Nick Cave & The Bad Seeds – Push the sky away (2 – Le Cave au sommet)

Le nouvel album de Nick Cave est de si belle qualité que deux rédacteurs ont souhaité en tresser les louanges, Au tour d’Enrique Seknadje.
Nick Cave nous revient avec un très bel album, excellent même, accompagné d’images joliment sulfureuses destinées à faire parler de lui, et lancé par une machine promotionnelle à la fois efficace et de bon goût. Quand on a écouté les dernières productions du natif de Warracknabeal, en Australie, il y a de quoi être surpris. La musique est ici plutôt lumineuse, ethérée… subtilement jouée et arrangée. Elle fait suite au rock primitif, saturé, bruitiste des Bad Seeds transformés en Grinderman – pour une paire d’albums en 2007 et 2010 -, et à cet entre-deux que fut Dig, Lazarus, Dig ! (2008). On est enchanté que le spectre esthétique et sonore de Cave soit si large (1). 
La pochette donne d’emblée la couleur : pure et claire. La photo, montrant Nick et son épouse dénudée, le top model Susie Bick, dans un décor d’intérieur vide et à la blancheur céleste, a été réalisée par la photographe Dominique Isserman – qui fut, comme par hasard (!), la compagne de Léonard Cohen… et qui a déjà filmé Bick pour une vidéo du Canadien : Darkness.

Tous les morceaux de Push The Sky Away sont réussis. Fins, aérés, cristallins, même si de la tristesse, du morbide et du pulsionnel les traversent. Les guitares sont discrètes. Mick Harvey, musicien aux racines punk, est parti – depuis 2009, en fait (2). Warren Ellis, multi-instrumentiste qui joue de la guitare « ténor », reste mais n’est pas là pour s’imposer. Les arrangements sont subtilement dosés. Ce sont de courtes interventions, des apparitions parfois quasi imperceptibles, et non des lignes d’accompagnement fortement mises en avant et complexes. Le tout est joué avec grande sensibilité. Certains instruments semblent simplement effleurés, positivement étouffés, comme si les musiciens avaient eu entre les mains du verre à manier avec précaution. Il faut écouter les guitares et les cordes de Jubilee Street ; les guitares, percussions et claviers de Mermaids. Les choeurs de Finishing Jubilee Street et de Push The Sky Away – Cave a embauché pour l’enregistrement des enfants de Saint-Rémy-de-Provence.

Mais, et c’est jubilatoire, d’autres instruments ont une pesanteur, une noirceur très mauvaise graine : les basses grondantes et répétitives de Water’s Edge – on pense avec ce morceau au Working Class Hero lennonien et faithfullien – et de We Real Cool. De légères dissonances rendent bancal ce qui pourrait être trop lisse : les cordes sur Water’s Edge. L’écriture contrapuntique est réussie.
Nick Cave chante avec gravité et solennité. De façon contenue. Plus que jamais viennent à l’esprit les noms de John Cale – We No Who U R et Wilde Lovely Eyes – et de Léonard Cohen – Wilde Lovely EyesDes envolées lyriques ne manquent cependant pas. Ainsi en est-il du final de Jubilee Street, où guitares et cordes évoquent la dissolution orgasmique d’un personnage de la chanson et font jouir l’auditeur.

Aux dires de Nick Cave, il lui a fallu autour d’un an pour se préparer. Le groupe est ensuite entré au studio La Fabrique, situé dans les Bouches-du-Rhône – et a exploité, développé les idées du chanteur pour créer l’œuvre comme l’on fait sortir un papillon de sa « chrysalide » – terme utilisé par Cave lui-même. Le tout a été réalisé sous la houlette de Nick Launay qui avait déjà produit plusieurs albums de Cave et des Seeds, dont Dig, Lazarus, Dig !, mais aussi les deux disques de Grinderman – et qui a à son actif des oeuvres de P.I.L., Killing Joke, Midnight Oil.  

Cave joue avec certains musiciens qui participent à l’aventure des Bad Seeds depuis vingt-cinq ans – le batteur Thomas Wydler -, mais il retrouve aussi le bassiste Barry Adamson pour quelques morceaux – en plus de Martyn Casey. Barry Adamson, qui s’est rendu célèbre comme musicien du groupe Magazine et compositeur de musiques de films, a joué sur les quatre premiers albums des Mauvaises Graines, de 1984 à 1986.

