BadBadNotGood & GhostFace Killah « Sour Soul »

Cela aurait pu être l’appréciation de leur professeur de musique du conservatoire de Toronto, Canada, à leur examen final. Matthew Tavares, piano : Bad. Chester Hansen, bass : Bad. Alexander Sowinski, batterie :  Not Good.

Le jury reste stoïque et distant devant la prestation de ces trois lascars. Leur remise au goût du jazz de morceaux produits par Odd Future[i], l’entreprise Hip Hop la plus passionnante depuis le Wu Tang[ii], n’ayant pas l’art de séduire le précieux sabir de la musique institutionnelle. En raccourci, pas vraiment le genre de truc qu’on apprécie quand on est WASP[iii], conservateur du conservatoire et qu’on a largement dépassé 20 ans, l’âge vers lequel se rapproche alors nos jeunes amis. Dépités mais pas dégoutés, ils mettent une vidéo en ligne de leur Odd Future Session, elle tombe sous le clic de souris de Tylor The Creator, pilier central de Odd Future. En moins de temps qu’il n’en faut pour enchaîner une triple croche, la vidéo devient virale, et BadBadNotGood, rentre dans l’histoire.

Ni plus, ni moins.

Sowinski, Hansen et Tavares sont des acharnés qui ne lâchent rien. En plus du conservatoire, Ils jouent chacun de leur coté dans les bars et dans la rue, et ne « snobent » jamais la musique de leur temps, celle que Quincy Jones nommait, avec prophétie, « from be bop to hip hop ». Le trio ne fait que porter la note « once step beyond » inventant le Bip Bop  d’une époque où en réinventant le présent, on  écrit l’avenir. Tout processus créatif est bain de jouvence.

Dans leur premier opus, des standards hip hop tels que The World Is Yours (Nas), Brooklyn Zoo (ODB), Mass Appeal (Gangsterr), Fall in Love (Slum Village) sont revus à la hausse coté sample et instrumentalisé live par le groupe. Le clou est enfoncé avec le tacle de l’outro adressée à Robert Glasper, pianiste blue notisé, et pape de la fusion jazz-hip hop, auquel le trio reproche (tout en l’admirant) son conformisme, isthme confortable d’où ne naîtra aucune prétendue fusion. Toute création est aussi une prise de risque.

 Et le risque rend « hysterisque ». Aux concerts des BadBadNotGood, la foule saute en l’air sur les notes martelées des accords de leur reprise de Flashing Lights de Kanye West, faisant oublier l’original et son auteur. Toute la tension est sur le trio. La composition devient en parallèle plus mure, et trouve ses arrangements entre boucles hypnotiques, breaks hip hop et fenêtres modales. Les traditionnelles boucles (les amples) tournent sur 4 temps, ils les déconstruisent, étirant les crescendo pour les amener à leur vision du climax, créant par là leur propre style.  Le clavier mène la transe, sur une batterie qui semble hors de contrôle et une basse qui braise le ton en l’enracinant dans ses pulsions tribales.

Le saxo de Leland Whitty se présente alors sur certains morceaux comme l’ancre flottante des remous inspirés de la portée (clés, sol et fa), mais aux portes infinies. Des portes et des connections pour un labyrinthe ineffables, où les mots ne peuvent exprimer qu’une version tronquée de l’harmonie du monde. C’est là que le langage musical prend le relais.

Et quand par dessus cette thébaïde on pose un léger couvercle d’humour qui ne se prend pas aux sérieux, la fête est complète. Le clip d’UWM sur BBNG II, est en cela un model du genre, qui ne pourrait mieux présenter ce qu’ils sont.

Pour le travail, car il y en a sous cette apparente décontraction, tout le monde compose et met en commun pour aboutir au résultat final. Un parcours qui dessine un voyage et trace un chemin.

