Christophe Donner – « Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive »

Avec ce roman sorti en aout 2014, Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qu’il lui arrive, Christophe Donner retrace le destin de trois grands noms du cinéma français du début des années 1960. Par le jeu de l’amour et du hasard, comme le dirait Marivaux, Claude Berri, Maurice Pialat mais surtout Jean Pierre Rassam, vont voir leurs trajectoires se croiser. Les liens vont se faire et se défaire au gré des ambitions et des réussites personnelles. Leur attachement laissera de plus en plus place à une jalousie destructrice. Au départ, leur rencontre semble fortuite tant leurs origines diffèrent. Claude Berri est issu d’une famille juive ashkénaze tandis que Jean-Pierre Rassam vient d’une richissime famille libanaise. Claude Berri se mariera avec la sœur de Rassam, Anne-Marie, et Maurice Pialat aura une liaison avec la sœur de Claude, Arlette.

L’intérêt du roman de Christophe Donner ne se limite pas à cette description sommaire du petit monde du cinéma français. Son écriture, incisive et mordante, invite davantage à une mise en abyme, particulièrement efficace, de la part sombre qui habite ces hommes dévorés par l’envie de réussir. A la fois géniaux et destructeur, ils vont tenter d’incarner le cinéma français. Avec en toile de fond le tumulte des années 1970, une comédie glaciale va se jouer entre morts et folie des hommes . À la ténacité de Claude Berry et au talent de Pialat, Jean-Pierre Rassam oppose une fougue débordante. C’est lui qui est au centre du jeu, puisque jeu il y a, dans les pages du livre de Christophe Donner. Comme s’il était une métaphore de sa vie. C’est autour d’une table de poker que Jean-Pierre Rassam propose sa sœur à Claude Berry en échange de l’Oscar gagné par ce dernier pour son premier court métrage, Le poulet. Le jeu s’incarne dans la façon d’être de Jean Pierre : gagner de l’argent en mettant au tapis ses adversaires reste encore la seule chose où il est le meilleur, son sacerdoce. Sa rencontre avec Jean Yanne va dynamiter ses ambitions et par la suite, ses échecs.
« Jean-Pierre Rassam relance avec une paire d’as. Le réveillon, il s’en tape, les fêtes se succèdent à une fréquence telle qu’on appelle plus ça des fêtes, ni des soirées, encore moins des réceptions, pitié Seigneur. Il y a du caviar sur roulette, des magnum dans les seaux à glace, la flemme de les ouvrir, des drogues de différentes sortes qu’on renifle sur le marbre du manteau de la cheminée, qu’on fume ou qu’on s’injecte assis au bord de la baignoire… »

Les femmes sont également au centre de leur vie. Par le biais des alliances amoureuses, elles se retrouvent être un enjeu de pouvoir entre ces personnalités. Elles révèlent également la faiblesse intrinsèque de ces hommes que rien, pourtant, ne semble arrêter. Néanmoins, tels des anges maudits, les drames vont se succéder. Ainsi, Jean-Pierre Rassam retrouve son amie, Annie, morte.
« Il ne pleure pas, il tourne en rond. Il a découvert la feuille coincée dans la machine à écrire. Il n’a pas besoin de lire ces conneries, il les lit quand même et ça le rend furieux, c’est tellement con, mal écrit, il refait le parcours cent fois : la projection du film de Godard, le taxi qui l’emmène au Palais Royal, est-ce qu’elle a vu Bernard ? Est-ce qu’elle a parlé à Anne-Marie? Il revoit la bande festoyant au Singe. Quelle conne, quelle méchante fille ! Oui, méchante. Il ne méritait pas d’être envoyé en enfer, car ce ne sont pas les suicidés qui vont en en enfer, mais ceux qui restent et que le suicide accuse. » Par la suite, il plongera dans une profonde dépendance à la drogue et l’alcool.

Christophe Donner ne néglige pas pour autant le contexte particulier de ces années 1970 où tout semblait possible et où Godard faisait figure de maître incontesté du cinéma français. Ces héros effleurent, malgré tout, avec prudence les événements historiques, comme si l’individualisme gagnait déjà la partie. En mai 1968, le festival de Cannes est annulé alors même que Jean-Pierre Rassam avait acheté la moitié des membres du jury pour les convaincre d’attribuer la palme d’or à Milos Forman pour son film. Sa déception est grande, tant le contexte semble peu important à ses yeux.

« L’imagination est un mythe », dit Christophe Donner quand on l’interroge sur son livre. Néanmoins, ce dernier est bien une fiction « reposant sur des personnages ayant existé ». Certes, il n’a pas voulu verser dans la biographie et le réalisme froid. À la manière de ces personnages fantasques, il a choisi de restituer des tranches de vie avec toute l’exagération nécessaire pour rendre vivant son récit. À ce titre, son roman est passionnant.

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qu’il lui arrive

Christophe Donner

Éditions Grasset

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A propos de Julien CASSEFIERES

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