Entretien avec Marielle Issartel  | 3 |  le cinéma de Charles Belmont

Marielle Issartel nous raconte la « deuxième » œuvre de Charles Belmont : une activité d’écriture et de projets incessante, restée secrète faute de tournage, notamment durant la longue période qui va de « Pour Clémence » en 1977 jusqu’à « Les médiateurs du Pacifique », son film suivant, en 1996.

Certains scénarios étaient terminés et parfois accompagnés d’une musique originale. C’est d’abord un projet de comédie musicale, « Crescendo », qui fait suite à « L’Écume des Jours » à la toute fin des années 60 et début des années 70, avec les musiciens de l’Art Ensemble of Chicago et le chorégraphe Lorca Massine. Viennent ensuite une nouvelle tentative de comédie musicale début 80, à partir de la pièce de théâtre « Le Bal » ; un projet de série télévisée sur une femme Taxi ; une deuxième fiction sur le Cancer après « Rak » ; et une comédie sur une monnaie complémentaire : « La monnaie du diable ».

Belmont avait surtout entrepris deux grands projets : « Big Bang », une fantaisie burlesque sur le mythe du double, inscrite dans l’univers de l’astronomie ; et « Le Livreur de Glace », un projet très personnel, inspiré des témoignages de Charlotte Delbo sur sa déportation à Auschwitz – deux scénarios qu’il continuera de développer et de remanier entre ses dernières réalisations. Une œuvre, non pas filmée mais écrite, que l’on pourra peut-être découvrir un jour, éditée.

Charles écrivait tout le temps, il n’a pas arrêté de le faire pour tous les films qui n’ont pas pu être tournés. Il a même dû faire ce qu’il n’aimait pas du tout ; monter des productions (…). Sa qualité était d’être très convaincant et enthousiaste quand il racontait les projets à des financeurs, mais c’était aussi un défaut qui se retournait contre lui, car dès qu’il partait, tout le monde faisait marche arrière, et personne ne donnait suite. Finalement, les gens trouvaient que ses projets étaient trop étranges. Ou bien alors, comme souvent dans le cinéma, c’étaient des mythomanes qui n’avaient pas vraiment d’argent. Charles se méfiait à la fin, il évitait de trop en faire et de charmer, car il perdait beaucoup de temps à cause de cela. Il voulait obtenir des engagements : qu’on lui signe des contrats, des options, parce qu’il devait vivre. Et il y est arrivé, pas bien, mais il y est arrivé malgré tout. Car je crois que les gens ont quand même envie, dans une part d’eux-mêmes, de sujets singuliers, et d’une forme aussi étonnante que ce que Charles proposait avec ses films.

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Charles Belmont en repérage à Bali en 1989 pour le projet « Big Bang »

« Le Livreur de Glace » était un projet que Charles avait développé, sur les camps de concentration, d’après Charlotte Delbo. Delbo, était une résistante revenue d’Auschwitz, dont le convoi, avait été mis au régime juif, par erreur. Elle a donc connu pendant quelques mois la sous-alimentation et les conditions de travail infligées aux juifs. Sur plus de 200 femmes, 70% du convoi en est mort. Après, grâce aux résistants, elle a été remise au régime des politiques, qui était épouvantable, mais moins. Elle en a fait le récit et Charles a travaillé sur les textes. Il ne voulait pas montrer les camps, car il ne les avait pas connus et il se posait beaucoup le problème de leur représentation, à la différence de Gatti qui a fait « L’Enclos », mais qui, comme on le sait maintenant, n’y a jamais été. Comme Charlotte Delbo travaillait dans le théâtre – c’était l’assistante de Louis Jouvet –, Charles s’en est inspiré et a inventé des choses assez sophistiquées pour évoquer cette histoire. Il est passé par « Ondine » de Jean Giraudoux (montée par Jouvet en 39 au Théâtre de l’Athénée) avec un jeu sur deux mondes. C’était un projet magnifique. Ce scénario n’a pas trouvé preneur. Mais Charles a continué à le travailler pendant 20 ans. Il le reprenait régulièrement entre deux films pour le faire évoluer. C’est l’un de ceux que je voudrais faire éditer. Charlotte Delbo connaissait le travail de Charles et elle l’acceptait tout à fait. Ils étaient devenus amis, mais il n’y a pas d’accord écrit, juste un témoin qui le sait, et des notes manuscrites, laissées dans un scénario déposé à la BNF, où Charlotte Delbo passait en revue les actrices possibles. Cela pose encore un problème de droit pour l’édition (…).

