« La mort vous change un homme ».

Nous partions intrigués et surtout méfiants, au vu d’une soirée de présentation particulièrement kitsch, de teasers embarrassants, et d’une campagne d’affichage redoutablement ratée. Heureusement, Le Bal de Vampires version comédie musicale, si elle souffle le chaud et le froid, est plutôt dans l’ensemble une bonne surprise, grâce notamment à une direction artistique et une scénographie impressionnantes, un indéniable sens du rythme, et un matériau d’origine toujours aussi efficace.

Tout en tentant de faire abstraction du film pour juger ce nouveau Bal des Vampires version 2014 de manière objective comme une œuvre à part entière, dès la séquence d’ouverture on s’amuse des similitudes et des différences. Reprenant à peu de choses près l’histoire telle que développée dans le film éponyme et culte de Roman Polanski de 1967, le Bal des Vampires (Le musical) s’ouvre sur Alfred (Daniele Carta Manglia), assistant timide et gauche du célèbre et fantasque professeur Abronsius (David Alexis), qui, perdu au beau milieu d’une tempête de neige des plus redoutables, attend son maître. Une fois les retrouvailles « fraîchement » fêtées, nos deux acolytes (alcooliques) débarquent dans la taverne pittoresque des Chagal et font très vite connaissance avec ses habitants. Mais bientôt les choses se compliquent et les deux chercheurs vont devoir faire face à la présence du Comte Von Krolock (Stéphane Métro), énigmatique personnage dont l’aura semble planer sur le village et susciter auprès des habitants de la taverne d’étranges habitudes telles celles consistant à porter des colliers d’ail à toute heure ou bien encore d’affubler chaque mur de crucifix plus imposants les uns que les autres. Et si d’aucuns n’avouent la présence d’un vampire, il est indubitable qu’un suceur de sang est dans le coin tant sa présence délétère est partout et se distille à la façon d’un poison. Pourrait-il s’agir du Comte ? La traque commence alors, mais attention, les distractions sont légion, et il se pourrait bien que la romance ne vienne compliquer très vite les choses et rebattre les cartes…

(c) Brinkhoff/Mögenburg

« Tu veux mes yeux peut-être ? » (c) Brinkhoff/Mögenburg

« Je t’attends !!! »

Si cette nouvelle proposition de Roman Polanski s’éloigne de manière compréhensible du film original, force est de constater que les choix qui ont été pris ne sont pas forcément des plus pertinents, notamment dans le fond, la forme faisant plutôt efficacement son travail…

Afin d’adapter son film en comédie musicale, Roman Polanski, qui signe ici la mise en scène, décide en effet d’édulcorer quelque peu le matériel de départ et prend le parti discutable d’inventer de manière paresseuse une romance gnangnante entre Sarah, la fille de l’aubergiste Chagal, et le Comte Von Krolock. Ce faisant il met en place un classique triangle amoureux (figure imposée et tarte à la crème des comédies musicales américaines depuis Cabaret en passant par un Américain à Paris) entre la belle Sarah, le rassurant Alfred (le Bien) et le plus exotique tentateur vampire Von Krolock (le Mal/ Le Mâle). Afin de renforcer cette idée de romance impossible, il rajeunit le personnage du Comte et lui insuffle une attitude plus ambiguë, lorgnant ainsi du côté du Dracula de Bram Stoker. Le Comte Von Krolock nouvelle version devient en effet une âme perdue et nostalgique, prisonnier qu’il est de sa condition monstrueuse autant que de sa recherche impossible d’un amour perdu. Dans le film, toute la force du personnage du Comte Krolock découlait de son allure de vieux beau qu’aucune ambiguïté ne venait lisser et de cette manière de tenir sa horde dans l’unique désir de nouvelles victimes à dévorer. Ici, le Comte pleurniche et se lamente sur son sort, agitant de temps à autre sa cape pour rappeler qu’il reste tout de même inquiétant sous la guimauve.

(c) Brinkhoff/Mögenburg

« Kikoo, tu veux voir mon mythe ? » (c) Brinkhoff/Mögenburg

La première très mauvaise idée d’adaptation tient donc à cette manière de vouloir surfer sur l’archétype très en vogue de romantisme-gothique toc (lire à la fois un contresens du romantisme et du gothique) du vampire maudit composé comme un poète dépressif miné par son éternité pour asseoir une classique bluette sentimentale.

