Yann Le Quellec – "Le Quepa sur la Vilni !"

 

 
Le nouveau film de Yann le Quellec, "Le Quepa sur la Vilni", sort assorti de "Je sens le Beat qui monte en moi", son précédent court-métrage de 2012. D’une quarantaine de minutes chacun, ces deux "courts films" posent l’univers du réalisateur, plutôt léger et "comique", avec ses ponctuations musicales, ses gestuelles improbables et ses pas de côté. Ce double programme est suffisamment insolite et soigné pour intriguer. Le Quellec a le mérite de renouer, sans complexe ni prétention, avec des éléments de la comédie populaire, mais sur un versant subtil et pince sans rire, décalé sans être trop appuyé. Au-delà d’une originalité indéniable de ton et d’un cadre assez référentiel (Tati, Rozier…), on attend de voir comment le Quellec passera l’épreuve du long métrage, pour s’affranchir d’un format, celui pour schématiser du film-sketch, et développer avec plus de singularité encore son propre univers.
 
 
"Le Quepa sur la Vilni" repose sur son casting très bigarré : le chanteur Christophe campe un élu atypique, Bernard Ménez renoue avec ses emplois usuels, entre le petit subalterne borné et le brave type vieillissant, et enfin Bernard Hinault apparaît en bon génie du cyclisme, venant encourager un peloton mal cadencé. Le déroulement de l’action en plein air quelque part dans les Corbières, et le relâchement de ce "film de route" apparemment désinvolte (le guidon de la réalisation est quand même fermement tenu), renvoient inévitablement aux films de Jacques Rozier. Un maire de village (Christophe) entreprend d’ouvrir un cinéma dans son patelin reculé. Il mandate un facteur à la retraite (Bernard Ménez) pour mener un peloton cycliste improvisé sur les routes escarpées de la commune afin d’annoncer, lettres sur le dos, le film programmé pour la première. Malgré son expérience toute professionnelle du vélo, notre facteur aura du mal à discipliner ses jeunes recrues, plus soucieuses de flirter que de zèle à pédaler. La chaleur estivale sera propice à quelques lascivités tandis que la bande son se colorera de folk sixties avec le troubadour Tim Buckley. L’équipe mal assortie croisera sur sa route de drôles d’autochtones, aux mœurs très ou trop hospitalières, à l’entrée d’un village dont on taira volontairement le nom. En contrepoint, le maire quitte son cossu bureau avec un Sancho Panza du cru pour guider sa monture jusqu’au lieu de l’évènement. A travers ce film de "déroute" qui assume son charme un peu suranné, Le Quellec module les motifs d’une utopie légère, d’une culture hyper décentralisée jusqu’à l’apologie hédoniste d’un laisser-vivre laisser-aller. C’est surtout une certaine affection pour la comédie et le pittoresque qui transparaissent dans la folie douce du film et dans ses péripéties un peu typées. On y verra aussi quelques airs de western rural en mode mineur. Avec son trait léger et ses figures ligne claire, le film suscite une sympathie certaine sans tout à fait convaincre.
 

"Je sens le Beat qui monte en moi" est très différent même si on sent en pointillé, une communauté de ton et d’esprit avec le précédent. Le film est moins explicitement référentiel mais les couleurs, les chorégraphies et le cadre provincial, évoquent de loin les comédies musicales d’un autre Jacques : Demy. Néanmoins, par ses situations et ses interprètes (Rosalba Torres Guerrero et Serge Bozon), "Le Beat" prend une tournure un peu plus étrange où la musique, ensorcelante, rime avec les congestions érotiques et le babil babylonien de l’héroïne. Les plans, également, sont fortement composés avec des effets d’aplats et de découpes, notamment dans les premières scènes de la visite touristique. Rosalba est une guide touristique qui souffre d’un syndrome peu courant d’hypersensibilité à la musique, quelle qu’elle soit. Bien-sûr, ce prétexte donne lieu à une série de quiproquos et de chorégraphies ébouriffées. Alain, le conducteur du van touristique (Serge Bozon) tente quant à lui, assez maladroitement, de faire la cours à la guide. Le rituel de séduction, sur le point de s’enliser dans une soirée ingrate, sera sauvé in extremis par les atouts du conducteur : sa pratique en amateur d’un petit instrument et son amour immodéré pour un certain type de musique. Ici aussi, les personnages sont volontiers défectueux, des rêveurs, des monomaniaques, mais d’une inadaptation (presque) sans éclat, somme toute assez "ordinaire". Ils se rapprochent à nouveau de silhouettes graphiques, colorées et burlesques, chez qui, l’expression corporelle prime sur la parole. Le Quellec semble jouer sur des situations balisées, transposant ce déjà-vu dans des cadres contemporains, avec des enchaînements narratifs très fluides et élégants, mais ponctués de chicanes improbables. "Je sens monter le beat…", peut-être parce qu’il est moins connoté et d’une insouciance moins buissonnière, fait l’effet d’un film plus singulier.
 
 
Les deux films de Le Quellec, on l’a dit, ont de nombreuses qualités mais se limitent un peu à des dispositifs scénaristiques et à des jeux d’influences. Ce sont des films avant tout bâtis sur des idées de situations, entre dérive et fugue. Leurs arguments et personnages restent légers, au risque de paraître tantôt charmants ou superficiels. Le cinéaste cultive, semble-t-il, un goût délibéré pour une forme mineure proche du divertissement, mais avec sophistication. Difficile encore de jauger pleinement ces films, différents et un peu inégaux, ni d’écarter tout à fait le risque du maniérisme. L’éclectisme du diptyque laisse la voie ouverte pour l’instant : savoir-faire habile qui pourrait vite montrer ses limites, ou bien véritable originalité, dans le burlesque, les sujets et l’écriture, qui devrait s’affirmer au fil des projets?

 

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A propos de William LURSON

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