« Crescendo » (le projet que Charles Belmont aurait du réaliser après « L’Écume des Jours » (1968), toujours avec le producteur André Michelin), c’était une comédie musicale, avec de grandes marionnettes dans la rue et une conserverie de poisson où des femmes se révoltaient, tout ça en ballet. Higelin devait y tenir le rôle principal. Une chorégraphie avait été entièrement créée par Lorca Massine. La musique originale était composée l’Art Ensemble of Chicago. C’était une partition pour trente musiciens, qui a été enregistrée avec le Domaine musical. La musique et les ballets se sont écrits en parallèle, pendant un an environ. Charles, en maître d’œuvre, en assurait la cohésion. L’Art Ensemble of Chicago, qui jouait davantage du Free Jazz, a adoré travailler sur ce projet. C’était inédit pour eux. Ils venaient juste de débarquer à Paris. Le film était directement politique, et les banques ont coupé les crédits au producteur André Michelin. Tout était signé ; l’équipe était déjà arrivée en Yougoslavie pour le tournage. Michelin les a tous rappelés, puis il a payé les contrats…

« Le Bal », d’après la pièce du Théâtre du Campagnol (1981), avait été réécrit par Charles dans l’idée d’en faire une comédie musicale, mais Ettore Scola lui a piqué le projet pour faire une simple captation de la pièce, d’une certaine vulgarité d’ailleurs, en 1983. Charles avait vu la pièce originale au tout début et avait été très séduit. Il avait trouvé une production qui en avait acquis les droits tout de suite, avant qu’elle ne remporte un grand succès. Il avait signé également avec cette production un contrat d’adaptation et de réalisation.
Charles avait un gros défaut, qui était aussi une grande qualité, celui de faire grandir tous ses projets, de leur donner de l’ambition, et plusieurs ont explosé en vol. Il se serait contenté de proposer une sorte de captation élégante du « Bal », pas chère, cela se serait peut-être bien passé, on ne sait pas. Le problème est venu d’abord de la production dont les deux boss se sont séparés très vite après la signature des contrats. Celui qui restait en charge du Bal était un pur gestionnaire plus qu’un démarcheur ; un Italien, ami de Charles depuis longtemps. Il n’a pas réussi à trouver de l’argent sur le nom de Belmont qui n’était pas « bankable » pour un film ambitieux. Il a envoyé le scénario à Ettore Scola producteur, et comme cela lui était déjà arrivé, Scola a piqué l’idée pour son compte. Il avait expulsé ce producteur de « La Nuit de Varennes », il lui rendait un service, c’était des petits arrangements à l’italienne… La logique commerciale – et amicale – aurait été de payer le contrat de Charles sans l’obliger à un procès. Et surtout de parler clairement au lieu de traficoter par derrière avec Scola, alors que Charles continuait à travailler 14h par jour… C’est l’autre productrice qui lui a appris que Scola était en train de préparer le tournage !

Charles a gagné son procès mais outre le sentiment de trahison, cela a anéanti le travail déjà fait : une adaptation très inventive qui respectait les contraintes de la pièce à savoir : pas de paroles, et des comédiens qui jouent des rôles éloignés de leur âge réel. Il fallait donner de la crédibilité à tout ça au cinéma. Charles rajoutait des danseurs et jouait avec les codes du théâtre. J’étais très admirative de son adaptation ! La musique avait commencé à être écrite par André Hodeir et un chorégraphe s’était déplacé de Californie pour voir la pièce et discuter avec Charles. Ceci dit, Charles n’a jamais menti : filmer la pièce ne l’intéressait pas. Il avait un bon contrat pour l’adaptation, ce n’était pas pour une captation. Il expliquait au fur-et-à-mesure ce qu’il voulait faire, et toute la troupe du Bal était ravie. Le producteur en question a dit à Charles des années plus tard, il faut l’imaginer avec l’accent italien : « Mais Charles, pourquoi tu n’es pas venu me casser la gueule ! ». Charles rigolait, il n’a jamais appris la rancune.

