Le collectif belge tg STAN propose à la Colline une Cerisaie drôle et rassurante, mais peut-être plus inégale que leurs précédentes créations (le décousu et jubilatoire Onomatopée entre autres). La qualité et l’humilité auxquelles la joyeuse troupe nous a habitués est néanmoins au rendez-vous.

C’est un amour profond du théâtre qui semble animer tg STAN ; un amour si débordant qu’il s’épanche sur le public. Chaque acteur montre au spectateur à quel point il prend du plaisir sur scène, à quel point il s’amuse à jouer. Car c’est bien cela, la recette du succès : à chacun de ses spectacles, le collectif belge joue le jeu, et indique fièrement au public à quel point le théâtre – pas seulement la scène donc, mais aussi la salle, les coulisses – est une chose magique qui mériterait à elle seule une pièce. En cette fin d’année, c’est La Cerisaie d’ Anton Tchekhov qui véhicule la folie de l’infatigable tornade belge.

Dès le début de la pièce, le traditionnel quatrième mur disparaît sous la frontalité des répliques adressées au public, sans micros ni artifices. La scène et la salle fusionnent en une seule et unique communauté d’enfants, tous pétris par l’envie de jouer au théâtre, cet incroyable et si complexe jeu de rôles. On demande au spectateur si il est bien installé ; on lui indique un changement de scène ; on le prévient qu’un acteur joue désormais un autre rôle (« ne vous inquiétez pas, c’est moi ! J’ai juste changé de personnage ! »). En retour, le public rit, s’étonne, ou demeure profondément silencieux – comme pour inciter la troupe à continuer de s’amuser. On est loin du très sérieux Ça ira (1) Fin de Louis de Joël Pommerat, dans lequel la destruction du quatrième mur n’était qu’apparente, uniquement spatiale : malgré la présence constante d’acteurs dans la salle, les micros HF interdisaient toute interaction, toute complicité des acteurs avec le public. Cette Cerisaie, plus étrange pièce de Tchekhov, est rendue étonnamment rassurante par l’humilité, la générosité et la gentillesse des acteurs qui la font revivre.

© Johan Jacobs Koen Broos

Dans cette création, l’acteur Stijn Van Opstal incarne de manière exemplaire cet amour du théâtre exprimé à même le plateau : sa boulimie théâtrale s’exprime dans la multiplicité des rôles qu’il tient dans le cadre de La Cerisaie : il joue à la fois l’ensemble des majordomes ainsi que le comptable du domaine. L’acteur prend un malin plaisir à changer de rôle comme il change de veste et à indiquer haut et fort sa réincarnation, comme pour pointer le pouvoir extraordinaire du théâtre. Au delà de ces rôles inscrits dans la pièce de Tchekhov, Stijn Van Opstal est aussi le maitre de cérémonie du spectacle, homme à tout faire qui enlève des filtres de couleur des projecteurs et règle l’orientation des stores pour symboliser les différents moments de la journée au fil de laquelle l’intrigue se déroule. Ces manipulations se font joyeusement dans un hors-scène exhibé côté jardin. Alors qu’il fait virevolter quelques confettis rose grâce à un ventilateur, l’acteur chuchote à la poignée de spectateurs qu’il a à portée main : « ce sont les pétales des cerisiers ! C’est beau n’est-ce pas ? » Ce qui est beau n’est pas tant le confetti, que le pouvoir de signification dont est investi ce petit rien. Par la joie de ses acteurs – exprimée non seulement par le jeu, mais aussi par la danse, ou par le brouahaha qui accompagne chaque changement de décor, tg STAN pousse le spectateur à s’émerveiller d’un rien – à retomber dans l’enfance.

© Johan Jacobs Koen Broos

Il y a malheureusement un léger effet pervers à un tel plaisir du théâtre pour le théâtre. À certains moments de cette Cerisaie, l‘intrigue de la pièce de Tchekhov prend le dessus sur l’intrigue du théâtre que tg STAN raconte si bien, et le spectacle, sans perdre de sa qualité, semble quelque peu s’affaisser. Difficile pour le collectif belge de se pencher sur un texte aussi sacré, lorsqu’il a précisément l’habitude de s’asseoir dessus. C’est ce que faisait littéralement Matthias de Koning dans Onomatopée, se servant du script comme d’un coussin ; c’est aussi ce que faisait Frank Vercruyssen (drôlissime et touchant en Lopakhine)  l’année dernière dans My Dinner with André, lorsqu’il feignait d’avoir oublié une réplique. En se moquant du texte, les acteurs continuaient à jouer, signifiant alors que le théâtre se débrouille très bien sans. Il reste que le choix de la pièce est en accord avec l’idée que Tchekhov s’en faisait : profondément comique, presque farcesque.

La Cerisaie, d’Anton Tchekhov, mise en scène de tg STAN
du 2 au 20 décembre 2015
du mercredi au samedi à 20h30
le mardi à 19h30
le dimanche à 15h30
représentation supplémentaire le dimanche 20 décembre à 15h
La Colline, théâtre national
15 rue Malte-Brun, Paris 20e
métro ligne 3 et 3 bis, station Gambetta (sortie n°3, Père Lachaise)
bus 26, 60, 61, 69, 102 arrêt Gambetta mairie du 20e
01 44 62 52 52 / http://www.digitick.com/index-css5-colline-pg1.html

 

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