Un premier clip est proposé début janvier, réalisé par le cinéaste Gaspar Noé : We No Who U R. Une représentation en mouvement mais simple et unique… assez lynchienne dans le climat… à voir ne serait-ce qu’une fois… Puis, début février, la vidéo de Jubilee Street est publiée sur Youtube. Un petit film réalisé avec John Hillcoat, cinéaste et vidéaste qui a déjà collaboré de près avec Cave (3). L’acteur Ray Winstone, déjà vu dans plusieurs films de Martin Scorsese – une référence importante -, est de la partie.  Le clip a été retiré très vite du fait de la présence d’images de nudité, puis remis en ligne. Une version censurée et une version non censurée sont actuellement visibles sur Youtube (2). Un beau coup de pub pour Cave et sa bande. On a cliqué, on a écouté et on a regardé en nombre Jubilee Street ! (4).

Avec Jubilee Street, chanson et vidéo, le caviste est en terrain connu. Le monde de la rue – Jubilee Street est une artère londonienne. Bas-fonds où règnent le vice et la violence meurtière, où se rencontrent prostituées et clients. Et puis la possibilité de la rédemption, de la catharsis : « Je suis seul maintenant, sans récriminations possibles. Les rideaux sont fermés. Les meubles ont disparu. Je me transforme. Je vibre. Je brille. Je vole. Regardez-moi maintenant ».

L’univers des mots, des images – verbales et filmiques -, nous fait osciller, comme la musique, entre l’obscurité et la lumière, entre le rouge et le blanc de la surexposition – cf. le clip de Jubilee Street. Il est baigné par la sexualité, la tentation, la pulsion – par exemple le voyeurisme dans Water’s Edge, le sentiment de péché. Des allusions sont souvent faites au christianisme – le « Bon Pasteur »  dans We Real Cool -, à la mythologie païenne, aux Symboles et archétypes : l’araignée noire – Finishing Jubilee Street -, les sirènes – Mermaids. Mais aussi à la science et à la technologie : le Boson de Higgs dans Boson Higgs Blues –  où il est question de la rencontre de Robert Johnson, particule humaine et bluesman, avec le diable – ;  Wikipédia, présenté – plus ou moins ironiquement – dans We Real Cool comme le nouveau Paradis de la mémoire et de la connaissance.   

Cave et les Seeds ont donné un concert au Trianon de Paris le lundi 11 février. En plus du groupe, se trouvaient sur scène un quintet de cordes, deux choristes, six enfant de choeurs. Ils ont joué l’ensemble du nouvel album et quelques morceaux parmi les plus fameux – notamment Jack The RipperThe Mercy Seat ou Stagger Lee
Le concert de Berlin du mercredi 22 a été retransmis en direct sur la radio Le Mouv’. 

Nick Cave est actuellement en tournée mondiale. Il se produira au Festival de Beauregard le 7 juillet prochain – avec Smashing Pumkins et M -, et au Festival La Route du Rock de Saint-Malo le 15 août. On pourra en outre le voir au Zénith de Paris le 19 novembre.

1) On peut penser à un retour au style de Boatman’s Call (1997), mais ici le son est plus synthétique – sans que ce terme soit à entendre en un sens péjoratif.
2) Son départ n’a pas empêché la réalisation du second disque des Grinderman en son rude style spécifique, mais il a peut-être encouragé Cave à réfléchir à de nouvelles orientations musicales.
3) Nick Cave a travaillé à la musique des films Ghost Of The Civil Dead (1988), To Have & To Hold (1996), The Proposition (2005), The Road (2009), Lawless (2012). Il a joué un rôle dans le premier des cinq films. Il a écrit le scénario du quatrième. Hillcoat a réalisé un clip pour les Bad Seeds : Baby, I’m On Fire (2003) et un pour les Grinderman : Heathen Child (2010).
4) Version censurée : http://www.youtube.com/watchv=PwS0qu7pL8k
Version non censurée : 
https://www.youtube.com/watchv=xCxHvNl9MmQ
5) Cf. http://loumeastree.orpheomundi.fr/2013/02/06/de-lerotisme-censure-et-encense-jubilee-street-de-nick-cave/

 

 

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A propos de Enrique SEKNADJE

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