Le Festival International du Film de La Roche-sur-Yon suit désormais une feuille de route qui a fait ses preuves. Se revendiquant éclectique, ne s’attribuant aucune thématique et s’ouvrant à tous les genres sous toutes les formes, la manifestation s’organise autour de différentes sections qui entendent faire le lien entre cinéma grand public et exigences cinéphiliques. Les films d’ouverture et de clôture, très mainstream, ont encadré courts et moyens métrages d’inspirations multiples lors d’une semaine riche en événements partenaires (trois soirées musicales et une exposition).

S’articulant sur trois lieux, le Festival incite aux circulations urbaines et aux rencontres. Qu’elles soient fortuites ou organisées, elle nourrissent la semaine de souvenirs contrastés. Ainsi, le festivalier regrettant la défection malheureuse (et au dernier moment) de l’invité d’honneur Michel Gondry, se réjouira de la chaleureuse venue de l’immense Frederick Wiseman, des discussions prolongeant les projections, du souhait émis par Matt Porterfield de l’organisation prochaine d’une rétrospective John Waters (tous deux venant de Baltimore)… et des vingt et quelques films vus sur les soixante-quinze projetés – si les comptes sont bons. Incomplet par définition, ce compte-rendu vient éclairer de manière partielle cette huitième édition d’un Festival aujourd’hui mature et toujours passionnant.

A ghost story

 

Call me by your name

 

Parmi les nombreuses avant-premières, deux films particulièrement attendus ont dépassé les espérances, A ghost story de David Lowery (sortie le 20 décembre) et Call me by your name de Luca Guadagnino (sortie le 17 janvier). L’histoire de fantôme(s) réunissant Rooney Mara et Casey Affleck, quasiment muette, prend la forme d’un conte sur la perception du temps (celui qui passe, celui qui boucle) en explorant la mémoire d’un lieu. Sophistiqué mais évident de simplicité, porté par une B.O. transcendante, le film bouleverse avec trois fois rien. Développant un scénario de James Ivory adapté d’un roman de 2007, l’auteur du viscontien Amore, construit un film un peu démodé qui démarre comme un marivaudage bourgeois avant de devenir une vibrante romance amoureuse. Récit d’apprentissage profondément subtil entretenant une tension sexuelle troublante, Call me by your name touche autant le cœur que l’esprit.

Deux autres longs métrages auront particulièrement marqué la semaine, tous deux de forme documentaire. Avec Ex-libris, The New-York Public Library (sortie le 1er novembre), l’art de Frederick Wiseman donne le sentiment de tout embrasser. Rendant compte des multiples activités et de la mission de service public des bibliothèques new-yorkaises, le cinéaste utilise son absolue maîtrise du montage pour plonger le spectateur dans une autre temporalité. Travaillant sur l’espace, la sensation des lieux mais aussi sur le bruit, Ziad Kalthoum réalise avec Taste of cement (sortie le 3 janvier), un documentaire d’une grande richesse formelle qui offre un espace de réflexion et de méditation au-delà de l’information qu’il transmet. Son regard sur la ville de Beyrouth, reconstruite par des ouvriers syriens ayant fuit leur pays en guerre et traités comme des esclaves, s’avère aussi singulier que puissant. Le film remporte le Prix de la Compétition Nouvelle Vague.

Ex-libris, The New-York Public Library

 

Taste of cement

 

Avec Les gardiennes (sortie le 6 décembre), Xavier Beauvois prend également la mesure de la perception du temps. La narration linéaire, l’image très picturale et la mise en scène sobre et précise renvoient à une représentation du monde en phase avec ce beau film sombre et lumineux, récit de règles et de servitudes dans lequel l’individu ne saurait prendre le dessus. Autre variation sur une thématique proche au centre de laquelle la mort s’impose, le Lucky de John Carroll Lynch (sortie le 13 décembre) offre le second premier rôle de sa carrière à l’interprète de Paris, Texas (également projeté durant le festival) : Harry Dean Stanton boit un Bloody Mary dans lequel on a plongé une branche de céleri, Harry Dean Stanton fume, Harry Dean Stanton sourit, l’acteur récemment disparu et le personnage se mêlant dans un film simple qui aborde l’essentiel sans clichés, avec élégance et ironie.

