Entretien avec Marielle Issartel  | 1 |  le cinéma de Charles Belmont

Nous rencontrons Marielle Issartel une semaine après la rétrospective de l’œuvre de Charles Belmont au Cinéma La Clef à Paris. Marielle a été l’épouse de Charles Belmont et la chef monteuse d’une grande partie de ses films, participant également à l’écriture des scénarios. Elle a cosigné notamment celui de « Pour Clémence » (1977) et coréalisé « Histoires d’A » (1973). Elle anime aujourd’hui l’association « Les Amis de Charles Belmont », fondée pour diffuser et restaurer la filmographie du cinéaste après son décès, survenu en 2011.

C’est une occasion pour nous de mieux connaître Charles Belmont, son histoire familiale marquée par la perte du père, son parcours d’acteur, ses premiers pas de cinéaste. L’œuvre est là, mais on sait encore peu de choses sur son réalisateur, si ce n’est qu’il fut d’abord acteur, pour Claude Chabrol notamment, mais aussi pour Marc Allégret, Henri Decoin ou Jean-Pierre Mocky, avant de bifurquer rapidement vers la mise en scène en réalisant son premier court-métrage en 1967, « Un Fratricide », adapté d’une nouvelle de Kafka…

Marielle, serré

Marielle Issartel

D’où vient Charles Belmont ?
Quel était son milieu ? Quel a été son itinéraire avant de devenir réalisateur ?

Charles est né dans une famille juive d’origine lettonne. Sa famille parlait le yiddish mais lui est né français, de famille naturalisée française, ce qui ne facilitait en rien l’obtention des papiers. Il a été baptisé Belmont par Clouzot (voir infra : Charles Belmont a fait des essais pour jouer dans le film « La Vérité » de Henri-Georges Clouzot en 1960) mais son nom d’origine, c’est Blechmans, comme celui de Salomé (sa fille). Charles qui est né en 36, a donc été enfant juif, non pas caché mais toujours en danger. Son père a d’abord été sous les drapeaux, d’abord un an pendant la drôle de guerre. L’année suivante en 41, il a été pris dans une rafle de la police française, en présence de la mère de Charles. Elle criait, les policiers français lui ont dit de se taire sinon ils l’embarqueraient aussi. Elle a pensé aux enfants et s’est tue… Son père n’a pas été arrêté à cause de son nom, Blechmans, mais de son prénom, Judels. Charles avait deux demi-frères et une sœur, nés du précédent mariage de son père ; la première épouse était décédée, et la mère de Charles, venue elle-aussi de Lettonie, ne les a rejoint que tardivement en 33. Après quelques années très heureuses, elle s’est donc retrouvée en 1941, seule sans mari, avec les trois enfants du premier mariage, dont l’un était adolescent, plus un petit garçon de cinq ans, Charles, et avec l’angoisse, la peine et la peur ; et la nécessité de gagner à nouveau sa vie pour faire vivre la famille. Ils habitaient à Courbevoie, et elle travaillait à la maison, comme on le voit dans « Rak » qui est un film assez autobiographique : elle cousait des canadiennes, qu’elle allait porter dans le Marais, rue des Rosiers. Charles a donc vécu cela, le chagrin, la peur, la sienne et celle de sa mère, avec l’obligation de porter une étoile, ce qu’il n’acceptait pas (…).

Son père a d’abord été amené à Drancy pendant un an, puis conduit à Auschwitz en juin 42 par le convoi numéro 3. À partir de là, la famille n’a plus eu de nouvelles. Son frère, qui a été pris peu après, est revenu d’Auschwitz en 45. Débarqué là-bas, il a su que les juifs lettons avaient été assassinés dans les chambres à gaz. La famille l’a donc appris dès que le fils est rentré. (…) Après cela, sa mère a reçu une petite pension comme « veuve de guerre », versée par l’état français. Charles a donc été pupille de la nation, mais que ce soit dans son histoire familiale, ou dans sa destinée de réalisateur, il n’a jamais voulu se plaindre et attirer la compassion. Il avait horreur de la pitié. (…) Ils se sont pourtant retrouvés, Lui et sa famille, totalement démunis pendant la guerre. Leur maison avait été bombardée. Charles a été placé chez des amis de sa mère, à la campagne (…) Ils ont ensuite vécu, lui, sa sœur et sa mère, dans une toute petite pièce, assez longtemps, où ils partageaient le même lit…