Ainsi fait, le spectateur se retrouve confronté à des thématiques vues et revues qui n’apportent pas vraiment grand-chose à l’ensemble, surtout pas l’originalité qu’elles volent pour préférer l’accessibilité de l’immédiateté. Pire, en choisissant la facilité, Roman Polanski élimine toute la vision parodique de l’œuvre initiale pour n’en garder que les grandes lignes, une forme d’illustration paresseuse qui en suivrait les péripéties sans en garder l’atmosphère et les objectifs, passant à côté de ce qui faisait tout le sel du Bal des Vampires. Roman Polanski et Gerard Brach en faisaient un gigantesque hommage au genre, à la fois moqueur et poétique, se jouant des clichés. Ici, il retombe régulièrement dedans, comme un contresens de sa propre inspiration.

« Je t’atteeeeeeeeeeends !!! »

L’adaptation proposée n’est pourtant pas exsangue de moments drolatiques très second degré et nous prenons plaisir à retrouver certains des personnages iconoclastes du film tel Chagal et sa femme ou bien encore Herbert, le fils homosexuel de Von Krolock.  À ce titre, toutes les scènes dans l’auberge sont probablement les plus efficaces, que ce soit l’air faisant les louanges de l’ail, ou celui tout en mouvements d’accélération vantant les mécanismes logiques d’Abronsius. Malheureusement, en assénant son propos moralisateur tous les quarts d’heure au grès notamment de l’affreuse adaptation de « Total Eclipse of The Heart » de Bonnie Tyler (à croire qu’on ne pouvait pas écrire un thème vraiment original pour porter ce spectacle ?), Polanski fini par exaspérer, tout autant que ses deux personnages principaux, Alfred et Sarah, personnages qu’on se met très vite à détester tant leurs atermoiements sombrent dans la caricature. Le comble est qu’en faisant passer Le Bal des Vampires de comédie à tragédie plus sérieuse, l’adaptation verse hélas régulièrement dans l’humour involontaire, en particulier lorsqu’il cède à ce romantisme fade et éventé qu’il aurait pu laisser sommeiller dans les toiles d’araignée des poncifs à ne surtout pas dépoussiérer.

(on appréciera le clin d’œil très kawaï-pouët-pouët à Roman Polanski à travers la vitre du studio d’enregistrement)

« Je t’attends c’est le grand soir, 

Pour les vrais comme les forever […]

T’as rien laissé du tout quand t’as fait s’éclipser mon cœur

Tu me laisses à genoux quand tu fais s’éclipser mon cœur ».

Le schéma autour de ces deux personnages est d’ailleurs d’une simplicité confondante : si Alfred s’émancipe du pragmatisme des sciences (symbolisé par Abronsius), Sarah quant à elle se libère du joug du dogme religieux (cristallisé par son père), tous deux ne pouvant que succomber aux promesses de vie éternelle et d’hédonisme très sexué du Comte Von Krolock. Par trois fois d’ailleurs, le propos sera chanté, histoire de bien enfoncer le clou (le pieu) des fois qu’on ne l’aurait pas compris. On a connu plus subtil… On est d’ailleurs étonné de cet aspect démonstratif voire manichéen, de ce brusque intérêt pour les critères moraux, là où Polanski nous avait très justement habitués à une vision nettement plus immorale, iconoclaste et emplies de non-dits, laissant plus de place à l’imagination, y compris celle du spectateur, qu’à la démonstration. Un exemple : là où Chagal, renvoyant d’un geste de la main avant de la mordre la croix que lui présente la servante, se contentait dans le film d’un désopilant « Tu te trompes de vampire ma petite », l’adaptation scénique croit nécessaire d’ajouter « Je suis juif », comme si le spectateur était incapable de comprendre l’allusion ; le gag tombe alors à plat, aussi pataud qu’une comédie populaire à la française. Pour un peu nous aurions eu droit à Herbert courant sur le devant de la scène, biscotte à la main et hurlant « je suis une folle, youhou!!! ».  Disparu, tout l’art de la suggestion initiale. Disparue aussi la magie de l’interrogation.

