé en plein milieu de la crise économique espagnole.

Ça représente un budget de combien ?
De l’ordre de 400 000 euros, un truc comme ça. Mais il y a eu l’argent du gouvernement central espagnol, l’argent du gouvernement catalan, la télévision catalane et puis il y a eu – heureusement sinon on n’arrivait pas à boucler ! – de l’argent de la région Languedoc-Roussillon à l’époque. Une fois le budget bouclé, quand tout a été prêt, moi entre temps j’avais vu beaucoup d’endroits, j’avais cherché des décors et tout ça… J’étais certain que le personnage allait être interprété par mon copain, donc j’ai réécrit une nouvelle version juste avant le tournage, où j’ai encore élagué, éliminé tout un tas de trucs et je suis vraiment allé à l’essentiel. A partir de là, on a tourné, en tournant évidemment avec une toute petite équipe, et avec Adri ( Adri Miserachs, comédien unique du film ), on a énormément improvisé. On avait des bases mais on faisait absolument ce qu’on avait envie. Personne n’était là pour nous contrôler ou quoi que ce soit… Tout dépendait des lieux, de l’ambiance, des actions qu’on avait choisies de filmer et de la manière… Par exemple, quand il a fallu construire la cabane, je lui ai dit « Écoute, on a toute cette forêt pour construire la cabane. Où est-ce que tu as envie de la faire ? » Donc il a regardé et il a trouvé. Il m’a dit « Là ! Là, ça serait le meilleur endroit pour faire ma cabane ». Pour la caméra, c’était pas nécessairement le meilleur endroit, mais l’important c’était qu’il fasse sa cabane à l’endroit où lui pensait que c’était le bon endroit pour la faire. Parce qu’en fait, il avait calculé que de là, il voyait arriver de loin quoi que ce soit qui s’approchait de lui, il y avait une pente qui faisait que l’eau s’écoulait s’il pleuvait etc… Et ça a souvent été comme ça pour ce film… On l’a fait à mesure. Sur mesures ! En s’adaptant à ses besoins et à mes besoins. Et d’autre part, j’ai une manière de tourner qui est assez particulière où je ne fais pas de répétitions. On fait un clap au démarrage et à partir de là, la caméra tourne. Les cartes mémoire duraient vingt minutes donc je pouvais faire des plans de vingt minutes. Donc on commence et on voit ce qui se passe. On improvise beaucoup et je me déplace, je change d’endroit, je lui donne des indications en cours de plan etc. En fait, les plans sont vraiment définis au montage. On prend alors cette séquence de vingt minutes et on définit où est le début et où est la fin du plan.

On a en effet l’impression d’une cohérence exceptionnelle du montage, notamment par la durée et le type de plans. En plus de ce gros travail de montage, j’ai cru comprendre qu’il y avait pas mal de lieux de tournage différents alors qu’on dirait presque qu’on est dans un film ethnographique, qui circonscrit un territoire assez réduit, avec une envolée peut-être pour les paysages aquatiques qu’on devine être plus méridionaux. Combien y a-t-il eu de lieux de tournage et où se situaient-ils ?
On a tourné dans toute la région qui va de L’Emporda au bord de mer, et vers l’intérieur, jusqu’aux Pyrénées. On a aussi passé la frontière pour tourner des séquences dans les Pyrénées Orientales, puisque dès le début c’était dans le projet. En plus la Région aidant le film, il était évident qu’on allait tourner en territoire français et dans la région. Il y a eu aussi des techniciens du Languedoc-Roussillon. Pour revenir sur la question du montage, le rythme est énormément travaillé. C’est très très important dans le film. La durée des plans est calculée au millimètre près et aussi leur succession, parce que dans le fond, c’est ça la narration ! Elle est dans le rythme, plus que dans des éléments narratifs traditionnels.