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deux extraits du story-board réalisé par Stef Grivelet pour le projet « Big Bang »

Nous avions aussi un projet de série sur une femme taxi, qui amenait les spectateurs dans plein de mondes féminins. Charles avait fait appel à Victoria Thérame qui était un écrivain connu, et faisait aussi des chroniques cinéma dans Charlie Hebdo. Elle avait été elle-même chauffeur de taxi, et écrit « La Femme au Bidule » en 1976, qui était un récit en grande partie autobiographique, narrant son expérience. Nous avions travaillé énormément dessus, ensemble avec Victoria, qui amenait sa fantaisie, en plus d’un long travail d’enquête. Mais quand le producteur Roger Stéphane, avec qui nous avions signé un bon contrat et que nous aimions beaucoup, est décédé, nous sommes retrouvés directement face aux gens de la télévision qui nous méprisaient (…). L’expérience est devenue tellement atroce que l’on a déchiré notre contrat, ce qui nous a fait perdre beaucoup d’argent. Charles a rencontré aussitôt le producteur Gérard Lebovici avec qui il s’est entendu pour développer une version cinéma de ce projet. Nous l’avons retravaillé pendant un an afin d’en faire un long métrage et Lebovici a accepté de le financer. Mais, partis nous reposer quelques jours après cette bonne nouvelle, nous avons appris qu’il avait été assassiné dans un parking. C’était en 1984. Ce fut un choc, car nous avions le sentiment d’avoir retrouvé avec Lebovici, quelqu’un qui comprenait le cinéma, un interlocuteur avec qui nous avions de vrais échanges, et qui était d’une grande correction avec Charles… Depuis 1977, aucun des projets ne s’était concrétisé, et Charles se disait qu’enfin ça y était, il allait reprendre le cinéma grâce à Lebovici. En 2008, Charles a repris le projet en essayant une nouvelle fois de faire une comédie musicale car il y avait tout un univers que nous avions étudié – avec des sous-sols, des endroits interlopes, des personnages étonnants, et des tas de communautés venues du monde entier. Charles avait rencontré Pierre Trividic – un réalisateur français très intéressant, très connu en tant que scénariste, et qui coréalise également des films avec Patrick Mario Bernard – afin de retravailler le projet avec lui, mais les problèmes de santé que Charles a eus par la suite ont empêché la collaboration.

« Big Bang », c’est un projet très long, qui a tenu Charles pendant huit ans. L’idée remonte à 1986 et il y a travaillé tout le temps jusqu’à 1994. Il avait trouvé des interlocuteurs et des financements, et le tournage était à portée de main. Je n’y ai pas travaillé, je le lisais et donnais mon avis, c’est tout. Donc je peux dire que c’était un très bon scénario qui développait, plus que dans ses films antérieurs, toute la fantaisie et l’humour de Charles. Le film devait être sur le mythe du double. Le personnage principal était un astrologue d’une trentaine d’années, qui travaillait sur les planètes doubles, et découvrait un jour qu’il avait lui-même un double, un jeune garçon de treize ans, puisqu’il était le seul rescapé d’un accident d’avion. A l’origine de cette histoire de double, il y avait l’insémination artificielle d’une Fille de la Charité. L’astrologue, de son côté, était atteint de la maladie de Pickwick : il s’endormait à tout instant, même dans les moments cruciaux, quand il découvrait une supernova. Les repérages dans la Sierra Nevada et à Bali étaient faits. Charles avait beaucoup travaillé sur les effets spéciaux pour donner une animation aux plans de ciel ; les décors étaient en construction ; et le casting était arrêté avec Thierry Fortineau dans le rôle principal (l’acteur est décédé en 2006), ainsi que l’actrice italienne Laura Morante. Charles avait obtenu l’Avance sur Recettes plus les fonds pour les effets spéciaux, et c’était une coproduction franco-espagnole quasiment montée, avec déjà pas mal d’argent. Mais le projet s’est arrêté. Charles n’avait pas bien lu une clause de son contrat, disant que celui-ci pouvait être racheté par un autre producteur à tout moment. Et c’est ce qui s’est produit. Le nouveau producteur, qui adorait les films de Charles mais était inexpérimenté, n’est pas parvenu à s’associer pour finir de monter la production. Il a dû renoncer alors que Charles avait déjà son contrat de réalisateur signé, nous étions déjà en Espagne pour tourner. C’est dommage car il y avait tous les ingrédients d’un beau film, très poétique et burlesque, qui aurait pu plaire au public. Le personnage était une sorte de Gary Grant très sympathique, qui était pris dans des jeux d’inversion loufoques avec son double enfantin. C’est un projet que Charles avait repris en 2009, pour le réécrire un peu. Il envisageait alors de demander James Thierrée pour le rôle.