Charles était bon à l’école. Il y avait une grande complicité entre lui et sa mère, qui était un peu comme on la voit dans le film (dans « Rak »). C’était tout le contraire d’une « mère juive » : elle lui faisait confiance et n’exigeait jamais rien. Mais il fallait quand même travailler. Sa demi-sœur avait un emploi de bureau dans une usine et Charles avait un brevet d’aide comptable. Mais ça l’ennuyait beaucoup. Sa mère lui a fait faire une formation de modéliste-coupeur et à partir de 16 ans, il a commencé à travailler comme tailleur. C’était beaucoup de travail, mais il gardait une vie à côté. Il voulait devenir comédien. I voulait dire des beaux textes.

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Charles Belmont avec Claude Chabrol, Bernadette Lafont et Jean-Claude Brialy pour « Les Godelureaux » en 1961

Du jeu aux premières réalisations :

Charles a commencé à prendre des cours d’art dramatique à Courbevoie. Il a continué ensuite au cours Simon, où il a rencontré Sami Frey et un deuxième ami, Jacques Grandclaude (devenu producteur de cinéma). C’était un trio inséparable. Mais son travail le rendait malheureux. Il l’a dit à sa mère qui lui a répondu : « Eh bien, l’important c’est d’être heureux, tu arrêtes ». A partir de là, il est devenu élève-comédien à plein temps, puis acteur. (…) Il a du faire son service militaire entre temps – il n’est pas allé en Algérie car il était pupille ; il est mobilisé trente mois, comme les autres – mais très vite il a dirigé le mess des officiers, ce qui lui laissait les après-midi pour lire et se cultiver. De retour à la vie civile, il a fait des essais pour « La Vérité » de Clouzot avec Brigitte Bardot, dont il reste des rushes, mais c’est Sami Frey qui a eu le rôle. C’est Sacha Briquet du cours Simon, je crois, qui a dit un jour à Charles qu’il correspondait tout à fait aux personnages de Claude Chabrol. Charles est allé frapper directement chez Chabrol à Neuilly, qui l’a reçu et engagé. Il a joué un tout petit rôle dans « Les Bonnes Femmes » et Chabrol lui a promis un rôle important dans le film suivant. Mais Charles a disparu à la fin du tournage sans laisser ses coordonnées. En rencontrant à nouveau Sacha Briquet, il apprend que Chabrol le cherche partout sans parvenir à le joindre. Il se présente au casting et obtient le rôle pour « Les Godelureaux », un film très particulier, en trio avec Jean-Claude Brialy et Bernadette Lafont. Il adore le travail avec Chabrol et se lie avec Brialy. Immédiatement, le cinéma commercial remarque Charles pour sa beauté, son charme, et la fraîcheur de son jeu. Il joue des rôles d’aristocrates dans des films « qualité française », tout à fait opposés à ce qu’il était en réalité : un gars de la banlieue de Courbevoie, bagarreur, avec des cicatrices sur le front (…). Mais ça l’ennuie, car il ne retrouve pas le plaisir de sa première expérience avec Chabrol, Brialy et Lafont, qui étaient tous, outre leurs talents, de vrais personnages.

Charles rencontre le producteur André Michelin sur le tournage d’un Henri Decoin (sur « Nick Carter va tout casser » en 1964). Michelin lui aurait proposé le rôle de Colin dans « L’Écume des Jours », car il venait d’en acheter les droits. Aucune adaptation n’avait encore été acceptée par Ursula Kubler, la veuve de Vian. Michelin avait aussi remarqué que Charles était très actif durant le tournage, qu’il s’intéressait à tout, et que l’on sentait chez lui une aisance et un désir manifeste d’expression. Il lui aurait alors proposé la réalisation de « L’Écume des Jours ». Mais Charles a beaucoup hésité. Il a continué à observer énormément les plateaux, toujours à l’affût d’apprendre. Pour voir s’il était capable de réaliser un film, il a décidé de commencer par un court métrage. Michelin a proposé de le produire mais Charles préférait le faire tout seul pour rester indépendant. Michelin lui a assuré qu’il aurait une liberté artistique totale. Charles a donc décidé d’adapter une nouvelle de Kafka, « Un Fratricide » ; ce qui n’est pas vraiment simple. Pour ce premier film, il travaille avec le danseur Jean Babilée, à qui il confie le rôle principal. Le court-métrage qu’il réalise est quasiment muet, avec une seule parole proférée tout au long du film. Charles connaissait très bien la danse qu’il adorait. Il avait vécu huit ans avec une danseuse ; il assistait à des cours et savait tout à fait faire répéter les pas pour ses projets de comédies musicales. Car par la suite, il a tenté à plusieurs reprises de monter des comédies musicales. Et ça a été très dur à chaque fois, car tout a échoué au dernier moment, avec des contrats signés, et un travail très avancé…