El Perdido (2016) © French kiss Productions

El Perdido, de Christophe Farnarier (2016) © French kiss Productions

On peut parler de respiration d’ailleurs…
Oui, oui ! Il y a un énorme travail en post-production. C’est un an de montage pour l’image et le son, parce qu’il y a un travail phénoménal sur le son et sachant que si c’est un film dans lequel il n’y a pas de dialogue, la nature, elle, parle ! Il y avait une montagne de sons naturels, de sons réels, sur place, de ce qu’on appelle les sons directs. Et puis ensuite, il y a eu un travail pour créer un agencement cohérent, harmonieux et je dirais même musical, des sons. Même chose au niveau du rythme du montage… Je pense toujours qu’un film, c’est comme une petite rivière de montagne. Elle a des moments où elle s’accélère, où elle ralentit, des moments où elle a des pierres au milieu. Il faut beaucoup travailler ce rythme là parce qu’on entre dans une espèce d’hypnose. Le cinéma, c’est quand même une expérience hypnotique aussi… J’avoue que j’ai du mal avec les films actuels, le montage des films d’action par exemple. Tout est haché. Ça va à toute vitesse, il se passe cinquante mille trucs en trois plans… Alors que là, non ! On entre dans une dimension beaucoup plus proche de la peinture, de la photographie et tout ça.

C’est assez elliptique en terme de récit. Il y a beaucoup de déplacements mais ils ne sont pas nécessairement montrés. Peu de temps de marche mais beaucoup de temps de pause, de gestes et d’actions sur place.
Disons que le film est divisé en six chapitres. Le premier, c’est Le suicide, le deuxième chapitre c’est Mourir, le troisième c’est Le premier homme, ensuite c’est Le Roi de la forêt, ensuite Le nomade, puis La cabane et enfin le dernier, c’est Le paysan. Ce sont des chapitres très thématiques. A l’intérieur de chacun, il y a un traitement. Certains éléments naturels qui interviennent, par exemple le vent, la neige ou le froid, la chaleur ou la pluie etc. Chaque chapitre a ses éléments qui le composent. Même chose au niveau des décors. C’est très important. J’avais fait un énorme travail de préparation, de recherche, parce que je voulais d’une part que le décor soit varié mais en même temps qu’ils soient harmonieux, qu’il y ait une crédibilité. Alors qu’en réalité, c’est filmé dans une région qui est assez grande, ça représente cent cinquante kilomètres de large pour cent kilomètres de long. Mais elle est traitée comme si c’était une région plus petite et d’ailleurs, personne ne reconnaît exactement les endroits où j’ai tourné, même les gens du coin ! Je suis vraiment allé chercher des endroits qui étaient importants pour la narration du film. Le paysage est la narration dans ce film là. Et le rythme du montage, c’est comme le langage, ce sont ses dialogues. Bon, ça c’est une théorie à moi ! Le cinéma est seulement un art qui a cent et quelques années, donc un art tout jeune et absolument pas comparable à la littérature, la danse ou la peinture On ne peut pas déjà s’enkyster dans des trucs… Ça me tue moi quand on parle de traditions, de je ne sais quoi… On a encore tout à inventer en cinéma et il faut expérimenter. Chercher son propre langage, essayer des trucs. Des gens m’ont dit « Faire un film sans dialogues, mais tu es fou ! » Mais non ! Au contraire ! C’est super intéressant…

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Christophe Farnarier et Nathalie Combe présentent « El Perdido » au Festival Itinérances 2017 © Alix Fort

