Of eels and dogs – Des anguilles et des chiens

You know what? I’m in a good mood today. Ces mots ouvrent New Alphabet, septième titre du dernier Eels en date, le formidable Wonderful, Glorious. Non seulement cette accroche est caractéristique d’un aspect fondamental de l’œuvre de Mark Oliver Everett (en ce qu’elle semble, comme nombre de ses textes, chansons, disques, nous gratifier d’un bilan de santé du Monsieur), mais aussi rappelle-t-elle le you know what? I’m happy du Droopy de Tex Avery. Ca n’a l’air de rien comme ça, c’est pourtant sacrément révélateur. Pour en être certains, il faudra en passer par un robot, Lady Di, Ivan Brunetti, des fantômes, plein de parenthèses et peut-être quelques approximations foireuses. Mais commençons par le commencement, c’est-à-dire ailleurs.

Dans le curieux documentaire Parallel Worlds, Parallel Lives (Louise Lockwood pour la BBC), Mark Oliver Everett se met en scène sur les traces de son défunt père, physicien spécialiste en mécanique quantique, et inventeur de la théorie des univers parallèles. Dans un univers parmi d’autres, Everett n’est peut-être pas devenu E, seul membre permanent du «groupe» Eels, mais il y a fort à parier qu’il serait tout de même flanqué d’un certain Bobby Junior.

Bobby Jr., c’est le chien de E, qui creuse une carrière souterraine à travers toute l’œuvre de son maître. On a pu l’observer dans le clip du langoureux That look you gave that guy en 2009 ou l’entendre dans Last time we spoke en 2005, sa première prestation officiellement enregistrée. On vous laisse tracker ses autres apparitions -vous découvrirez notamment que l’animal dispose de sa propre page myspace. L’homme connu sous le nom de E se fend sur le site officiel du groupe d’une rubrique le concernant, évoquant sa légère difformité (une patte à l’envers et un abdomen trop gros pour ses pattes, ça vous pose un freak), et y reprend par le menu leur rencontre. Bobby Jr (junior car il y eut dans la vie d’E un Bobby senior, chien-robot acheté dans un magasin de jouets pour remplacer un chat inapte à suivre la vie d’un rocker en tournée) occupe à n’en pas douter une place de choix dans la vie de son maître, et peut-être même dans son processus créatif.

On sait, au moins depuis Anubis, de quoi les chiens sont capables avec les âmes -entre autres veiller sur elles après la mort, les transporter (quant il ne s’agit pas pour leur propre âme de nous visiter: ainsi Julian Rios, dans son roman Pont de l’Alma, nous apprend-il que Lady Di était la réincarnation du chien de L-F Céline). Le chien est en effet un animal psychopompe, alors pourquoi notre cher Bobby Jr ne serait-il pas le vaisseau de quelque âme passée? Puisqu’il s’agit de hanterie, ecoutons Friendly ghost, merveille issue de Souljacker (2001): nonobstant les arrangements typiques du band californien, n’y entendons-nous pas une mélodie et des inflexions éminemment beatlesiennes (écoutez Everett y chanter «I open up the door»)? Grand amateur des Fab Four (comme tout le monde) et de Lennon (peut-être un peu plus que tout le monde), Mr E a trouvé dans les yeux de Bobby Jr l’âme du défunt groupe, mêlée aux reliquats de damnés américains (entendez l’americana sépulcrale qui suinte dans ses enregistrements). Ceci expliquerait pourquoi, entre tous les specimens présents au chenil de Silver Lake, CA, le songwriter a précisément choisi cet a priori disgrâcieux rejeton d’un basset et d’un berger allemand.

