Philippe Jaenada « La petite femelle »

Philippe Jaenada peut, à de nombreux égards, paraître atypique dans le monde de la littérature. D’abord, l’homme dégage une sincérité et une retenue pas forcement partagées par tous les écrivains. Certes, la « normalisation » est la grande tendance. Il n’empêche que Philippe Jaenada a tout l’air d’un gars bien. Ensuite, ses romans, en particulier ses deux derniers, ne laissent pas indifférent par les sujets choisis. « J’ai déjà écrit sept romans dont je suis, si l’on peut dire, le héros, mais depuis quelques années, ma vie s’est stabilisée. Je bois beaucoup moins, je sors très peu, je reste à la maison avec ma femme et mon fils et le soir, ensemble, on regarde la télé. Ça ne me rend pas du tout malheureux, mais c’est difficile d’en faire la matière d’un roman, sauf pour une poignée de lecteurs ethnologues, spécialisés dans la vie quotidienne dans le nord du Xe arrondissement de Paris… » confie-t-il dans une interview à Rue 89.
En effet, il s’attache à des individus dont la vie semble toucher par le sort de manière autant hasardeuse que persistante. Sulak publié en 2013, redonnait vie au braqueur romantique, Bruno Sulak, en retraçant son parcours tragique jusqu’à son suicide pour le moins douteux.

Dans La petite femelle, c’est Pauline Dubuisson qui se trouve sur la route de l’écrivain. Dans la France de l’après-guerre, Pauline Dubuisson prend les traits de la coupable idéale jetée à la vindicte populaire. Aux premiers abords, les faits ne parlent pas en sa faveur. Soupçonnée d’avoir fréquenté des Allemands durant la guerre, celle dont le rêve est de devenir médecin finit tondue à la Libération. « Elle qui est passée de l’enfance à l’adolescence sous les bombes, dans le lit trop grand pour elle d’un marin allemand, passe à présent de adolescence à l’âge adulte à cinq cents kilomètres de chez elle, tondue, meurtrie, humiliée, honnie, exilée. » Mais si, pour certains le destin peut parfois bifurquer, pour d’autres il s’acharne. La guerre finie, elle entre à l’université pour apprendre la médecine. La rencontre avec Felix Bailly semble promettre de beaux lendemains. Le jeune homme s’éprend de cette femme dont le caractère éblouit le cœur (trop) tendre de ce dernier. Si le mariage est passé de mode ou, dirons-nous, semble moins solennel pour ne fâcher personne, dans les années 1950 il reste un puissant marqueur social. Felix demande Pauline en mariage. Plusieurs fois. Mais Pauline ne semble pas prête à franchir ce pas. Elle veut d’abord réussir ses études et surtout, avoir la possibilité de choisir sa vie. Après de multiples atermoiements, le couple se sépare. Le 17 mars 1951, Pauline Dubuisson tue son ex-petit ami. Elle sera condamnée à perpétuité avant d’être libérée quelques années plus tard pour bonne conduite.

A partir de cette histoire racontée brièvement ici, Philippe Jaenada remue la mémoire. De manière aussi obsessionnelle que méticuleuse, il fouille les archives, remarche sur ses traces. Il arrive même que sa quête tourne à l’obsession quand l’identification à Pauline surgit au détour des lignes. Il faut dire que Philippe Jaenada use et abuse des digressions, rendant réel et palpitant son récit.
Il suit Pauline Dubuisson de sa naissance jusqu’à ce jour fatal où elle met fin à ses jours, à Essaouira au Maroc, en 1963. Soucieux des détails, il ne laisse rien au hasard. Il reconstitue à sa façon l’enquête, l’ambiance pesante du tribunal, la personnalité des parents, des amis, des avocats. Il ose même comparer le cas de Pauline avec des cas similaires durant cette période. Il voudrait remonter en arrière, prouver aux juges et aux jurés que son acte, aussi terrible soit-il quant à ses conséquences funestes, n’est pas aussi clair qu’ils le croient. Il aimerait montrer Pauline sous un autre visage que celui de la damnée éternelle qui le poursuivra jusqu’à la fin. Le visage d’une femme qui n’a eu de cesse de se trouver frappée par les tourments.

De nombreux livres et films (dont La Verité d’Henri-Georges Clouzot) ont pris pour sujet le drame lié à l’acte de Pauline mais aucun n’a ressenti le besoin de s’intéresser à la vie dramatique de Pauline Dubuisson. Philippe Jaenada le fait avec une sensibilité enchanteresse. Son récit est magnifique.

La petite femelle

Philippe Jaenada

Éditions Julliard

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A propos de Julien CASSEFIERES

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