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dossier de repérages pour le projet « Les Monnayeurs de La Maltournée » entre le Haut-Montreuil et Bagnolet

Il y avait un beau projet sur le Cancer que nous avons écrit ensemble avec un journaliste scientifique, Dominique Simonnet, très différent de « Rak », qui est devenu un superbe projet de fiction, sauf que la Ligue contre le Cancer, qui a financé l’écriture et était très contente du scénario, n’a jamais trouvé, du coup, l’argent nécessaire. Ce sont plein de projets, qui auraient pu être de petits tournages ou de simples documentaires. « Les Médiateurs… », c’était la même chose, sauf que Charles a réussi à le faire aboutir. A l’origine, ça ne devait être qu’un documentaire pour la télé qu’il a fait grossir. Idem pour « Histoires d’A » d’une certaine manière, qui ne devait être initialement qu’un petit film didactique de dix minutes, à usage limité. Mais ce n’était pas du tout une forme de démesure. Il suivait juste ses idées, et il en avait beaucoup très excitantes, sans penser petit ou grand, mais sans forcément être réaliste non plus.

« Les Monnayeurs de la Maltournée (également titré : La monnaie du diable) » est un autre projet que nous avons écrit ensemble avant « Qui de Nous deux ». C’était une comédie sur une monnaie complémentaire. Charles ne voulait plus faire de films de dénonciation, mais avec « Les Médiateurs du Pacifique », il pensait commencer une série sur « les utopies réalistes ». C’était l’histoire d’une « monnaie fondante » qui fait revivre l’économie de tout un quartier. La monnaie « fond « si on ne l’utilise pas, le contraire de la thésaurisation, faut que ça tourne ! Il y a plusieurs expériences de ce type, ça marche ! C’était très excitant de créer tout un quartier mélangé, d’inventer des personnages complexes et de donner un espoir d’action à la fois réaliste et un peu conte de fée. Nous avons travaillé pour l’aspect financier avec Christian Chavagneux, d’Alternatives Économiques, pour que l’affaire soit solide. Patrick Viveret a soutenu le projet (lui-même a lancé une monnaie, Mouvement Sol en France) en impliquant des organismes de l’économie sociale et solidaire. Mais il aurait fallu une chaine de télévision, et aucune n’a même répondu oui ou non ; par deux fois l’Avance sur recettes n’a même pas examiné le scénario en plénière ; et trois personnes de la Région Ile-de-France sont venues voir Charles pour lui dire qu’ils aimaient beaucoup ses films mais que celui-là, non, ils ne le soutiendraient pas, car c’était un brûlot ! Maïwen devait incarner une sorte d’aventurière et Emmanuelle Bercot un nouvel avatar de notre femme taxi. Ce thème, avant la crise, c’était sans doute trop tôt.