À noter toutefois le final ambigu qui s’écarte quelque peu de cet univers moralisateur et sucré. Là où la fin du film stigmatisait la victoire du Mal, le fléau pouvant désormais se répandre à travers le monde, le dénouement vient ici signifier le vampirisme comme allégorie pompeuse d’une libération des sens et des contraintes socioreligieuses, ce qui a le mérite de changer du puritanisme ambiant certes, mais suscite tout autant l’interrogation : où veut en venir Polanski exactement ? Ne se serait-il pas un peu pris les pieds dans le tapis ?

(c) Brinkhoff/Mögenburg

« Je me pose tellement de questions sur notre couple et me sens tellement perdue quant au sens de la vie… » (c) Brinkhoff/Mögenburg

« Je t’atteeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeends, ma beeeeeeeeellllllllle !!! » (ça serait sympa si tu pouvais arrêter ça… vraiment… si tu le fais pas pour toi, fais-le pour nous…).

Une fois cette purge du fond évoquée, revenons sur la forme et là, oh surprise, la musique de Jim Steinman est plutôt réussie dans sa façon qu’elle a de mêler tout à la fois disco, années 80, rock et métal. Si les duos ou solos sentimentaux, sont assez affligeants rejoignant ainsi ce que nous avons précédemment développé, les scènes de chœur sont quant à eux imposantes et dans leurs moments les plus réussis, renvoient aux mini-opéras macabres que Danny Elfman écrivait pour Burton (sur Nightmare Before Christmas ou Corpse Bride notamment). Les airs sont enlevés, brillants, entrainants. Nous n’en dirons pas autant du livret de Michael Kunze,  d’une pauvreté voire d’une mièvrerie flirtant avec l’indigence. Que dire en effet de « La mort, ça vous change un homme » (sans blague ?) du lourdingue « sucer ou se faire sucer » ? De même, doit-on commenter plus avant cet échange grivois entre Alfred et Herbert :

« On dit qu’il y a un bal des vampires dans le coin

_ Tu as un joli popotin »

qui, s’il assure la rime, n’assure rien vraiment d’autre, même pas le rire…

(c) Brinkhoff/Mögenburg

« Gné hé hé ! » (c) Brinkhoff/Mögenburg

Il faut bien avouer, l’ensemble musical, s’il fonctionne, laisse parfois une impression assez mitigée, presque vieillie. Il est bon de rappeler que l’adaptation date de 1997, même si elle n’est proposée qu’aujourd’hui en France et en français, ceci expliquant peut-être cela.

Autre bémol également, le charisme des personnages principaux qui se trouvent affadis au possible alors qu’on en attendait beaucoup. Le spectateur ne peut en effet ressentir aucune empathie envers Alfred (Daniele Carta Manglia), un personnage lissé à l’extrême et sans aucune personnalité, ni même s’émouvoir des affres romantico-tragico-cuculpralino-amoureux de la belle Sarah (Rafaëlle Cohen) qui ne retrouve jamais le charme très charnel de Sharon Tate, preuve s’il en est que dévoiler ses fesses ne suffit pas pour s’imposer sensuelle. En décidant de montrer moins de chair, le film dispensait une tension autrement plus érotique, laissant au spectateur l’impression d’en avoir plus vu.  De même, en parlant moins ouvertement de pulsion et des tentations d’une sexualité, l’image les faisait nettement plus ressentir, autrement plus stimulante que sa transposition scénique. Pour preuve le quiproquo de la scène de l’éponge ne fonctionne absolument plus dans cette version. Quant à Kougol (Guillaume Geoffroy), ce monstre difforme, il est ici plus proche du Richard O’Brien de Rocky Horror Picture Show que de Terry Downes. Seul Pierre Samuel tire vraiment son épingle du jeu : en emmenant son personnage de Chagal dans une version ultra-caricaturée et très physique, il renoue avec le cabotinage salvateur original et apporte une légèreté bienvenue, légèreté que les autres comédiens auraient bien fait d’imiter.

