Dino Risi – « Le Veuf » (1959)

Ce ne sont pas les occasions qui manquent de voir « L’Albertone » à l’écran ou en DVD, depuis quelques mois. Cette semaine, Le Veuf de Dino Risi (Il Vedovo, 1959) sort pour la première fois dans les salles françaises. Une comédie à l’humour très railleur… Alberto Nardi, un Romain installé à Milan, tente de faire prospérer ses affaires – il s’occupe notamment de construction d’ascenseurs. Mais c’est un industriel de pacotille, qui est à la peine et criblé de dettes, et à qui, apparemment, personne ne fait confiance – sinon quelques proches sans grande influence. Alberto est marié à Elvira Almiraghi, une femme d’affaires qui manie avec puissante intelligence, grande intuition des millions de lires, mais qui ne fait aucunement confiance à celui qu’elle nomme, en un mélange d’affection et de mépris, son « petit crétin » (« cretinetto »). Elvira est inflexible et sévère. À la limite du sadisme. Elle refuse d’aider Alberto – ou de continuer à le faire – et ne manque pas une occasion pour l’humilier.
Manifestement, celui-ci n’est pas à sa place à Milan. Elvira, elle, est dans son élément. Elle est originaire de la région où se trouve la ville. Rappelons que la Lombardie est le principal centre industriel de la Péninsule. Le couple est montré comme habitant la Tour Velasca. Construit entre 1956 et 1957, cet immeuble de 26 étages, composé aussi bien de magasins, de bureaux que d’appartements, est un symbole fort de la Reconstruction et du Miracle économique italiens.
Ce n’est que le deuxième film que Sordi tourne avec Risi, mais il a déjà joué dans près d’une trentaine de longs métrages et, en cette toute fin des années cinquante, il a atteint le sommet de son art. On a pu le constater très récemment avec I Magliari de Francesco Rosi, qui date de la même année – le film est ressorti la semaine dernière et nous en avons parlé ICI. Dans Le Veuf, Sordi campe un individu médiocre, quasi impuissant, qui se donne des airs de gagnant pour tenter de leurrer ses supérieurs, ses pairs, ses associés et ses ouvriers… voire même pour se convaincre lui-même. Il est hâbleur, menteur et voleur. Il est indécrottablement hypocrite. Hautement mégalomane. Risi et Sordi confèrent à Alberto des airs de Duce sans envergure, de petit bouffon dictatorial.

Le rêve d’Alberto est d’être débarrassé de sa femme. Les circonstances extérieures ne sont pas favorables. Qu’à cela ne tienne, le protagoniste va tenter de forcer le destin. Mal lui en prendra…
Risi s’est vaguement inspiré d’un fait réel qui avait défrayé la chronique en son temps : l’« affaire Fenaroli ». À Rome, en septembre 1958, Maria Martinaro in Fenaroli est retrouvée étranglée dans son appartement. Le mari, Giovanni Fenaroli – propriétaire d’une grande entreprise spécialisée dans le bâtiment, qui vit à Milan avec sa maîtresse, Amalia Inzolia -, est condamné à la prison à perpétuité, comme l’est son complice Raoul Ghiani. Fenaroli aurait perpétré son crime dans l’espoir de bénéficier de l’assurance-vie de sa femme.

On pourra être surpris par un certain déséquilibre – au moins apparent – au niveau de l’économie narrative. La partie concernant l’accident de train est assez longue – ou nous a, en tout cas, semblé comme telle. Celle qui représente l’organisation du meurtre d’Elvira par Alberto et quelques complices est courte et abrupte – ou nous a, en tout cas, semblé comme telle. Mais ce n’est pas gênant, car le désir de veuvage d’Alberto est annoncé dès le début du film. Et de ce point de vue, on ne devra pas considérer le passage du pseudo industriel chez les Franciscains comme insignifiant. C’est probablement à travers une discussion sur la Mort qu’il a avec un moine que germe en son esprit son dernier projet machiavélico-délirant. On appréciera la modification de style visuel au moment de l’élaboration concrète de ce projet – annoncée cependant quelques scènes auparavant. Elle se situe principalement au niveau des éclairages, de la lumière. La séquence où les criminels en herbe se réunissent pour mettre au point les derniers détails de leur machination est filmée en un clair-obscur qui n’a pas été sans nous rappeler une scène, comparable, du film très noir de Stanley Kubrick, The Killing (L‘Ultime razzia). Ici, Risi excelle dans la parodie.

Le Veuf n’est pas complètement immoral, puisqu’Alberto sera pris à son propre piège. Mais la satire risienne est féroce, qui épingle avec talent une société appâtée par le gain, gangrenée par l’avarice, et dont les membres ne reculent devant rien pour satisfaire leur mercantilisme. Quelques caractéristiques du protagoniste seront reprises avec génie par Vittorio De Sica, dans Il Boom (1963), pour construire le personnage de Giovanni Alberti, également incarné par Sordi.

Sordi qui, ici, dans Le Veuf, crève donc déjà l’écran. L’acteur joue à merveille de ses expressions, de son physique. Mais il ne faut pas oublier son ton de voix, son élocution… l’aspect prosodique. Il arrive très bien à faire passer, par ce biais aussi, la façon dont, fragilement, assez mal, Albertone essaye de faire le malin, de cacher ses peurs. N’oublions pas que Sordi a travaillé, à ses débuts, à la radio et comme doubleur pour le cinéma.

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