Absolument ! Pour le héros ou protagoniste, anti-héros peut-être – et est-ce qu’il ne serait pas à bien des égards l’homme originel ? -, il y a la nécessité de rentrer se ressourcer sous la terre. En quoi renaît-il ce roi de la forêt ? En homme, en loup, un peu des deux ? Je pense à ces séquences où il part en maraude dans les maisons. Est-ce qu’il est juste chasseur-cueilleur ?
Dans le fond, il est extrêmement complexe et en même temps, il est assez simple. D’abord, il est incarné par une personne qui vit complètement le personnage, qui ne cherche pas à interpréter, à faire ressentir ou je ne sais quoi. Il sent les choses à la première personne. C’est un homme qui est perdu, qui se perd, qui cherche à mourir, un type qui est au ras des pâquerettes, effondré. Que la nature pourrait tuer et là, elle le sauve… Il entre dans la grotte et un peu comme le Vendredi de Tournier, en pénétrant dans cette grotte il renaît. A partir de cette renaissance, il découvre le feu, et puis il découvre la cueillette,  la chasse, et puis le nomadisme, il découvre la première cabane. Le premier habitat. C’est vrai qu’il y a un moment où il pourrait partir et devenir un animal ! Mais l’homme n’est pas devenu un animal… L’homme est devenu l’homme, non ? Lui, c’est pareil. Il suit l’évolution humaine. Donc il y a cette phase de nomadisme, de cueillette, de chasse et à un moment, il y a l’arrivée du sédentarisme. La culture, la lecture, l’écriture. Un travail intellectuel. Il n’y a aucun animal qui lit ou écrit. D’autre part, l’homme est technologique par définition, il n’arrête pas d’inventer des trucs, d’améliorer son quotidien… Notre personnage fait la même chose. Mais, et c’est là où je crois qu’on est très proches de l’idée de Thoreau, c’est dans l’idée qu’au fond, il faut éliminer le superflu. Il faut éliminer tout ce qui ne sert à RIEN, ce qui vient de cette société de consommation. C’est fou que Thoreau critique la société de consommation en 1845 . On est en 2017, plus de cent cinquante ans après, et si le pauvre Thoreau venait faire un tour au jour d’aujourd’hui, il aurait trop peur ! ( rires ) On n’a plus que des choses qui ne servent à rien ! A partir de là, notre personnage, lui, retourne à l’essentiel et à ce qui fait un être humain. Il y a un phénomène de reconstruction de lui-même comme être humain, parce qu’il était à l’agonie et finalement, il arrive à un état de plaisir, de bonheur, de stabilité, d’harmonie avec lui et avec son entourage physique en ayant éliminé en cours de route,  parce qu’il a fait du nettoyage. Moi je crois qu’on est à une époque où il y a besoin d’une réflexion comme celle-là. Je ne dis pas que mon film apporte une vérité, mais il pose des questions sur la manière dont on est entrain de vivre au jour d’aujourd’hui. Je crois à une capacité du cinéma. Le cinéma est fait de ce qu’on met dans le cadre et de ce qui est en dehors du cadre. La société actuelle n’est pas dans le cadre. Elle n’est pas dans mon film. Justement, je la remets en question.

de Christophe Farnarier

El Perdido (2016) de Christophe Farnarier © French kiss Productions

Antoine Leclerc ( Délégué général du festival Itinérances ) parlait de Survival, en référence au film de genre, est-ce qu’on n’est pas même dans un film de Survivant, parce que justement il n’y a pas d’autre être humain. Il n’y a que des choses à l’abandon. Je pense à ce plan de la voiture recouverte de poussière. On pourrait presque être dans un espace-temps poétique à l’image de Stalker, dans une autre dimension qui serait aussi celle de l’Après et ce qu’on en fera ?
Pourquoi pas… Moi j’aime beaucoup les films de Tarkovski. Ce sont des films qui sont à mon avis très très très importants au niveau de ce qu’ils nous disent ou de ce qu’ils nous posent comme questions et par la manière poétique qu’il a d’utiliser le cinéma. En ce moment, on est en pleine campagne électorale en France et tout le monde fait son programme. Mais… Ils marchent sur la tête ! Les uns comme les autres ! Ils ne voient pas la réalité, l’état des lieux de la planète. Donc mon personnage est à contre-temps. Il est à la recherche de l’essentiel. Il y a un lien entre nous et la Terre qui a été brisé et qu’il faut reconstruire. On lui a fait du mal alors qu’on n’avait aucun droit de faire ça. En réalité, on vit de la Terre. On naît de la terre donc il faut retourner vers une relation beaucoup plus équilibrée entre nous et le milieu réel, le milieu naturel.