(c) Brinkhoff/Mögenburg

« Cerf, cerf, ouvre moi, ou le vampire te tuera… » (c) Brinkhoff/Mögenburg

« Je t’atteeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeends, ma beeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeellllllllle !!! »

Malgré toutes ses erreurs, malgré cette tentation incessante de faire passer toute l’ombre vers la lumière,  malgré la beauté poétique glissant vers le show music-hall, le Bal des Vampires (Le Musical) réussit pourtant à nous divertir, les moyens colossaux de Stage Entertainment y étant sans doute pour beaucoup. Costumes et maquillages sont magnifiques et recréent à merveille le visage et les attitudes des monstres sanguinaires. On est en revanche partagé quant à la gestion des lumières, les éclairages s’avérant bien pensés lorsqu’ils cherchent à créer une atmosphère pleine de mystère, mais bien plus souvent dignes d’un clip d’aérobic lorsqu’ils éclairent en mauve flashy Krolock-Cœur-de-Rocker ou bien en rose Sarah-Barbie-Coquette-Passion-Paillettes.

(c) Brinkhoff/Mögenburg

« Quelqu’un sait où est la mayo ? » (c) Brinkhoff/Mögenburg

Si les incrustations 3D du château sont elles aussi des plus « cheap », les impressionnantes infrastructures mobiles sont quant à elle pertinentes et s’agencent dans une vraie chorégraphie. La machinerie impressionnante utilisée pour les faire se déplacer se révèle dantesque, à l’exemple des scènes du cimetière ou bien encore celles du bal qui témoignent d’une véritable virtuosité dans la façon qu’elles ont d’amener la transformation des lieux. Les décors de leur côté ne sont pas en reste. L’auberge notamment est magnifique, avec son système de murs invisibles et c’est probablement ici que la mise en scène révèle le plus d’inventivité, lorsque les personnages s’activent d’une pièce à l’autre et que le spectateur les observent comme dans une page de bd : en changeant de case… Le château gothique subit également une métamorphose très art-déco des plus réussies dans son gigantisme, son sens des apparats, des statues en passant par les inquiétantes créatures sculptées. Le long couloir de portraits enfin, si beau dans l’original, s’anime ici, jolie idée bien qu’elle soit plus Harrypotterienne que Polanskienne.

Nous étions également impatients de découvrir le traitement des scènes de miroirs et le résultat fait son effet, renvoyant aux mécanismes « à l’ancienne » des spectacles et films du début du siècle dernier. De même, tout le moment dans la crypte s’avère dans l’ensemble très réussis, parvenant même à concilier le beau, le drôle et l’inquiétant. Mais c’est probablement dans la scène du cimetière et du réveil des vampires que Polanski traduit le mieux l’état d’esprit du film, lorsque les tombes s’ouvrent et libèrent les vampires ; s’en suit une magnifique et très réussie chorégraphie, à la fois rock et gothique qui nous a laissé bouches bées. (Dommage néanmoins que le Comte revienne à nouveau chanter et désigner tout ceux qu’il a aimés, nous apprenant au passage qu’il est bi, ce qui n’apporte vraiment rien si ce n’est un retour au cucul gnangnan de mauvais goût qui plus est…). La scène du Bal constitue enfin un grand moment chatoyant dans lequel resplendissent les couleurs primaires et les flottements d’étoffes, même si la scène final retombe un peu, s’acoquinant de nouveau avec l’univers kitsch.

(c) Brinkhoff/Mögenburg

« Décalécatan, décalécatan… » (c) Brinkhoff/Mögenburg

Vous l’aurez compris, nous sommes sortis du Bal des Vampires avec une impression mitigée : refroidis par cette façon qu’a le spectacle de céder aux sentiments réchauffés et au show kitsch daté,  bluffés lorsque sa mise en scène recourt aux plus beaux artifices du théâtre à machines pour nous emporter vers la Transylvanie de Mogador. Nous ne pouvons néanmoins qu’admettre le rythme trépidant de l’ensemble et la vitesse à laquelle passent les 2h30.

Et le sourire que nous arborons à la sortie du théâtre reste un excellent signe de l’indéniable capacité du spectacle à divertir et nous offrir un beau moment d’évasion et de pur plaisir. Ne jouons pas les rabat-joie, ça n’était pas si mal !

A découvrir jusqu’au 31 janvier 2015 au Théâtre Mogador.

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