Les premiers jours de l’Etrange Festival, édition 2014, nous ont un peu laissé sur notre faim. Nous n’avons pas vu d’œuvres franchement indignes, mais un beau projet qui échoue sur du vide, un film qui s’ouvre sur des séquences éblouissantes pour s’écrouler au bout d’un quart d’heure, ou encore, deux autres qui tentent de masquer le profond manque d’inspiration par le retournement de situation ou l’effet tape-à-l’œil. Heureusement, il y avait le magistral It Follows, une œuvre au-delà de toutes nos espérances pour rattraper tout le reste, aussi stimulante pour les sens que pour l’esprit.

Open Windows (France/Espagne USA, 2014) de Nacho Vigalondo

affiche_openLe dispositif d’Open Windows était tout aussi intrigant que risqué et la bande annonce, fort ingénieuse, faisait rêver à un beau bloc formel  : un fan ayant gagné un concours pour rencontrer sa star préférée dont il tient le fan-site, se retrouve confronté via son ordinateur à un cyber criminel qui va se servir de lui pour torturer l’actrice (Sasha Grey) en question. De fait, on peut au moins accorder à Vigalondo de tenir son parti pris visuel jusqu’au bout en parvenant à nous faire suivre l’intrigue intégralement sur un ordinateur. Dans cet espace morcelé, fragmenté, les fenêtres s’enchevêtrent et s’avalent les unes les autres, multipliant vues et points de vues.. Submersion de l’image, vertige des informations, absence d’intimité, prise en otage du regard… Sans vous pousser au piratage, nous serions même tentés de vous conseiller de voir Open Windows sur votre ordinateur en vous conseillant d’éloigner la souris pour éviter d’avoir la tentation de cliquer.

L’ouverture laissée par une telle mise en place pouvait donner naissance à une œuvre terrifiante, utilisant à foison les multi-médias. Vigalondo multiplie les caméras et les points de vue sur l’ordinateur, un peu comme si le Split screen de De Palma se divisait jusqu’à l’infini. Oui, mais… encore faudrait-il qu’une telle prise sur le réel et ses terreurs soit mise au service d’un discours, d’une réflexion inquiète. Hélas le réalisateur de l’excellent TimeCrimes, bien trop préoccupé par le divertissement et l’aspect ludique, finit par s’amuser tout seul et nous exclure du jeu, dans un scénario qui s’effiloche, entrainant lentement mais sûrement avec lui le mécanisme qu’il avait soigneusement élaboré.
Le cinéaste en restera donc à son sujet banal de thriller, aussi intéressant que celui de Traque sur Internet, puis inutilement tarabiscoté avec ses effets de surprises un peu bêtes. Ajoutons à cela que l’absence totale de vraie tension et de peur est à la mesure de notre déception. Régulièrement, on se surprend à remarquer la fulgurance d’un moment, d’une trouvaille. Quoi de plus fascinant, par exemple que cette dématérialisation de l’image qui finit par dématérialiser les personnages. Hélas, lorsque la singularité de la forme se confond au procédé, elle s’échoue obligatoirement sur le vide.

 

 

White God (Hongrie/ Allemagne/Suède, 2014) de Kornél Mundruczó

affiche_dogBudapest désert, des voitures abandonnées, un parfum d’apocalypse ; et une enfant au regard interrogatif et angoissé en vélo, avant que ne surgisse derrière elle une horde de chiens la poursuivant. Cette magistrale première séquence, soutenue par un thème musical à l’orgue à la Philip Glass nous a littéralement soufflé vendant la peau d’un grand film… avant d’avoir vu la suite. Déception, car, le reste n’est pas de ce niveau, constamment avalé par sa forme assez banale, son discours moralisateur, ses changements de tons et de genre, hésitant entre le conte, le réalisme sordide ou la fable.
Précédé d’une bonne réputation et primée à Cannes dans la sélection un certain regard, la naïveté de son regard attire d’abord la sympathie avant de devenir embarrassante. Laissée à son père pendant trois mois, Lili doit faire face au refus de ce dernier de garder son fidèle compagnon Hagen, son chien, qui sera abandonné dans la rue malgré les supplications de l’héroïne. On suit alors parallèlement à la recherche de Lili, le martyr de ce chien, errant recherchant sa maîtresse, passant de mauvaise main en mauvaise main avant d’échouer entre celles d’un entraineur de combats de chien.
On sent bien – et c’est fort louable – que Kornél Mundruczó voudrait venger le chien de Samuel Fuller, en épousant également le point de vue de l’animal. Mais nous aurions du nous méfier du jeu de mot puéril du titre et de son clin d’œil plus qu’explicite. Fuller n’aurait jamais réalisé ce mix entre Rox et Rouky, et Day of the animals passant avec le même infantilisme du réalisme le plus crasse au sous-genre d’attaque animale. C’est bien simple, parfois, on se croirait dans un Aventures de Benji pour adultes. Le calque de l’archétype de la vengeance humaine sur son héros canin, revenant tourmenter un à un ceux qui l’ont fait souffrir, se révélant in fine le choix de trop, constitue un pas de plus vers le ridicule.
La métaphore sur la bestialité et la corruption humaines cause de tous les maux et source de leur future perte, si peu subtile, fait regretter Simak et nous incite à relire son Soudain les chiens. Mundruczó aurait probablement gagné à opter pour l’unité et rester dans le domaine du conte, car c’est là qu’il offre ses plus belles séquences, en particulier la magnifique scène finale sous forme d’hommage désenchanté au joueur de flute de Hamelin, qui rattrape en partie les faiblesses de l’ensemble.
 