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Charles Belmont et le danseur Jean Balilée, sur le tournage de « Un Fratricide » en 1967

Il a donc fait ce court métrage en 1967, mais les héritiers de Kafka ont refusé qu’il soit montré. Il est maintenant dans le domaine public, mais les droits sont en déshérence et je dois faire une action auprès d’un juge pour qu’ils me soient attribués. Je l’ai vu aux Archives (Les Archives Françaises du Film du CNC au Bois-d’Arcy). C’est un film purement expérimental ; il a d’ailleurs été primé dans un festival d’art expérimental à Royan (Le Festival International d’art contemporain de Royan, manifestation pluridisciplinaire, qui s’est tenue de 1964 à 1977), l’année de sa réalisation. C’était Jean Rabier, qui était je crois, opérateur sur ce film ; un opérateur très en vue à l’époque. Il avait déclaré en interview : « je n’ai jamais vu un jeune homme qui fasse son premier film comme ça, et qui pense cinéma, immédiatement, tout le temps ». (…) Après ce court-métrage, Charles a eu la chance de rencontrer Philippe Dumarçay, qui était alors l’un des meilleurs scénaristes. Ça l’a décidé à faire « L’Écume des Jours » avec lui. Dumarçay était un homme très étrange, parmi les plus singuliers, qui a travaillé à plusieurs reprises avec Bertrand Blier. C’était aussi un personnage ambivalent, caustique, mais qui donnait le meilleur de lui-même avec Charles. Quand ils travaillaient ensemble pour l’adaptation, il était exquis, toujours d’une très grande fraîcheur. (…)

D’emblée, le parcours de Charles a été très particulier, avec cette attitude, qui n’était pas vraiment réfléchie, et qui consistait à ne faire que ce que bon lui semblait, sans jamais se préoccuper de ce qu’on penserait. Et ce n’était pas parce qu’il méprisait le public, les critiques, ou quoi que ce soit. Il cherchait juste à être au plus près de son art, de ce qu’il voulait exprimer. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de problèmes de malentendu avec le public. Il était toujours très bien reçu là où passaient ses films. À Prades par exemple, « Pour Clémence » avait eu le prix du public. Les problèmes venaient avant, davantage de l’entourage du cinéma, de la production, de la distribution…. Et puis, il avait un côté rebelle, un peu orgueilleux aussi. Charles n’a pas voulu présenter « Rak » à Cannes, car cela aurait retardé la sortie en salle. Un grand affichiste de Paris avait réalisé l’affiche du film, très impressionnante et frontale : un gros titre blanc « RAK » et un lit d’hôpital vide, sur un grand fond noir. Elle était magnifique sur les colonnes Morris, mais elle était absolument dissuasive pour le public, anti commerciale. Charles aimait les choses radicales, et aucun de nous ne l’en a dissuadé, car nous la trouvions aussi très belle. Mais c’était une erreur, car le film, avec la tendresse de la relation mère fils qu’il décrit, aurait pu toucher beaucoup de monde. L’un dans l’autre – Cannes, une affiche un peu plus représentative avec les deux interprètes (Sami Frey et Lila Kedrova) –, cela aurait pu aider énormément à lancer la carrière de Charles (…).

à suivre,
deuxième partie de l’entretien : la forme et l’écriture, des scénarios aux films

Propos recueillis par William Lurson le 20 avril 2015 – un grand merci à Marielle Issartel.

Les images proviennent du blog « L’œuvre du cinéaste Charles Belmont » et des documentaires « Charles Belmont, soleil noir » (Universciné – réalisé en 2012 par Pierre Crézé) et « #Ecume68 » consacré à « L’Écume des Jours » (réalisation de Marielle Issartel).

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A propos de William LURSON

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