"Miss Knife Chante Olivier Py" – m.e.s. Olivier Py, musique de Stéphane Leach (En tournée)

Le Py qui chante.
La Diva a bien fait du chemin depuis qu’elle s’est enfuie du spectacle « La Nuit au Cirque » créé à Bussang en 1992 par Olivier Py. Tout d’abord lanceuse de couteau, elle est devenue chanteuse de cabaret et n’a cessé de tourner, tourner, et cela depuis plus de 20 ans, affirmant haut et fort de son bel organe qu’elle est le pendant artistique de l’homme de théâtre et administrateur Py.
Elle revient aujourd’hui, plus éblouissante que jamais, accompagnée qu’elle est par un quatuor de musiciens de jazz, et propose un véritable récital racé et étourdissant qui ne sombre jamais dans le cabotinage crasse et la facilité.
Campée dans des escarpins à talons sans fin, une robe fuseau à paillettes étincelantes qui lui coule autour des reins qu’une fissure jusqu’au pied de rouge fait glisser aux chevilles, la chanteuse tout à la fois complice et enchanteresse, se délasse désormais sur le piano, se cache derrière son virevoltant micro quand elle ne chaloupe pas ses épaules en roulis maritimes, coincée au milieu de la contrebasse et la batterie.
On pense dès les premières notes à Barbara, Marlène Dietrich, Juliette et Mistinguett, mais c’est aussi Léo Ferré qui est convoqué ici, à n’en pas douter.
Une fois présentée, la grande blonde raconte la vie d’artiste : des tournées aux salles vides en passant par ces fins de mois qui sont rendues difficiles, « surtout les trente derniers jours », elle se dévoile peu à peu, complice d’un public attentif et conquis. Comme en filigrane et dès l’ouverture vient s’imprimer, derrière le personnage, l’interprète Olivier Py qui en profite pour se raconter aussi par la voix de son alter ego, n’hésitant pas à écorner au passage les médias et les politiques qu’il connait bien.
« Quand les critiques sont mauvaises
On prend un air de mépris et l’on se dit
Que foutaises, notre génie reste incompris », « La Vie d’Artiste », « Miss Knife chante Olivier Py » (Actes Sud).
(c) Eric Deniset
Ainsi donc, on comprend bien vite que si Miss Knife est un des personnages de l’auteur Olivier Py, elle n’est en aucun cas un masque tant le comédien est présent sans fard à côté de la gouailleuse Knife. Il se dévoile sans pudeur, la diva devenant le médium qui permet d’atteindre le spectateur de manière symbolique. Drapée d’une mélancolie lascive voire d’un cynisme acide, la chanteuse sert ainsi  l’homme, ce dernier se servant d’elle en écho pour faire passer son message quelque peu désabusé.
Les sujets abordés dans « Miss Knife chante Py » ne sont en effet pas tendres : de la réalité d’être artiste, des amours perdues, de la jeunesse trahie en passant entre autres, par le suicide et le désespoir, rien n’est épargné au spectateur qui pourtant se prend au jeu de cette démolition souriante.
« Ô donnez-moi des chansons tristes
Pour achever mon cœur blessé
Avec des romances sinistres
Dans de grands hôtels déclassés
Donnez-moi des chansons cruelles
Et des souffrances murmurantes
Pas de cri
Pas de crécelle
Rien qu’une musique mourante », « Châtiment de la Nuit », « Miss Knife chante Olivier Py » (Actes Sud).
La lecture des intitulés des chansons qui composent ce récital est à ce titre éloquente : « Dans un Théâtre Noir », « Le Paradis Perdu », « La Chanson des Perdants », « Ne Parlez pas d’Amour », « La Vie est Brève », « Le Tango du Suicide » : il est question de pertes, de cœurs mis à nu. Olivier Py pousse d’ailleurs le vice jusqu’à faire jouer le plombant Dies Irae alors que le texte d’un « Enfant s’Ennuyait » évoque le plutôt joyeux Angélus.  L’ambiance qui règne dans ce spectacle et la salle est pourtant étonnamment légère, complice et bienveillante, preuve qu’Olivier Py maitrise à merveille les contradictions et les manie avec pertinence et justesse.
C’est d’ailleurs avec la même pertinence qu’il s’amuse avec son image, effaçant la Miss Knife à mesure qu’il reprend le dessus à grand renfort de jetées de perruques et autres changements de costumes pour finir en apothéose symbolique dans cette pose toute « Genetienne » dans laquelle il semble incarner de manière très masculine un jeune marin assis nonchalamment, les jambes écartées, spectateur en quelque sorte de sa propre créature.
(c) Eric Deniset
Miss Knife se révèle, plus qu’une audace en forme de performance, une occasion originale de retrouver de manière subtile tous les questionnements qui peuplent le théâtre d’Olivier Py depuis plus de vingt ans : du personnage de l’Ange Salvateur à l’évocation de la sexualité débridée et l’enfance sacrifiée, c’est sans doute l’idée du jugement qui est ici la plus frontale dans ce spectacle tant elle revient, confirmant la fascination eschatologique et religieuse du comédien pour le destin et la condition humaine dans sa généralité et qui prend corps dans l’art même.
 « La fin du monde est sans merci
La catastrophe est assurée
[…]
Les temps abondent de prophéties », « L’Apocalypse», « Miss Knife chante Olivier Py » (Actes Sud).
« Alors à l’heure du jugement implacable
Dieu dira aux humains, vous êtes tous coupables
Tous coupables », « Tous Coupables », « Miss Knife chante Olivier Py » (Actes Sud).
Pire que la sentence divine, c’est le jugement du public qui semble le plus douloureux, à moins que ce dernier ne soit pour l’artiste au final que le pendant expérimentable du premier.
« Et puis un jour on nous oublie
Nous retournons à la poussière
On nous délivre on nous délie de l’obscur et de la lumière
Notre nom sur un costume
Est retrouvé par hasard pour toute gloire posthume
Quelqu’un s’écrit : « C’est un ringard » », « La Vie d’Artiste », « Miss Knife chante Olivier Py » (Actes Sud).
Ainsi se craquelle le maquillage pour laisser transparaitre un artiste touchant et torturé qui se livre sans aucune pudeur, pour peu qu’on l’écoute attentivement, dans une pourtant légèreté revigorante. Du grand art.
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Bertrand Killy (Création lumières) , Stéphane Leach (Musique) , Pierre-André Weitz(Création costumes) Nathalie Bègue (Assistante costumes), Julien Jolly (Batterie), Olivier Bernard (Saxophone, flûte), Stéphane Leach (Piano), Sébastien Maire (Contrebasse).

En tournée :

_ Du 20 au 24 janvier au Théâtre de la Manufacture de Nancy

_ Le 12/02/2014 à La Comédie de Valence.

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A propos de Alban Orsini

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