 
The House at the end of time (Venezuela, 2013) d’Alejandro Hidalgo

affiche_houseAh chouette, un film de maison hantée venue du Venezuela, voilà qui avait de quoi éveiller notre curiosité et nourrir nos fantasmes de dépaysement. C’est dans une mystérieuse demeure aux murs sales et au sous-sol sombre que se déroula un drame mystérieux dans lequel Dulce perdit son mari et son fils. Après 20 ans de prison pour ces meurtres qu’elle n’a pas commis, elle réintègre ces lieux maudits pour élucider le mystère, identifier les forces qui s’emparèrent de son fils.
Passée la séduction de l’exotisme du décor qui insuffle une certaine singularité à l’atmosphère, House of the end of times s’enlise rapidement, car Alejandro Hidalgo incapable de susciter la peur, fait dans le recyclage de procédés éculés et les répètent (la poignée de porte qui bouge toute seule, une fois, ça va), peu aidée par une photo assez laide et des acteurs plein d’expressions écarquillées et de doigts posés sur la bouche pour paraître interrogateurs et craintifs. On est même parfois surpris qu’une œuvre véhiculant aussi candidement ses stéréotypes puisse exister en 2014.
Pourtant, de belles idées, il y en a, en particulier lorsque l’œuvre bifurque vers un tout autre genre qui vient expliciter le titre, offrant de son lot de vertige en une revisite de l’œuvre (et de la maison) sous un regard autre, lors de chassés-croisés de personnages avec eux-mêmes, devenus leurs propres fantômes, leurs propres hantises. Mais il est  sûrement trop tard, la lourdeur l’a emporté, et le sentimentalisme mélodramatique – mauvaise digestion des productions Del Toro – suscite le rire involontaire lors qu’il voudrait émouvoir. Pour paraphraser le mot final du sympathique prêtre : « Amen » !
 

 
The Canal
 (Irlande, 2014) d’Ivan Kavanagh

affiche_canalDéjà tourmenté chez lui par d’étranges visions, un archiviste entre en possession sur son lieu de travail de vieux films du début du XXe, « scènes de crime » ayant eu lieu dans sa propre demeure … The Canal laissait présager du meilleur sur le papier, d’autant que l’emploi par Ivan kavanagh d’une caméra de 1915 alimentait la fascination, promettant l’authenticité terrifiante du vrai-faux témoignage. Qu’on se souvienne de l’impact documents interdits d’Arte. De plus, le cinéma de genre irlandais a prouvé depuis Citadel combien il pouvait être efficace et anxiogène.
Hélas, en gérant sa peur à grands coups d’effets sonores saturés et de jump scares éculés avec ses flashs et ses néons clignotants tout droit sortis des années 80, Ivan kavanagh ne fait pas illusion longtemps. Le cliché psychologique pointe son nez dès le départ, dans la mise en place de sa cellule familiale – couple- enfant, et l’archétype du héros découvrant que sa femme le trompe et sombrant dans le fantasme.
Le scénario suit le schéma très classique de la maison hantée et de la double interprétation d’une réalité vécue ou fantasmée sans qu’on y croie vraiment, débouchant par ailleurs sur une révélation assez convenue. Quant aux apparitions fantomatiques nourries à la j-horror, elles semblent avoir été également mille fois vues. Dommage pour ce passionnant concept des archives en noir et blanc qui subit un traitement similaire, dans un montage inutilement heurté, anéantissant l’effroi qu’il est sensé provoquer.
Même si The Canal se suit sans déplaisir il est triste de voir ses idées originales employées comme des gadgets de peur faute d’être creusées comme des thèmes profonds. Faute de maitriser une intrigue qui fait du sur place, Ivan kavanagh échafaude un scénario où chaque nouvel élément s’additionne maladroitement au précédent, comme en témoigne cette révélation des sacrifices d’enfants totalement inefficace en fin de parcours. La dernière minute, pourtant superbe donnerait envie de réécrire le film juste pour la mettre mieux en valeur.
 