Les influences du groupe ne seraient être dictées par un quelconque monopole. Elles vont de la New Wave des années 80 en passant par le punk, Coltrane et bien sûr, la culture Hip Hop. Sur leur mix tape INSPIREDBOYS 2014 MIX, on croise toute autant Gucci Mane donc, que Mf Doom (dont ils sont de grands fans), ou Coltrane, James Blacke, Kendrick Kamar, Bill Evans. Pour clore la session, un titre inattendu mais pourtant tellement évident est remis à sa place ici. Un morceau d’une avant-garde à vous donner des frissons tellement le génie de cet artiste disparu n’a pas de limites….

« Cargo Culte », Gainsbourg grand cru 1971.

2013 Jazz Mix invite le trio déprogrammé d’un autre festival, à jouer pour un concert gratuit sous le magic mirror.  L’ambition du combo a toujours été de jouer, jouer et jouer encore et pour longtemps. Les plans de carrière sont tels que les deux premiers albums sont en téléchargement libre. Sur la scène, pas de prise de têtes et une proximité avec le public qui me fait assister au premier jump généralisé à un concert de Jazz. Les chroniqueurs qui aiment les post-its sur leur laptop (yeah !), devraient sortir de temps en temps de leurs carcans[iv]. Ce soir là, et jouant le beauf jusqu’à plus de 3h du matin (ok, ça commençait à minuit), avec quelques musiciens sortis d’autres scènes du festival, le trio réussissait à cristalliser autant l’ardeur des amateurs de jazz, comme celle des amateurs de gaz, ce mot qui désigne le vide dans le jargon des alpinistes, et dont on se grise avant d’être vieux, ou mort… !

Je ne ferais pas l’exégèse des textes de Ghostface, comme il le dit lui-même il n’est qu’un « god damn vocalist ». Son flow reste celui d’une légende du hip hop et quand il se joint à celui de MF Doom (« Ray Gun »), on ne peut que retenir son souffle jusqu’à la sortie de leur album commun. Sauf qu’il vaut mieux respirer ailleurs, le projet commençant à renifler l’Arlésienne.

Reste 12 titres aux ambiances amères en effet, tour à tour cinématiques ou électriques, planant sur les horizons urbains (« Tone’s Rap ») ou rasant le bitume (« six degrees ») pour trouver sa rédemption (« Food »), money is the root of all evil….each one preach one.

Amer oui, quand il n’y a plus de place pour aucun enseignement (each one teach one) et qu’il ne reste plus qu’à prier.

Soul Sour, le savent-ils, est le titre d’un morceau somptueux d’un groupe de rock pryché, Pool Pah. Mais Pool Pah est aussi un nom inventé par Kurt Vonegut[v]dans son roman Le Berceau du Chat, et dans le Bokononism, Pool Pah signifie « colère de Dieu », mais aussi, « tempête de merde » !

“Yo, cleanse me, clean me of my sour soul, I’m vicious »

C’est dans les interstices de nos âmes, si une telle chose existe que cette musique raisonne ou pas. Qu’elle accompagne le pas de nos marches personnelles. Musique épistolaire, pour pèlerins combattants, le drapeau en berne sur la tête.

Et l’album de se clore sur un titre entièrement musical de BBNG, un morceau dont ils ont le secret et auquel ils ajoutent violons et cuivres…

Experience, morher fucker !


  • [i] Odd future est un collectif (comme le Wu Tang) qui s’exprime aussi bien en musique, qu’en graphisme, et représente une mouvement alternatif dans le HH américain. Franck Ocean fait parti de l’aventure, se bisexualité assumé, ce qui n’est pas dans les habitudes d’un genre culturel vérolé par le machisme ordinaire.
  • [ii] Odd Future et Wu Tang Clan ont en commun le fait d’avoir chacun en leur temps bousculé  les codes du Hip Hop et sorti de leur studio pléthore d’artistes qui ont marqué le genre.
  • [iii] White Anglos Sacon Protestant
  • [iv] CF Starflamm « De Causes à Effet »….excellent morceau bien sûr !
  • [v] L’auteur de l’important Abattoirs 5

 

 

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