Six années se sont écoulées entre Clinging To A Scheme, le dernier album studio de Radio Dept, et Running Out Of Love, le présent album qui vient de paraître il y a quelques semaines de cela. C’est là seulement le quatrième effort studio du groupe suédois en près de vingt années d’activisme musical, même si de nombreux Ep. ont fleuri dans leur discographie au fil des ans. La dernière sortie officielle du groupe restait d’ailleurs une copieuse (et double) compilation regroupant le meilleur de tout leur travail studio (disques longue et courte durée), ce Passive Aggressive paru début 2011, cinq ans déjà. A l’époque, Adèle faisait la sensation avec « Rolling In The Deep » et Lady Gaga était la nouvelle Madonna, une éternité donc. Les querelles contractuelles entre le duo suédois et son label Labrador Records, au pays de Zlatan Ibrahimovic ont longtemps retardé la publication de cet album achevé depuis plusieurs mois déjà, avant qu’un arrangement à l’amiable nous en fasse, enfin, profiter en ces premiers jours d’automne. 

Musicalement parlant, The Radio Dept évolue toujours dans une Dream Pop de chambre qui refuserait de voir grand, là où souvent ses petits camarades de chapelle aiment le plus souvent à rêver plus grand, pour rester dans le football en général et le PSG en particulier. Autrefois proche de Beach House (l’évident cousin de chambrée et de playlist spécial Dream Pop pour soirée hipsters), sinon d’un Dayve Hawk (Memory Tapes) qu’on aurait privé de Bpm, la musique de Johan Duncanson et Martin Larsson a migré au fil des ans vers des contrées toujours aussi arides mais plus synthétiques qu’organiques, plus programmés que joués, la lumière qui émane de leurs compos restant toutefois semblables à ces halos automnaux et hivernaux des belles journées froides, une lumière sans chaleur pourrait-on dire. De la Dream Pop donc ou, mieux encore, la parfaite illustration du mantra répété ad lib par Air France, d’autres suédois rêveurs, sur leur titre emblématique « Collapsing at Your Doorstep » :

« It Feels Like A Dream,
No Better »

Rêver plus grand oui, rêver en mieux surtout.

Dans la grande famille de cette pop rêveuse et contemplative, les suédois de Radio Dept cultivent leur propre style avec ces boucles bricolées de synthés et cette voix de traîne collée au beau milieu du mix, un chant décontracté et un peu raide qu’on rapprochera volontiers de celui du voisin norvégien Erlend Øye pour un résultat final néanmoins plus lunaire et (surtout) plus cérébral.

L’entame rêveuse de « Sloboda Narodu », une lumière à la fois aveuglante et froide, lance le disque sur de superbes rails, ceux d’une mélancolie automnale (« Can’t Be Guilty », « Running Out Of Love »), sinon d’une neurasthénie presque hypnotique (le court intermède « Thieves Of State”, beau comme une intro de Mohini Geisweiller). Citons également du côté de la lenteur le second morceau de l’album, ce « Swedish Guns » qui évoque le morceau « Strongest Man In The World » de Menomena, tant musicalement (le clavier en fin de vie) qu’émotionnellement (cette angoisse qui pointe). A cette matrice mêlant l’affliction à des sonorités programmées viennent s’ajouter quelques mélodies davantage rythmées. C’est par exemple l’eurodance délicieusement éventée de « We Got Game », sur lequel on imagine bien un juvénile Neil Tennant (Pet Shop Boys) onduler au micro sur cette rythmique dansante ou bien encore le refrain tubesque, bien que toujours à l’économie, de « This Thing Was Bound to Happen ».