Vous avez trouvé comme productrice Nathalie Combe ( à l’origine des compilations Caméra stylo éditées en dvd par Pharos productions ) , elle-même originaire des Cévennes. Aviez-vous conscience à ce moment là des similitudes entre vos territoires respectifs, qu’ici aussi des gens vivent comme votre héros ce type d’expérience ? Il y a d’ailleurs des faits divers assez violents, d’expulsions, de cabanes incendiées qui pourraient faire songer à la scène du film dans laquelle l’arrivée des chasseurs crée une grande tension. Aviez-vous eu connaissance de ces histoires et aussi, est-ce que son expérience de l’écriture vous a aidé ?
De manière inconsciente peut-être, de manière consciente non. C’est la première fois que je viens ici. Mais je pense que ce film, par son absence de dialogue, est international. Donc dans le fond, il peut parler avec des tas d’autres territoires. C’est tourné dans les Pyrénées ok ! Mais au fond, ça résonne avec d’autres endroits. Je pense que la Nature est plus forte que les étiquettes, les nationalités. Mon personnage n’a même pas de nom ! Ça peut être moi, toi, lui, tout le monde… C’est ce que j’ai cherché à faire : une histoire très personnelle mais d’une portée universelle. Les Cévennes en font partie consciemment et inconsciemment.

El Perdido (2016) de Christophe Farnarier © French kiss Productions

El Perdido (2016) de Christophe Farnarier © French kiss Productions

En termes de production, ça a été un film tourné sur une période d’une année, à raison de pas mal de semaines de tournage chaque mois, mais aussi dans des lieux difficiles d’accès. Comment la production a-t-elle pu vous vous garantir de bonnes conditions de travail ?
L’intelligence des producteurs a été de me laisser faire ce que je voulais. Je pense qu’un créateur, il faut le laisser travailler et le laisser en liberté, je crois que c’est le meilleur système. D’autre part, j’ai demandé tout de suite à tourner le film dans l’ordre chronologique pour avoir l’évolution du personnage et celle du paysage. Ça n’a pas été obligatoirement facile, parce que garder une équipe sur plus d’une année, à raison de quelques jours par mois, ce n’est pas évident. Mais ça faisait partie de l’écriture et de la cohérence du projet. D’autre part, on a eu un budget qui était suffisant pour faire le film, mais c’est un tout petit film en réalité ! On n’a pas tourné non plus dans des conditions luxueuses. On habitait sur place, on était une toute petite équipe de sept, huit, dix personne au maximum et selon les séquences. Ça reste une petite équipe, où tout le monde faisait beaucoup de choses. C’était intéressant d’ailleurs, puisqu’il y avait des gens de Madrid, des catalans évidemment et puis des gens qui venaient du territoire français. C’est un groupe qui avait l’air composite comme ça, mais qui finalement était très homogène. Je pense que la part française a apporté de la technique, la caméra en particulier, des décors… Tout cet accompagnement là a été important. On a effacé la frontière des Pyrénées, comme si c’était un seul et même pays.

Il y a des plans de paysages qui sont vraiment habités. On a parfois l’impression que les stases contemplatives sont comme des étapes dans l’évolution du personnage. Est-ce que ces plans là, vous les avez trouvés assez facilement ou au contraire il vous a fallu vous poser comme le personnage, pour qu’au bout d’un moment ils s’imposent d’eux-mêmes à votre regard ?
C’est à dire que c’est moi qui filme, qui tient la caméra et qui m’occupe de la lumière. Je travaille avec la lumière naturelle, il n’y a pas d’ajout de lumière artificielle d’aucune sorte. Pendant des années, j’ai travaillé dans le documentaire, je sais qu’il y a des moments où il faut savoir attendre. On avait des journées qui étaient organisées de manière à ce que, s’il fallait attendre, on pouvait attendre. D’autre part, on a eu du bol aussi. Mais s’il pleuvait un jour de tournage, alors je mettais la pluie dans le scénario. Pas question de se dire « Holala, merde il pleut ! Qu’est-ce qu’on va faire ?» Non, on tourne la pluie ! C’est clair que c’est un cinéma beaucoup plus contemplatif. La caméra  est contemplative. Donc parfois, on attendait deux heures pour avoir la lumière exacte qu’il fallait pour le film.

