Après son étonnant second film A l’âge d’Ellen, Pia Marais confirme son talent et sa capacité à nager en eaux troubles et nous faire traverser des latitudes inconnues. 

 

Layla, l’héroïne éponyme, est une jeune mère célibataire, élevant son fils en Afrique du Sud. Gens parqués dans des quartiers sécurisés, des heures passées en voiture, un ex qui a refait sa vie avec une autre femme et enfant. La vie est rude et Layla accepte avec empressement son nouveau job dans une société spécialisée dans la détection de mensonges, même si elle est à des centaines de kilomètres de chez elle et qu’elle n’a personne pour garder son garçonnet de 8 ans. Un soir où elle rentre chez elle, harassée, Layla commet l’irréparable et n’a pour issue que le mensonge, elle dont le métier est de débusquer ceux des autres…      Initialement, Pia Marais était en repérages dans son pays natal pour y écrire une comédie : « Très vite, j’ai senti que je ne pourrais plus me permettre ce ton d’humour noir, étant donné le changement d’atmosphères en Afrique du Sud. Le ton se devait d’être plus sobre et réaliste. Le thème de la paranoïa grandissante est devenu le concept clé de mes recherches durant ce voyage. J’ai rencontré un grand nombre de professionnels qui ont fait leur métier du commerce de la tranquillité et de la sécurité ».   Sa courageuse héroïne a une phrase tristement prophétique au début du film : « Les mensonges sont comme une spirale. Ils s’enchainent ».
Le spectateur omniscient a toujours une longueur d’avance  sur Layla et les autres protagonistes. Ce n’est jamais au détriment des personnages, cela rajoute de l’impact à ce drame antique réactualisé. Malgré son casting international ( les anglo-saxonnes Rayna Campbell et Terry Norton, l’allemand August Diehl, les sud-africains Rapule Hendricks et Rapula Seiphemo…), sa coproduction franco-allemande et que le film ait été tourné en Afrique du Sud par une cinéaste d’origine suédoise et sud africaine, Pia Marais a fait ses armes notamment à l’école de cinéma de Berlin et vit en Allemagne. Cet enracinement actuel se retrouve tout le long du film qui a le sens de l’épure et la tenue des meilleurs films du nouveau cinéma allemand (entre autres, les  talentueux Hochlauser, Schmid, Petzold…). La belle Rayna Campbell  incarne avec dignité et mystère l’impénétrable Layla Fourie. Le film qui traque tous les signes malades d’une société ultra-sécuritaire vouée à notre « tranquillité », ne louvoie pas avec le danger : pas seulement celui lié aux retombées éventuelles de  l’accident qui pourrait bouleverser le cours de la vie de Layla, mais aussi dans sa relation mêlée d’attraction et de peur avec son nouvel employé, Eugene.

A la fois tendu et fait de dilatations temporelles, de lenteurs moites, puis d’accélérations, Layla a un rythme très particulier qui nous fait entrer dans ce monde clos et paranoïaque. Son héroïne n’a rien d’une mère courage tire-larmes, mais plutôt d’une femme hébétée, frappée par le destin et qui va, éventuellement, s’en déjouer. Son fils, Kane, va jouer un rôle important, de témoin passif à auxiliaire malin, mentant pour protéger sa mère. A ce titre, la scène où la belle-mère d’Eugene oblige l’enfant à retrouver un téléphone portable compromettant à la décharge est magnifique. Le jeune Kane cristallise toutes les contradictions d’une société qui se voudrait bien-pensante et évoluée et continue à être mue par de bas instincts de survie. Voir l’histoire du point de vue d’un outsider comme Kane est un parti pris fort : comment survivre dans ce pays déchiré, quand on est un enfant de couleur ? Comment survivra Layla ? Faut-il mieux choisir la vérité quitte à ce qu’elle nous condamne ou un mensonge protecteur ? Et quid de la culpabilité qui pourrait s’ensuivre ? Layla soulève tous ces points passionnants, sans jamais glisser vers le pensum, mais en les incarnant avec une caméra intelligente au service d’acteurs au jeu impeccable. Ainsi la belle séquence où Eugene soupçonnant Layla de lui dissimuler quelque chose, l’interroge : « Comment détecter les mensonges sans détecteur ? ». Tremblante, Layla obligée de mentir à cet homme qui l’attire, réplique : « l’intonation de la voix, le langage corporel, les pupilles se dilatent, la pression artérielle augmente…». Tout en lui répondant, elle se surveille. Car, au cœur du drame, se noue également un thriller psychologique, une tension entre deux êtres et une intelligente variation sur vérité et mensonge. Peut-on apprendre à mentir en ayant l’air sincère ? A qui peut-on faire confiance ?Tous ces points, Pia Marais les traite en vraie cinéaste, en filmant des longues routes désolées, des lieux de « vie » désincarnés où parfois surgit une rencontre humaine, ô combien fragile. Surtout quand on s’appelle Layla Fourie, qu’on est femme, seule et noire.

 

Layla est un film original, dont la simplicité apparente travestit la complexité, tout aussi sobre qu’il est émouvant, le personnage de Layla étant fascinant, car opaque. En ce beau visage fermé se joue un théâtre d’émotions contradictoires que Pia Marais nous transmet avec une délicatesse, non dénuée de pugnacité. A l’image de son héroïne.

 

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