Cet ensemble déjà flatteur et digne des félicitations s’enrichit de trois vrais beaux sommets. En premier lieu un « Occupied » qui semble construit sur un sample de la nappe phréatique et synthétique du « Laura Palmer’s Theme » (musique de la série Twin Peaks composée par Angelo Badalamenti), même si ce dernier n’est pas crédité. Voilà le morceau phare de l’album sans aucun doute, d’autant que son final frôle la pure magie avec une électro désossée que n’aurait pas renié la Bjork Unplugged des débuts. Autre grand moment, « Committed to the Cause » qui commence comme du Beck et finit sous le soleil d’Ibiza, du moins celui qu’on devine à travers le vasistas du garage où se déroule la fiesta. Pas loin de six minutes classieuses et, à vrai dire, assez euphorisantes qu’on rapprocherait, Ibiza oblige, du New Order circa Technique. Dernier titre de l’album enfin, histoire de finir en apnée, « Teach Me To Forget » et sa poignante mélancolie qui nous fait penser une fois de plus au meilleur des Pet Shop Boys, en plus neurasthénique cependant, quand l’introspection l’emporte sur la légèreté et la profondeur sur la superficialité, toute joyeuse soit-elle.

Attention toutefois à ne pas faire de The Radio Dept un énième groupe mélangeant mélodies rêveuses et propos déconnectés du moindre quotidien et noyés au contraire dans l’opulence confortable de l’imaginaire. C’est un groupe en colère figurez-vous, comme ils l’explicitent d’ailleurs eux-mêmes en présentant ce nouvel album sur le site de Labrador Records :

“Running Out Of Love is an album about life in Sweden in 2016 moving in the wrong direction:  politically, intellectually, morally. It’s about the impatience that turns into anger, hate and ultimately withdrawal and apathy when love for the world and our existence begins to falter”

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Rien de bien nouveau en fait lorsqu’on se souvient du single paru l’an dernier et intitulé « This Repeated Sodomy », un single numérique option pop ligne clair sur lequel Johan Ducanson chantonnait :

« I’m like the greek economy
and that would make you Germany »

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L’entrée en matière « Sloboda Narodu » nous jette de suite dans l’eau du bain avec un titre venu d’une expression de l’ancienne Yougoslavie et faisant office en son temps de slogan de la résistance à l’oppresseur nazi :

« Smrt Fašizmu, Sloboda Narodu/ 
Death To Fascism, Freedom To The People »

Les thématiques suivante restent dans les mêmes eaux sales et polluées de notre cher monde moderne occidental, de l’industrie d’armement suédoise sur le bien nommé « Swedish Guns » au procès intenté (et perdu) par le groupe à sa maison de disques sur le chef d’œuvre « Occupied » en passant par quelques mots doux lancés à la police suédoise sur « We Got Game » à propos de sa relative mansuétude envers les activistes nationalistes (voire nazis) et le zèle méthodique qu’elle semble mettre à « neutraliser » ceux qui manifestent à leur passage.

« Like with this bunch of racist goons 
The kind of guys you would not like to spoon
If in power one whiskey sour
And everyone I love would be jailed within the hour »

Ambiance, ambiance!


Swedish-Guns

L’étalonnage de cette pop élégamment lascive et d’un propos pour le moins radical ne manque pas d’étonner, voire même d’ébahir à l’écoute du résultat, assez génial. On n’est certes pas obligés de prêter attention à pareils propos et de se contenter, en bon non-anglophones que nous sommes, de savourer l’onctuosité lascive de la musique des suédois, mais cela reste une occurrence importante de ce nouveau travail studio de The Radio Dept, l’un des plus beaux de cette année 2016.

Non Sire, ce n’est pas là une révolution musicale, juste une révolte, une révolte tranquille, une révolte amère aussi.

« It Feels Like A Dream
No Bitter »

https://www.youtube.com/watch?v=kGlUvmrUXYY

 

 

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A propos de Bruno Piszorowicz

1 comment

  1. Nicolas

    Beau travail certes mais je trouve l’ensemble moins réussi que « Clinging to a scheme ».
    Cela dit, ça reste très agréable à écouter, voire même adictif.

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