El Perdido (2016) de Christophe Farnarier © French kiss Productions

El Perdido (2016) de Christophe Farnarier © French kiss Productions

Le personnage retourne graduellement vers la civilisation au bout d’un chemin où il erre de maisons en maisons et y récupère différents objets. Est-ce qu’ils sont pour vous des dons de la nature ou est-ce que les choses ont une âme, est-ce qu’elles ont une vie propre ?
Là, c’est la question à mille dollars… Non, dans le film, c’est clair qu’il y a certains objets qui étaient clé. Au départ, il a avec lui un briquet et un couteau, ce sont les seuls éléments qu’il a. Et deux cartouches dans son fusil. Après, je suis parti d’une réalité, c’est qu’il y a beaucoup de maisons abandonnées parce que le territoire rural a été laissé à l’abandon. Très souvent, on trouve des tas et des tas de trucs dans ces maisons. Il n’y a pas seulement trois pierres et des tuiles cassées, mais il reste toujours des choses. Il y a tellement d’endroits où on a tourné et où on a trouvé des éléments qui nous ont servis… Moi je suis fasciné par les gestes, plus particulièrement par les gestes du travail. Un de mes films précédents était sur un berger, une paysanne et sur la gestique de leur travail. Dans ce cas présent, la séquence de la construction de la cabane est vraiment physique, c’est vraiment lui qui l’a construite. Il a planté chaque clou, coupé des arbres etc… et c’était magnifique ! Moi j’aime l’activité physique, parce que l’activité physique est pensée. Ce ne sont pas que des gestes gratuits ou quelqu’un qui regarde son téléphone portable. Quelqu’un qui coupe un arbre, il faut le faire tomber du bon côté, couper au bon endroit, choisir l’arbre. Il faut s’économiser pour donner les coups de hache. Et là, même chose, il y a un son. J’adore tous les sons de mon film. Le son de la hache, le son des pas, de la pluie, du vent, tous ces sons là… Ils existent, ils sont là mais le film nous permet de les écouter vraiment. Alors : est-ce que les objets ont une âme, je ne rentrerai pas dans la discussion parce que je ne sais pas où elle nous mènerait, mais ils sont importants en tout cas. Il y a peu d’objets dans mon film mais ils ne sont pas là par hasard.

Ils ont une réelle présence en effet ! Au générique de fin, vous remerciez un certain nombre de cinéastes. Est-ce qu’il y a d’autres influences cinématographiques, littéraires ou poétiques qui vous ont nourri sur ce projet?
Au générique, il y a des remerciements parce que j’ai mis cinq ans pour faire mon film. Durant ces cinq années, j’ai lu des livres, regardé des tableaux, vu des expositions, des films et dans tous ces éléments là, certains m’ont aidé à la construction du film. Dans ces remerciements, il y a des gens de mon entourage, de ma famille comme des cinéastes que je n’ai pas connus et qui sont morts, mais qui m’ont influencé pour ce film là. D’autre part, on ne fait jamais rien sans rien. On n’invente rien, je pense qu’on reprend toujours des tas de choses et on essaie de les mener comme on peut. Donc c’est important de savoir qui il y a avant nous et qui a fait des choses dans le même sens, de belles choses qui nous ont amené à faire notre travail. Tout cela en fait partie… Sinon, il faut relire Thoreau. Il a cette réflexion entre l’homme et la Terre qui est très importante. On l’a maltraitée, on l’a martyrisée la Terre, donc il faut rééquilibrer cette relation là. Ça n’a pas de sens de faire des essais nucléaires, souterrains, sur la mer, de creuser partout, de tout détruire. Tout cela n’a aucun sens ! Et au niveau du quotidien, on n’a pas besoin de tout ce que nous offre une société de consommation qui est un grand leurre, la super arnaque et je pense qu’il faut retourner à l’essentiel.

Entretien avec Pierre Audebert pour Culturopoing et Radio Escapades. Moyens techniques : Radio Escapades. Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier, Julie Uski-Billieux et Eric Antolin. Photos: Patrice TerrazAlix Fort et French kiss Productions.

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