Sous une gueule d’ange, une grenade dégoupillée prête à exploser à chaque instant, ainsi pourrait-on qualifier Matej Zemljič, l’acteur principal du premier long-métrage de Darko Štante. Et nous allons suivre la trajectoire de cette grenade dans une société slovène où tout concourt à démultiplier sa violence: les systèmes éducatif, judiciaire, policier et social qui, comme les espaces étriqués du centre de détention pour jeunes où l’action se déroule, semblent repousser la carrure athlétique de l’adolescent hors de leurs murs trop étroits, hors du foyer, hors de leurs facultés de compréhension et de tolérance. Andrej, le jeune homme de 17 ans qu’interprète magnifiquement Matej Zemljič se découvre homosexuel au moment même où ces murs se referment sur lui et c’est ce passage délicat et éprouvant que capte Conséquences.

©Epicentre Films

Le premier mur à s’abattre sur Andrej sous nos yeux est celui de l’autre sexe avec le regard méprisant, rejetant, projeté sur son apparente impuissance ; regard qui fera écho à celui de la mère dure, rêche et murée dans ses angoisses. Scène par scène, presque tableau par tableau, le film égrenne les situations où ces premiers murs vont appeler tous ceux qu’une société conservatrice et dominée par l’église catholique peuvent installer. En Slovénie aujourd’hui, malgré des apparences progressistes, deux hommes ne peuvent toujours pas se tenir par la main ou afficher une intimité.

Entre ces tableaux qui semblent poser chaque situation et ses conséquences directes selon un art du cut radical, la caméra étonnamment fluide et souple restitue le ressenti des uns et des autres, alternant le chaud et le froid: scènes de fêtes et leur cortège de conduites dissociatives sous coke, sexe et violences, scènes d’enfermement dans le centre où la démission générale des éducateurs laisse toute la place aux relations d’emprise, bizutages humiliants et harcèlement moral en spirale.

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Car les filets de séduction et de manipulation avec lesquels Zeljko emprisonne Andrej paraissent visibles à l’œil nu du spectateur et invisibles à la majorité des éducateurs débordés par la violence de ceux qu’ils sont sensés protéger. Les autres éducateurs peuvent questionner Andrej en toute tranquillité sur les mauvais traitements qu’il pourrait subir, ils savent qu’ils peuvent compter sur l’omerta ambiante.

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Premier mérite du film, nous restituer le caractère invraisemblable, impensable du phénomène de harcèlement à l’œuvre, connu pour isoler d’autant plus la victime. Les sentiments amoureux d’Andrej pour Zeljko le rendent d’abord aveugle à ce harcèlement, aidé en cela par l’ensemble du système pervers qui les entoure: défection des parents, démission des éducateurs, exclusion sociale. « C’est un fait établi que les jeunes de ces centres proviennent de classes sociales défavorisées et que les difficultés matérielles, l’éducation conduite par les parents, sont la cause de leur exclusion sociale et de leur délinquance » affirme le réalisateur, lui-même tuteur dans un centre de réhabilitation de jeunes en difficulté. Aucune compassion, aucun questionnement thérapeutique ne sont offerts aux jeunes détenus, aucune pitié ne vient jamais donner une apparence d’humanité à la loi de la jungle qui règne entre eux: « Dans ce film, j’ai tenté de montrer ces centres comme des lieux claustrophobes, où rien ne fonctionne comme cela devrait marcher. Sans l’autorité des éducateurs, les jeunes établissent leurs propres règles dont ces éducateurs ne tiennent pas compte et le centre devient un lieu sans loi » explique Darko Štante. Avec une brutalité extrême, les scènes d’intimité sexuelle s’enchaînent directement aux scènes de violence les plus éprouvantes ; la profonde douceur féminine d’Andrej s’oppose aux provocations et démonstrations de force masculines, laissant s’installer  le cercle infernal du vol, du racket, des agressions à l’issue inévitable.

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Autant de contrastes pour suivre le difficile et douloureux passage d’Andrej à l’âge adulte et à l’acceptation de son homosexualité dans un contexte de rejet et d’abandon généralisés. La très brutale révélation sur les réseaux sociaux d’une vidéo tournée à son insu ne fait qu’entériner l’état de fait latent : sa mère le rejette définitivement, les autres détenus font bloc autour du harceleur par un hallucinant effet de groupe. Et c’est là que la réalité dépasse malheureusement la fiction : ce qui est donné ici comme sujet d’un film n’est pourtant que triste réalité dans nombre de sociétés. En France, l’association Le Refuge se donne depuis 15 ans pour vocation de recueillir les jeunes gays et transsexuels qui se trouvent mis à la rue après leur coming out familial, quant ils n’attentent pas à leurs jours. On peut ici regretter que Conséquences prenne le parti d’une réalisation-choc et ne dissèque pas plus finement, plus longuement le complexe processus de harcèlement et de rejet qui vont amener Andrej à commettre l’irréparable.

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Si le physique de jeune premier d’Andrej pourrait le désigner d’emblée pour un casting du calendrier sexy de Têtu, si la caméra ne rechigne pas devant certaines positions avantageuses, elle se distingue cependant de l’esthétique chorégraphiée et théâtralisée de Querelle ou de Rusty James, de l’empathie d’un Larry Clark, de la fraîcheur sensuelle d’un Téchiné, sans pour autant flirter avec un style documentaire. Le choix est celui d’un univers fictionnel frontal et disséqué pour mettre en relief les aspérités de la réalité slovène et tisser une histoire à la noirceur assumée. « Le sujet du film est le passage à l’âge adulte, la quête d’identité dans ce monde. C’est un film sur la trahison, pas juste individuelle mais collective » rappelle le réalisateur.

Né en 1975 en Slovénie, diplômé de la faculté de Sciences Humaines, Darko Štante signe ici un film d’initiation remarquable de maîtrise, remarqué dans nombre de festivals et doublement primé dans son pays pour sa réalisation et la prestation de l’acteur principal.

FICHE TECHNIQUE

Scénario et réalisation: Darko Štante
Image: Rok Kajzer Nagode
Son: Julij Zornik
Décors: Špela Kropušek
Musique : Vladimir « Doša » Kosovič
Montage: Sara Gjergek
Distribution: Epicentre Films

FICHE ARTISTIQUE

Matej Zemljič: ANDREJ Timon
Šturbej: ZELJKO
GaŠper Markun: NIKO
Lovro Zafred: LUKA
Rosana Hribar: LA MERE DE ANDREJ

FESTIVALS

Festival LGBT Grenoble Vues d’en Face
Festival LGBT Toulouse Des Images aux Mots
Festival LGBT Rouen Ciné Friendly
TIFF 2018 – Discovery section
Jameson CineFest Miskolc IFF 2018
Athens IFF 2018
BFI 2018 – Dare section
Festival Cinéma Méditerranéen de Bruxelles 2018 – Panorama section
FICG Premio Maguey 2019
Roze Filmdagen 2019
Amsterdam LGBTQ FF 2019
Vilnius FF 2019
Istanbul Film Festival 2019

 

 

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un objectif d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

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A propos de Danielle Lambert

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