Mais la fixette d’Everett sur les canidés va bien au-delà du cas mystique de Bobby Jr. Considérons la discographie d’Eels jusqu’au double-album charnière Blinking Lights and other revelations (charnière car, fruit d’un travail introspectif long et dense pour Everett, il semble solder la partie dépressive de son œuvre): passé l’inaugural Beautiful Freak (1996, quand Eels se faisait passer pour un vrai groupe et draguait le publick indie-rock en deuil de Cobain et goûtant le spleen trip-hop, avec l’un des trois ou quatre meilleurs singles des 90s: Novocaine for the Soul), la pochette d’Electro-shock blues (1998, surcafardeux et grandiose) arbore un dessin d’enfant où figure un chien blanc. Détail qui rebondit dans le suivant Daisies of The Galaxy (2000, pastoral et désarmant) au sein de l’illustration très «Martine en balade» de la couve (qui vaudra à Eels les foudres de George W. Bush: comment peut-on vendre des textes avec des «fuck» sous pareil habillage?), puis encore sur la photo ornant Souljacker (2001, furibard et fun) collant dans les bras d’E, attifé en Unabomber (il cherche la merde, aussi), un caniche immaculé.


Shootenanny!
(2003) ne compte pas: l’album est bon mais sa pochette est noire (on imaginera ce qu’on veut sous la couche de ténèbres), et nous arrivons donc à Blinking Lights (2005) et sa photo vieillie, où trône un majestueux dalmatien (traces de ténèbres sur le blanc). Assez symptomatiquement, après le silence suivant cet album personnel jusqu’à l’intime, suivra une trilogie de disques reprenant plus ou moins les tonalités des coups d’éclats originels (pour Hombre Lobo la rage de Souljacker, pour End Times les pleurs d’Electro-shock blues, et pour Tomorrow Morning la joliesse de Daisies). Ici, le chien s’évapore, de logo sur le premier en hypothétique compagnon absent du vagabond ornant le deuxième, puis plus rien derrière le cerisier stylisé du troisième: Everett aurait terminé l’absorbtion totale de son animal-totem («I am El Hombre Lobo!», hurle-t-il, réalisant le devenir du déjà lointain Dog-faced boy). Avant d’en arriver là, il n’aura finalement fait qu’utiliser un vaisseau de l’âme pop américaine qui a fait ses preuves: donc, le Chien Blanc.

Quel autre créature aurait été capable pendant cinq décennies entières de livrer au monde une dose quotidienne de commentaire sur la condition humaine occidentale (au moins), comme l’a fait le Snoopy de l’immense Charles M. Schulz de 1950 à 2000 (et bien au-delà si on considère la puissance du rayonnement de ce personnage)? Si Everett n’a, semble-t-il jamais mentionné de façon directe ce chien pop et polymorphe par excellence, il convient cependant de s’arrêter sur un détail et d’y chercher le devil. En 2003 est publié de façon confidentielle l’excellent album I Am The Messiah, d’un certain MC Honky, personnage fictif ayant assuré les premières parties de concerts d’Eels, dont l’œuvre -même si cela n’a pas été officiellement éclairci- est celle d’E lui-même (E=MC Honky, encore de la physique de haut niveau). Cet étrange MC vieillissant, blanc bourgeois bedonnant, produisant un hip-folk fait de collages (The Books sauront s’en souvenir), taclant Beck sur son terrain (3 turntables & 2 microphones), est une manière d’âme damnée de E …et à qui revient l’honneur d’en accoucher la représenation? A Ivan Brunetti, auteur de comic-strips indie souvent trash et surtout, en fan absolu de Schulz, de multiples parodies rock’n’roll de Snoopy (tout se tient). Des parodies à ne pas mettre entre toutes les mains, d’ailleurs nulle mention du Honky dans la magnifique autobiographie d’Everett, Things the grandchildren should know en VO (d’après le morceau-climax de Blinking Lights): non, cet facette de Snoop-E ne fait pas partie de ce que les petits-enfants devraient connaître.

Le lien avec ce dont on parlait en ouverture? Héros d’une vingtaine de films (moins qu’on imagine), partageant avec Everett la connaissance de la fragilité du bonheur et des passions de l’existence, Droopy est bien sûr après Snoopy l’autre Chien Blanc Pop de la culture U.S., avatar probable du même être primordial dont E se fait, inlassablement, le prophète. Aux dernières nouvelles, Mark Oliver Everett aurait payé une onéreuse opération de la colonne vertébrale à Bobby Jr: You know what? He’s happy.




BONUS: Bobby Jr pose avec Leonard Cohen !

 

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A propos de Rémi Boiteux

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