L’une des forces du cinéma documentaire est de dépasser parfois les frontières entre le réel et la fiction. Pas comme des loups est un film de transformation qui débute dans un garage et se termine à la cime d’un arbre. Suivant sur trois ans le parcours hors norme de deux frères jumeaux en marge de la société (un pied dedans, un pied dehors), Vincent Pouplard capte 59 minutes d’un mouvement fragmenté, comme un concentré de vie.

Ils s’appellent Roman et Sifredi. Le film laisse deviner une enfance et une adolescence compliquées, des liens filiaux coupés, deux trajectoires parallèles heurtées plus ou moins suivies par les services sociaux ; mais il en dit peu, esquissant à peine un hors champ lointain dont quelques bruits de circulation semblent s’échapper. Le choix n’est pas de revenir sur des faits de délinquance assez faciles à imaginer mais de chercher le point de rencontre avec les deux frères. La sensation d’être en marge, ressentie au-delà de tout jugement moral, permet alors de partager un sentiment de révolte et de rejet qui dépasse la situation des personnages. Dans le dossier de presse*, Vincent Pouplard évoque Jean Genêt, Albertine Sarrazin ou Fernand Deligny (éducateur à l’origine de lieux alternatifs de l’éducation spécialisée), dans la manière dont l’imaginaire anarchiste (anarchie pensée « au sens d’une rébellion juste ») viendrait dialoguer avec le quotidien des personnages. Son travail ouvre alors d’autres voies de résonance qui viennent en enrichir la perception.

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Construit comme un journal de bord, s’adaptant aux circonstances, à l’absence de l’un puis à son retour, le film inscrit la marche du temps dans trois lieux distincts, chacun représentant une étape dans le parcours des frères. C’est d’abord le garage de l’appartement de leur mère, puis une ancienne école transformée en squat, c’est enfin une cabane construite dans un bois, un arbre. Si l’action s’échappe progressivement de tout univers urbain, les lieux choisis s’inscrivent d’emblée dans une volonté de se tenir à l’écart tout en se protégeant. La quête de liberté s’accompagne d’une maîtrise de l’espace. Comme né de l’ombre et menant à la lumière, Pas comme des loups accompagne ses personnages dans un cheminement physique et mental qui transforme les contraintes et la précarité en choix de vie.

Ils vivent au jour le jour, prennent le temps de goûter à l’instant présent et font état d’une philosophie de sages alors qu’ils ont à peine 20 ans. Leur regard sur la vie renvoie chacun à son rapport au monde, la liberté qu’ils revendiquent semblant presque inaccessible, du domaine du rêve. Ne gardant qu’une heure sur les soixante-douze tournées, Vincent Pouplard valide la volonté de Roman et Sifredi de ne jamais retenir que le meilleur. Écartant les moments difficiles, mais ne semblant jamais naïf ou dupe, le film exacerbe le fantasme du « tout quitter » et montre que « c’est possible ».

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Ainsi, de sauts dans l’eau en joutes verbales, de strophes de rap en vie sauvage, accompagnés de leurs amis puis seuls, les frères jumeaux s’adaptent au monde qu’ils se choisissent, s’inventent et se réinventent.

Ce qui fait de Pas comme des loups un film de cinéma à part entière tient évidemment à sa mise en scène. Si l’approche reste documentaire, la manière dont la parole et le geste sont enregistrés diffère et renforce l’identité du projet. Vincent Pouplard semble capter le phrasé singulier des deux frères à l’improviste parce qu’il privilégie la première prise pour en préserver l’émotion brute. À l’inverse, il lui arrive de demander à l’un ou l’autre de reprendre un mouvement ou de refaire un geste pour que la scène gagne en fluidité. Le lien de confiance établi, la conscience de Roman et Sifredi du film qui se fabrique, la liberté que le réalisateur s’offre, nourrissent un travail en commun qui dépasse le simple cadre du portrait.

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La musique de Mansfield. TYA (reprenant notamment Les Rebelles de Bérurier Noir) souligne la nature contrastée d’un film qui n’est pas un reportage lambda sur la galère de deux frères : si le sous-texte social et sociétal est là, il s’en démarque dans une démarche plus aventureuse, presque irréelle parfois. C’est cette capacité à transformer la réalité en échappée poétique qui rend Pas comme des loups si lumineux.

* Entretien avec Morgan Pokée.

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