Tous les projets dont je viens de parler ont été bien avancés, parfois jusque dans la mise en scène, parce qu’ils avaient suscité de l’intérêt, trouvé des financements, certes incomplets, et fait l’objet de contrats. Après l’échec d’un projet, Charles rebondissait et s’enthousiasmait pour d’autres idées de films très différents. Il pouvait se lancer pendant quelques mois dans l’adaptation d’un livre (le premier livre de Maren Sell, j’ai oublié son titre, et un roman d’Yves Buin, tous deux des histoires d’amour) ou dans un sujet original comme « Simon Furieux » inspiré de Pierre Goldman ou « Les Camions », qui racontait une grève de camionneurs qui paralysaient toute la France, une fiction sur Mohamad Yunus et le dernier « Le Grand Frisson », une fiction racontant comme un thriller l’aventure exemplaire du SRAS. Mais s’il ne trouvait pas vite des financeurs intéressés il passait à autre chose. Du moment qu’il créait, il avait une énergie étonnante et en se documentant il faisait aussi des rencontres nourrissantes. Le plus difficile à vivre étaient les films qui trouvaient des financements, mais qui comme la Terre promise, reculaient toujours d’un bond. Pourtant il ne donnait pas l’impression de s’apercevoir que c’était dur, il repartait, c’était vital !

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Marielle Issartel et Charles Belmont dans les années 70

Aviez-vous des liens avec d’autres cinéastes ?

Nous avions – et j’ai toujours – quelques amis dans le cinéma, mais ce sont avant tout des amis proches. Nous n’étions pas du tout dans ça : la représentation, le faire-valoir personnel, les relations d’intérêt… En revanche, les amitiés militantes, oui. Des amitiés durables avec René Frydman (gynécologue obstrétricien, membre du Groupe Information Santé) et tous ces gens-là (…). Charles s’est toujours tenu à distance des groupes, des coteries, et des organisations professionnelles. Ça ne l’intéressait pas, il disait que c’était un concours d’égos. Même quand on militait, y compris quand on était maoïstes, Charles restait toujours un peu à la lisière, sans être pour autant critique. Il aimait discuter mais il ne cherchait pas à être démagogue, à embrigader les gens, ou à ramener les choses à lui. Je dois dire que je ne regrette pas cette période même si j’ai plus de recul aujourd’hui. C’était une expérience très positive, au service de causes toujours défendables, qui nous a ouvert des portes et nous a donnés de l’audace. « Oser penser, oser agir » ; cela reste toujours un crédo valable. Le cinéma, c’est un continent mais il y en a d’autres. Notre histoire repose aussi sur cet engagement militant, qui a commencé pour moi avec la guerre d’Algérie dès 61, s’est amplifié avec le conflit au Vietnam en 67, puis Mai 68 et ainsi de suite… C’est un ensemble de choses qui ne se résorbe pas totalement dans le cinéma, même si nous étions l’un et l’autre absolument passionnés, et que les deux choses se croisent forcément…

Dans la profession, la censure d’ « Histoires d’A » a été révélatrice. L’interdiction intégrale d’un film était très exceptionnelle, même à cette époque, mais « la profession » n’a pas émis la moindre protestation. C’était cocasse ! La France entière se révoltait contre cette censure, mais La SRF (Société des Réalisateurs de Films) est restée silencieuse. Il semblerait que son président d’alors ait renaclé à « soutenir Nedjar » notre distributeur (Claude Nedjar, producteur de films de Allio, Garrel, Malle, Godard…), qui était un personnage contesté, un peu filou mais passionné aussi. Une analyse de la situation digne de Clochemerle ! Mais plusieurs mois plus tard, quand les policiers sont venus molester par erreur le public d’une projection au Festival de Cannes 1974, en croyant que c’était notre film qui était montré, la SRF s’en est mêlée pour imposer une projection d’Histoires d’A. Nous qui avions bataillé jusqu’ici sans elle, on regardait ça de loin, en rigolant ; on les laissait faire sans y prendre part.

