sortie en salles le 23 octobre
 
Le dernier long métrage documentaire de Dominique Cabrera est, plus qu’un journal "autobiographique", une chronique familiale. La réalisatrice y observe ses proches, frères, sœur, parents, nièces et neveux, à l’occasion de chaque fête de famille. Un mariage, une naissance, l’évocation d’un exil paternel douloureux… Le film touche par sa justesse et son universalité. Nul nombrilisme ici et encore moins de nostalgie. La force du témoignage vivant, en action devant la caméra, se double d’un tissage temporel complexe où les évènements passés et présents entrent en résonnance, jusqu’à s’amplifier dans un tiraillement très émouvant.

Premières scènes : hall d’arrivée d’un aéroport, case bagages, retrouvailles et embrassades. La cinéaste et sa famille rendent visite à l’un des fils Cabrera, Bernard, qui s’est installé à Boston. La voix off de Dominique Cabrera campe le décor et la situation. On vient célébrer en famille le mariage de Bernard avec son épouse américaine. A l’arrière plan, une présence discrète : le père de la réalisatrice, manifestement heureux, mais peu expansif. Soudain, la voix off souligne un geste, anodin en apparence. Le père vient de se retourner et adresse à travers l’objectif un regard à sa fille. La cinéaste y perçoit, peut-être rétrospectivement, un signe, qui pour l’instant échappe à l’une comme à l’autre. Ce premier évènement, pose l’un des fils nombreux qui irrigueront le récit. Le film sera autant un portrait qu’une évocation des deux parents, père et mère, et surtout de leurs histoires, de leur histoire commune, léguée des enfants jusqu’aux petits enfants. Avec ses ellipses d’abord masquées par l’apparent continuum des célébrations familiales, le film enregistre dix années de cette famille pied-noir, le temps de vivre et de grandir. Chaque fête et chaque naissance rendent de plus en plus palpable cette mémoire familiale et l’enjeu de la transmettre, ou d’en compléter le contenu, pour accomplir le cycle des constructions individuelles. Prises dans la tenaille des générations, les filles de la famille, Dominique et sa sœur Nathalie, en accusent la charge. Paroles non libérées, évènements brouillées par les années et in fine, histoire familiale non résolue. Les deux sœurs, par égard pour leur mère et pour dénouer un sentiment de malaise, vont traverser la méditerranée pour combler les béances de son acte de naissance incomplet.


 

Vidéos de famille, journal autobiographique, etc. Il ne faudrait pas se méprendre, ni sur l’apparente pauvreté de la vidéo numérique, ni sur l’absence supposée de mise en scène de ce filmage d’instants. Si le film est bel et bien un témoignage authentique, dépourvu de procédés artificiels de filmage, ce n’est pas pour autant une simple paraphrase reproduisant la réalité. En une heure trente, Dominique Cabrera distille les évènements, jouant des manques, des contractions, des symétries et des renversements, tout en donnant une impression de présent ininterrompu. Le récit de cette chronique, doublée par cette quête familiale, n’est jamais rétrospectif, reconstitué ou sur-commenté. La cinéaste épouse le flux des évènements en témoin, avec beaucoup de retenue et de pudeur. En même temps, elle parvient à mettre en évidence ses inquiétudes et la sorte de double course, avant et rebours, qui anime l’ensemble du film. La mémoire et le temps ne cessent d’être questionnés à travers le montage et la forme cinématographique elle-même. La cinéaste est autant débordée par le récit qu’elle cherche à réordonner que les protagonistes actifs du film dont elle fait partie, ceux qui cherchent à rattraper l’histoire familiale pour en combler les silences. Partant d’un postulat somme toute simple, filmer sa famille sans plus d’ambition, la réalisatrice accomplit au final une œuvre de cinéaste, dense et complexe, d’autant plus touchante qu’on y lit un devoir filial qui se réalise au jour le jour. Plein d’intuition, de sensibilité et d’intelligence, "Grandir" est un très beau film, humble et émouvant.

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A propos de William LURSON

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