Adapté d’un roman de Stephen King, Dead Zone (1983) fait pâle figure à côté de l’immense succès du film fantastique La Mouche (1986). Ce film mineur gagne pourtant à être redécouvert, notamment parce qu’il infléchit le travail du cinéaste vers un de ses thèmes fétiches, celui de la transformation. En l’occurrence, il s’agit de la transformation morale du héros, Johnny (Christopher Walken). Professeur de littérature dans une petite ville, il se rend à une fête foraine avec sa fiancée et collègue, Sarah (Brook Adams). En rentrant chez lui, après avoir raccompagné Sarah, Johnny est victime d’un terrible accident de la route qui le plonge dans un coma profond. Il se réveille, cinq ans plus tard, avec le don de voir dans le passé et l’avenir. Dead Zone puise dans les tréfonds sordides de l’existence : toute l’intrigue est bâtie sur le pouvoir de Johnny, qu’il essaie de transformer en force mais qui le hante en lui révélant la perversité humaine.

Dès la séquence de la fête foraine, l’accent est placé sur la bizarrerie du personnage. Johnny est victime d’une sorte de malaise dont il ne peut parler et qui l’isole de sa compagne. Le film baigne tout entier dans une atmosphère d’inquiétante étrangeté, même dans ses scènes les plus banales. Avec son visage émacié, Christopher Walken donne à son personnage un air impénétrable, qui participe du mystère qui enveloppe le film. Les scènes de l’accident et de voyance médiumnique travaillent sur la fulgurance du choc, sur fond de décor nocturne. Le scénario exploite les représentations archaïques de la peur dans des visions cauchemardesques. Parmi les éléments à fort potentiel anxiogène, se trouvent la maison en feu où la fillette est acculée derrière les flammes, la noyade d’enfants dans les eaux glauques d’un lac et une scène de meurtre aux ciseaux. Cette dernière développe l’intrigue du côté du thriller psychologique, en l’ouvrant sur la relation perverse qui unit le meurtrier à sa mère. On est entre  Psychose de Hitchcock et les ténébreuses affaires de mœurs qui hantent les faits divers.  Plus apocalyptiques sont les scènes qui renvoient à la Seconde Guerre mondiale ainsi que la prémonition d’une Troisième Guerre. Le film fantastique verse dans le thriller maléfique, où l’on reconnaît le goût de Cronenberg pour l’exploration du mal moral. L’intensité des visions et du suspense sont mis en valeur par la bande son entêtante de Michaël Kamen, qui rappelle les fructueuses collaborations de Bernard Hermann et Alfred Hitchcock. Dead Zone tient à la fois du film fantastique et du drame à suspense.

Le scénario semble suivre plusieurs directions, sans parvenir à trancher nettement en faveur d’une voie qui donnerait au film une unité d’intrigue. Cependant, il y a bien une unité de ton qui tient à la présence d’un mal diffus, que le personnage principal traque  malgré lui. La transformation de Johnny suit quatre étapes. Il est d’abord l’amant précautionneux qui voudrait différer le plaisir charnel pour laisser à sa relation avec Sarah le temps de s’épanouir. Au sortir de ses cinq années de coma, il n’a pas renoncé à l’amour en apprenant le mariage de Sarah, mais doit renoncer à elle. Fort des visions qu’il a au contact des gens qu’il touche, il se mue en justicier et prête main forte à la police. C’est d’ailleurs cet aspect qui est exploité par la série du même nom, écrite par Michael et Shawn Piller et produite entre 2002 et 2006 par USA Network. Une ellipse temporelle nous plonge quelques années plus tard, où Johnny a retrouvé un emploi de professeur particulier. La relation qu’il noue avec l’un de ses élèves, renfermé comme lui, est émouvante. Face à ce double innocent, il apparaît comme plus apaisé. Mais dans cette troisième partie, qui fait la part belle aux thèmes de l’enfance, de l’amour et de la transmission, une « zone d’ombre » persiste à tourmenter Johnny. Graduellement, elle induit la quatrième partie, où le personnage,  toujours en proie à des prémonitions funestes sur fond de campagne électorale, traverse une crise. Il se demande dans quelle mesure il ne pourrait pas changer le cours de l’histoire et par là-même se sacrifier pour sauver l’humanité.

L’enjeu politique de la dernière partie infléchit nettement la lecture morale du film vers la fable dystopique. Le candidat à l’investiture de la Maison Blanche, Greg Stillson (Martin Sheen) cache un tyran en puissance, qui mènerait le monde à sa perte s’il était élu. Tous les plans fixes du début du film, destinés à planter le décor, révèlent une vision pessimiste qui n’aura de cesse d’être confirmée. Les paysages enneigés et la lumière froide qui enveloppent les maisons américaines cossues jouent alors sur le contraste entre les apparences proprettes et le vice sourd. Nous retrouverons cette lecture du mal et de la violence comme inhérents aux rapports humains dans quasiment tous les thrillers récents de Cronenberg : A History of Violence (2005), Les Promesses de l’ombre (2007), A Dangerous Method (2010), Maps to the Stars (2014). À rebours, Dead Zone mérite d’être reconsidéré. S’il n’appartient pas à la veine des films à succès du réalisateur, il travaille plus subtilement les motifs psychiques du suspense et l’enchevêtrement des  temporalités pour interroger le rapport de l’homme au mal.

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