Brian S. Cassidy – « Alpine Seas » (2016)

Ancien membre de Shearwater et d’Okkervil River (dont sort actuellement « Away », l’excellent dernier album de Will Sheff), le guitariste américain Brian S. Cassidy vient de réaliser son premier album solo, sorti en 2015 aux Etats-Unis, aujourd’hui édité en France grâce au label Microcultures. Bien enraciné dans l’Americana, le disque est un panachage des savoir-faire de son auteur, compositeur et multi instrumentiste. Les pistes alternent morceaux électriques, assez richement arrangés, et plages plus intimistes, portées par une guitare acoustique et une voix sans effets. Mais les talents de mélodiste et d’interprète de Cassidy élèvent ce disque bien au-dessus de la simple démonstration éclectique si équilibrée soit-elle, surtout pour un premier album d’ex sideman instrumentiste. Une cohérence musicale est bel et bien à l’œuvre. Elle transcende les influences – Elliott Smith (« A Cruise ») ou Bon Iver (« I’m an ocean ») – encore sensibles ça et là, mais malaxées de façon très personnelle. On sent aussi une culture des musiques traditionnelles, country et folk, qui donne un supplément de profondeur aux interprétations ; chaque composition étant, par delà les alternances du disque, une synthèse musicale habile de classicisme et de pop-rock plus contemporaine. Le visuel photographique de la pochette, un pic rocheux enneigé, une vallée roussie par le froid, et un ruisseau qui serpente à ses pieds, est bien à l’image de cette musique humble et ambitieuse, et de son imaginaire mythologique, perdu dans les brumes des grands espaces alpins et américains.

Le mérite de Brian S. Cassidy est de développer un sens de la dramaturgie à l’échelle du disque, avec un séquençage progressif qui va des premiers morceaux assez atmosphériques et dépouillés – une sorte d’exposition musicale – jusqu’aux plages plus uptempo et arrangées du milieu. Après l’inaugural « I’m an ocean » tout en claviers et voix acqueuse, et passée la lente montée du très beau « A Cruise », ce sont les chœurs allègres du morceau « Arcadia » qui réchauffent définitivement le ton: une chanson pop rock allègre, pianotée, légèrement cuivrée. « Uncompahgre », le single de l’album, prend un tour plus électrique et rock, avec ses brisures rythmiques, sa guitare slide très country, se rapprochant par endroits de Wilco. La formation musicale de Cassidy (enseignant et pianiste multi-instrumentiste) lui permet de diversifier les harmonies et les arrangements des titres ; chaque morceau se singularisant comme un tableau, avec une palette et un univers sonore bien identifiés. Des articulations subtiles lient le propos musical comme dans le très évocateur « The South », où le jeu du banjo et de la mandoline répondent au final suspendu du morceau précédent, « Make Believe » – un autre titre clef de l’album, avec son mélange de pianotage mélancolique et de rock épique sur un registre cette fois-ci voisin de Jim James (du groupe My Morning Jacket). Le disque se referme après ces quelques « pics » en vallée douce sur les airs de confidence de « Rich Man » et de l’acoustique (et countrysant) « If I could write a song ». Brian S. Cassidy y délivre, dans le registre plaintif du perdant, l’une des plus belles prestations vocales. Cette coda très habitée est aussi le morceau folk le plus archétypal de l’album, une révérence traditionnelle dépourvue d’académisme.

Alpine Seas, enfin, réjouit par la finesse des développements instrumentaux. Les titres du disque s’inscrivent dans une durée confortable de 4 à 5 minutes qui permet aux narrations, autant instrumentales que chantées, de se déployer dans l’espace, pleines d’évocations visuelles. Chaque morceau s’enrichit ainsi de gradations subtiles, des changements atmosphériques et dramatiques, qui démentent l’apparente homogénéité du disque. Assurément, on tient déjà, avec ce premier album très élégant et consistant, un nouveau nom très prometteur de l’Americana actuelle.

« The Alpine Seas », sortie le 4 novembre 2016 (Microcultures/Differ-ant)

site web de Brian S. Cassidy et album en écoute sur le Bandcamp du label

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A propos de Robert Loiseux

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