 

 

It Follows (USA, 2014) de David Robert Mitchell

afffiche_followsAprès quelques projections peu enthousiasmantes, It Follows constituait le premier film réellement marquant de l’Etrange Festival. Quel bonheur de voir un cinéaste aimant ses personnages, les suivant dans le labyrinthe de leurs peurs.
En inventant un élément surnaturel et monstrueux qui puise son originalité et sa force dans sa simplicité même, David Robert Mitchell  montre combien le genre est encore le lieu du mystère, du questionnement et de la métaphore.
L’angoisse fonctionne d’autant mieux qu’elle reste dans l’interrogation et la zone d’ombre. Il y a bien une « chose » dans It Follows. Quelqu’un suit les héros, pouvant prendre la forme de n’importe qui, et qui les tuera si elle les atteint, la seule possibilité d’y échapper étant d’offrir la malédiction à quelqu’un d’autre en couchant avec. De l’anonyme au proche il n’y a qu’un pas, que l’on reconnaît à la distance qui sépare de la victime. Impalpable, normalisé, incarné en n’importe quel passant à la démarche hésitante, le danger d’It Follows en est d’autant plus tragique, mal indestructible qu’on n’éradique pas mais qu’on offre à un autre. La chose d’It Follows procèderait d’une mécanique identique à celle du parchemin de Rendez-Vous avec la peur de Tourneur, si toute la beauté paradoxale de l’échappatoire, ne tenait pas justement à cet acte que Mitchell n’identifie jamais à un acte sexuel. Il reste un moment d’amour : « j’aime et je te donne mon mal ». Contrairement aux archétypes puritains qui foisonnent dans le genre, les héros d’It Follows ne sont pas des ados libidineux, expiant leur péchés, mais de douces personnes perdues, préoccupées chacun par le sort de l’autre, entre désir d’aider et désir d’aimer.
Vers quelle année se déroule It Follows, avec ses ados vautrés dans le canapé, regardant des films en noir et blanc sur une télé à tube cathodique ? Le film se passe au temps d' »Halloween » serait-on tenté de répondre, avant que plusieurs détails ne l’infirment ( le portable, la tablette coquillage…). Le cinéaste fixe It Follows dans un temps cinéphile qui questionne la mémoire visuelle du spectateur et le perd dans l’atemporel. De même, la magnifique bande son, renvoie à la fois aux partitions de Carpenter et à une électro beaucoup plus contemporaine, planante ou stridente.
it-follows
L’ironie évidente avec laquelle Mitchell exhibe (transmet ?) ses références pour mieux les digérer et s’en défaire est jubilatoire. Y sont conviés dès les premières images, parmi d’autres cinéastes, Lynch et la petite ville bien trop tranquille de Blue Velvet, ses gentils citadins et ses animaux, ou Carpenter et ses rues pavillonnaires d’Halloween soutenues par une citation sonore de quelques notes de la bo. David Robert Mitchell excelle à filmer la solitude de lieux, lignes de fuites et d’inquiétude plongeant dans la poésie de l’attente, de l’errance, du désert intime. Comme Carpenter, il emploie le cinémascope à filmer des espaces vides, intérieurs ou extérieurs, de la piscine aux rues de Detroit, identifiée ici à un passage de frontière « au-delà du centre commercial », l’axe d’interdit des parents auquel les enfants désobéissent, enfin.
Les adultes, d’ailleurs ne sont pas visibles – ou fixés sur des photographies – sauf lorsqu’ils apparaissent hagards et monstrueux, comme un danger, sous la forme de « suiveurs ». It follows, au delà de son terrifiant postulat fantastique, tend le portrait sensible d’une adolescence américaine étouffée par la culpabilité et la peur dans un pays ultra religieux qui « transmet » ses phobies et laisse glisser sa jeunesse vers l’épouvante.

 

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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