Par extension, l’autre thématique très présente durant la semaine concerne le rapport des individus au monde. Traitée de manières différentes et avec plus ou moins de réussite dans England is mine de Mark Gill (biopic stylisé et un peu froid de Steven avant Morrissey), Flesh and blood de Mark Webber (vraie fausse autofiction touchante mais sans surprise), Diane a les épaules de Fabien Gorgeart (un autre regard sur la maternité, sympathique mais un peu faible) ou The Leisure Seeker de Paolo Virzi (road trip too much et bourré de clichés), la question se voit plus subtilement abordée dans d’autres films.

Ainsi, Quality time de Daan Bakker enchaîne cinq histoires de personnages en situation de décalage ou de stress. Le cinéaste varie les formes narratives et formelles, de la plus abstraite à la plus classique au gré de partis pris assumés. Pas totalement équilibré, le film vaut au moins pour un second chapitre qui brille par sa beauté graphique et la profondeur de son récit. Avec Winter brothers, Hlynur Palmason livre un premier long métrage inconfortable, âpre et déroutant qui flirte avec l’absurde, l’exceptionnelle bande sonore et la mise en scène très maîtrisée contribuant à son ambiance singulière. À retenir également, Sollers point de l’habitué Matt Porterfield, porté par le charismatique McCaul Lombardi (découvert dans American honey), qui place Baltimore au cœur du portrait de Keith et de ses errements, et Bad genius de Nattawut Poonpiriya, teen movie tapageur prenant une orientation plus haletante au sous-texte sociétal loin d’être anecdotique.

Quality time

 

Cette édition du Festival, fidèle à son éclectisme, a également permis de découvrir le travail de David OReilly (vidéaste inclassable et créateur de jeux vidéos) à travers une exposition, une rencontre et la projection de plusieurs courts métrages et d’un long métrage quasi inédit. Entre noirceur et naïveté, l’artiste porte un regard original et vif sur le monde contemporain. Croisement de formes et de sujets, ses courts métrages empruntent au surréalisme une liberté de ton et un brouillage des codes qui explorent de multiples connexions : à voir principalement, son « film culte », l’ébouriffant The external world. Autre expérience singulière : The agency (70 minutes), tourné en 7 jours grâce à un logiciel d’animation automatique, présenté par son auteur comme un long « fuck »… qui vaut le détour.

Compléter la liste des films vus, revient à citer le frais et sympathique Bad lucky goat de Samir Oliveros, tourné sur une île des Caraïbes en langue Créole, La vendedora de fosforos d’Alejo Moguillansky, qui évite d’être pédant en choisissant la légèreté, Lake Bodom de Taneli Mustonen, film hommage « inspiré de faits réels » soignant la forme et moins l’écriture, le décevant Gemini d’Aaron Katz (images superbes du Los Angeles nocturne mais scénario qui ne passionne pas), le pas subtil mais efficace Borg McEnroe de Janus Metz Pedersen et le film d’ouverture, La surface de réparation de Christophe Régin, qui ne semble avoir été choisi que parce qu’il a été tourné dans la Région des Pays de la Loire, et principalement à Nantes.

Parmi les quelques films plus anciens projetés, et notamment ceux de certains membres des différents jurys, les festivaliers ont pu revoir ou découvrir L’été de Giacomo d’Alessandro Comodin, autre expérience du temps et du rapport au monde.

Légèrement inférieure à celle de 2016, cette nouvelle édition n’en demeure pas moins fidèle à la réputation d’un Festival qui n’en finit pas de faire sa place dans le paysage festivalier français.

Le palmarès de cette 8e édition

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A propos de Pierre Guiho

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