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« Histoires d’A » (1973)

Les films de Charles, que ce soit « Rak » et « Pour Clémence », ont eu d’excellentes critiques partout, une quasi unanimité dans les journaux à gros tirage et dans les revues cinéphiles. Ils ont été vus à l’époque de leur sortie, plutôt bien pour des films d’auteur, de même en 94 pendant les deux mois de rétrospective. Le public était toujours présent pour des films d’art et d’essai, ça reste limité commercialement. Il n’y a guère que « L’Écume des Jours » avant eux, qui ait été réellement controversé par la critique, mais davantage sur l’adaptation de Vian. Les films de Charles étaient sélectionnés en compétition officielle dans les festivals internationaux. Lorsque « Pour Clémence » est passé à la télé, il a fait beaucoup d’audience, avec un excellent qualimat (…). C’est la longue période de « montagnes russes » qu’a traversée Charles, de 1977 à 1997, qui a fait un peu oublier son cinéma. Quand il est sorti en 2002, « Qui de nous deux », le dernier film de fiction de Charles, n’a pas non plus bénéficié de tout le soutien qu’il aurait du avoir, surtout à cause de la productrice/distributrice, qui se faisait une autre idée du film, bien plus édulcorée. Elle l’a enterré. Il a donc eu peu d’écho et de presse en France, mais dans des festivals internationaux, à Los Angeles, à Mexico, il a été très bien reçu. Charles a su rendre compte du texte et de l’esprit de Salomé qui l’a écrit et joué, tout en conservant à sa mise en scène sa subtilité et son élégance, et le film demeure tel qu’il l’a voulu.

Aujourd’hui, les films de Charles trouvent un écho sur internet, grâce à des rédacteurs sur des sites web consacrés au cinéma ; ce qui ne serait pas possible sans ces personnes. Il y a les articles très sérieux, sensibles et documentés de Pascal Le Duff sur Critique-Film. Cyrille Falisse du Passeur critique, a découvert « L’Écume des Jours » au moment de la sortie du film de Gondry, et a fait un très bel article. Et puis Culturopoing après la rétrospective à La Clef ! Moi, j’ai créé une entrée sur Wikipédia mais nous avons dû batailler avec eux, car les contributeurs retiraient des informations ou utilisaient des sources écrites peu fiables (…). On a donc créé notre propre blog en lien avec l’association pour remédier à tout ça ; le lien est désormais intégré à l’article Wikipédia. Dans la presse écrite, il y a aussi la Revue Jeune cinéma, l’une des revues de cinéma qui mérite d’être vraiment lue. Jérémie Couston de Télérama a également fait un article élogieux sur « L’Écume des Jours » et la rétrospective, mais d’autres médias que j’avais contactés, internet ou écrit, n’ont pas réagi. Ce sera pour la prochaine fois !

Charles ne s’est jamais plaint de quoi que ce soit, même dans les périodes les plus difficiles, où l’on ne prêtait plus beaucoup d’attention à son travail. Il était bien trop concentré sur ses projets. Il avait une faculté d’oubli, peut-être liée à son enfance, qui ne lui faisait regarder que l’avenir, et surtout le film à faire, peut-être un peu au détriment d’ailleurs, des autres, déjà réalisés. Ceci dit, il a organisé des débats pendant deux mois lors de la rétrospective en 1994 à l’Entrepôt ; il rencontrait le public et discutait avec plaisir. Mais ce qui lui importait, c’était de créer et faire avant tout. Et il sublimait ses malheurs comme ses démons grâce à l’art. Il y a une interview de moi, réalisée pour Universciné, qui s’intitule d’ailleurs « Charles Belmont, soleil noir ». Il restait lumineux, plein de fantaisie, de gaieté et d’énergie, même dans les moments de découragement et de précarité. Son histoire familiale comme sa vie de cinéaste n’ont pas été faciles, mais il ne le montrait pas, il n’en parlait pas (…). Il était bien sûr frustré quand il ne tournait pas, mais il continuait à écrire et monter des projets tout le temps sans s’apitoyer, il était tout le temps dans la création et l’espoir.

à suivre,
quatrième partie de l’entretien : Les thèmes des films et les projets de l’association Charles Belmont

Propos recueillis par William Lurson le 20 avril 2015 – un grand merci à Marielle Issartel.

Les images des projets non réalisés proviennent des archives Charles Belmont. Les autres visuels sont issus du blog « L’œuvre du cinéaste Charles Belmont » et des documentaires « Charles Belmont, soleil noir » (Universciné – réalisé et monté en 2012 par Pierre Crézé) et « #Ecume68 » consacré à « L’Écume des Jours » (réalisation de Marielle Issartel).

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A propos de William LURSON

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