Jeffrey Eugenides – "Le roman du mariage"

Le roman du mariage est, avant tout propos, un hommage singulier aux théories de la déconstruction telles qu’elles ont pu fleurir, dans les années 1980, sur les campus américain.

Hommage car l’auteur souligne l’influence de ces écrits dits structuralistes sur les protagonistes de son roman à la recherche de leur identité. La confrontation des valeurs inculquées par son milieu familial et l’exigence intellectuelle des écrits de Barthes vont conduire, par exemple, Madeleine à vouloir, dans un premier temps, s’émanciper de la sentimentalité amoureuse. En guise de rupture, elle jettera Fragments d’un discours amoureux à la figure de Léonard. L’essai de Barthes est un « manuel de réparation pour le cœur avec le cerveau pour seul outil. Si on utilisait sa tête, si on prenait conscience de la dimension culturelle dans la construction de l’amour et du fait que ses symptômes étaient purement intellectuels, si on comprenait que l’état « amoureux » n’était qu’une idée, alors on pouvait se libérer de sa tyrannie. Madeleine savait tout cela. Le problème, c’était que ça ne marchait pas ».

Singulier car l’auteur démontre, aussi, les limites pratiques de ces écrits sur la permanence des structures traditionnelles. Madeleine reste tiraillée. Elle demeure, secrètement, fascinée par les romanciers du XIXe siècle. Les lectures de Portrait de femme d’Henri James ou encore d’Orgueil et préjugés de Jane Austen, dépeignant une société désormais disparue, ne la laisse pas indifférente. Ainsi, la notion de mariage reste prégnante chez Madeleine à l’encontre des idées nouvelles.

Au-delà d’une querelle d’intellectuels, Jeffrey Eugenides livre un roman saisissant, mêlant les genres, avec un sens de la dramaturgie remarquable. A la fois réaliste, dramatique mais aussi psychologique l’auteur tient le lecteur en haleine sur près de 550 pages d’une égale intensité. Le roman repose sur un triangle amoureux en phase avec les contraintes de son époque. Il témoigne de l’apprentissage d’individus partagés entre idéalisation et réalité; une idéalisation dans l’appréhension du futur qui voudrait rompre avec les structures familiales et culturelles. Une réalité qui rattrape les personnages et les amène dans un circuit, non pas similaire aux précédents familiaux, mais davantage en adéquation avec un certain pragmatisme. La liberté des individus est réelle mais reste contenue dans des schémas usités.

Madeleine aime Léonard, certes malade psychologiquement, mais exerçant une attraction considérable. Mitchell est follement amoureux de Madeleine. Tous trois ont des personnalités différentes. Madeleine est restée la fille prudente, respectueuse des obligations familiales. Leonard se sait condamné, à plus ou moins long terme, à vivre avec sa maladie. Il ne pourra avoir une vie « normale ». En quête de foi, Mitchell, part en Inde réaliser une expérience mystique. Délaissé par Madeleine, il pratique le don de soi auprès des lépreux, dans un hôpital sordide, pour tenter d’insuffler du sens à sa vie.

Ces personnages vont s’insérer dans un jeu dont le but sera le passage, sans trop d’anicroche, à l’âge adulte. Le mariage constitue l’élément symptomatique de cette ambition. Mais, contrairement aux récits du XIXe siècle faisant de ce dernier une finalité, Jeffrey Eugenides le perçoit plus comme un moyen. Certes, il résulte toujours d’une volonté de deux individus. Mais, les passions peuvent s’effilocher, les accords ne sont que temporaires, l’amour semble passager. Le mariage perd de sa sacralité.

A travers ce récit riche en rebondissements, Jeffrey Eugenides démontre tout son talent de romancier. Il remet avec brio au goût du jour, un sujet de roman tombé en désuétude :le mariage.

 


Le roman du mariage

un livre de Jeffrey Eugenides
Editions de l’Olivier

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A propos de Julien CASSEFIERES

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