Gustave Kervern & Benoît Delépine – « Saint Amour »

Après l’échappée intimiste et austère de NDE, Gustave Kervern et Benoit Delépine nous livrent avec Saint Amour, leur film le plus optimiste, comme un antidote à leur sombre dernier opus. Le plus épicurien mais aussi le plus détendu, pour le meilleur et pour le pire.

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Saint Amour est un road movie du terroir, tendrement vache, vachement tendre. Prendre la route pour sortir du marasme. Le mouvement crée le mouvement or, quand le film débute, Bruno (immense Benoit Poelvoorde) a comme unique activité le lever de coude. Ainsi, avec son ami d’enfance (Gustave Kervern), il se targue de faire la route des vins sans sortir du salon de l’agriculture où Jean ( le gargantuesque Gérard Depardieu), son agriculteur de père, lui a donné rendez-vous. Bruno renâcle à reprendre le flambeau familial. Qu’à cela ne tienne : Jean décide de prendre son fils au mot et de se rapprocher de lui en parcourant la route des vins. Conduits par Mike, un chauffeur de VTC flambeur (Vincent Lacoste) ils rencontreront en chemin, quelques femmes et beaucoup de bouteilles…
On retrouve dans Saint Amour la patte unique du duo de cinéastes, le plus anarchiste en exercice ; le plus humain également. Il fallait une forte tête comme Poelvoorde pour tenir tête à une force de la nature comme Depardieu et ca marche : le lien père et fils est parfois bouleversant, souvent hilarant, jamais convenu.
Le jeune Vincent Lacoste démontre un vrai tempérament, trouvant sa place parmi les deux tandems explosifs : le duo père/fils de la fiction et les deux réalisateurs.
Le film démarre sur des chapeaux de roue, gratifiant l’inconditionnel de tous les indices confirmant qu’on se trouve bien dans un film du duo d’iconoclastes : préservatif La France pour tous ; cours de drague solennel de Mike à Bruno, lui donnant les deux sésames de la séduction : couleur et gravité ; une pompe à chaleur commandée sur E—Bay ; un homme entendant des voix d’anges et de séraphins….

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C’est là que, parfois, le bât blesse ; la signature est là, l’intrigue suit moins. Est-ce le duo père/fils (Depardieu/Poelvoorde) qui a empiété sur la mise en scène ? Certaines séquences sont tellement hilarantes et outrancières que c’est un miracle qu’elles existent. Est-ce la faute à un scénario qui n’a pas la rigueur inattaquable de leurs autres films ? Comme si l’épatante équipe avait abusé de la sieste après un déjeuner bien arrosé, Saint Amour provoque d’abord l’hilarité puis, un amusement parfois lassé.
La dramaturgie, plus paresseuse qu’à l’accoutumée, crée des embardées : on peut se demander aux deux tiers du film, si on n’a pas fait une escale chez Blier …
La rencontre des trois héros et de Vénus rappelle Préparez vos mouchoirs, la figure rabelaisienne de Depardieu n’y est sûrement pas pour rien. La surprise des premières scènes s’estompe, des événements plus convenus et moins truculents, prennent place, comme si en troquant humour potache et anar contre tendresse, Kervern/ Delepine y avaient perdu en impact. Saint Amour est conçu comme une sorte de film à sketches, chaque rencontre convoquant une saynette : Houellebecq bradant sa maison en hôtel minable ; Ovidie en agente immobilière atypique ; Izia Higelin en handicapée jouant de malchance….
Comme à l’accoutumée, un des points fort des deux réalisateurs français parmi les plus intéressant en exercice, est leur appétence pour les personnages, les vrais. Pas des acteurs, mais des gueules, des caractères, des freaks. Comme les pré-cités, accompagnés d’une myriade d’inconnus délicieusement improbables ou encore Céline Sallette, formidable dans son interprétation de la lunaire Vénus. Les deux cinéastes ont une empathie et un goût pour les personnages, penchant en voie de disparition dans notre monde qui se veut de plus en plus cynique et efficace. Ils ont une façon salutaire de mettre en boite tous les tics et gimmicks de note société, ivre de comm’ et de vélocité. Abreuvé de toutes ces injonctions au bonheur immédiat et à la communication instantanée, Bruno a la gueule de bois ou est ivre, dans une béatitude de paria, ne pouvant se rattacher qu’à ses préceptes des dix stades de l’ivresse.
Comme si le tempo du film épousait un peu trop celui de ses protagonistes épicuriens, lors de la dernière demi-heure, les cinéastes semblent s’être mis en retrait du scénario, parfois en mode « digestion ». Les femmes croisées en route, apparaissent fugacement, ne faisant pas vraiment rebondir l’action, hormis Vénus. On peut regretter qu’elles ne soient pas plus mises à contribution, même si on a bien compris que Saint Amour préfère l’inaction et le carpe diem, aux rebondissements dramatiques.
Et pourtant, on sent que ca tient à coeur à Gustave Kervern et Benoit Delépine de se focaliser sur des « petites gens » trop rarement évoqués dans la fiction, encore moins comme personnages centraux : avant de tourner NDE, ils avaient déjà un projet intégralement basé autour du salon de l’agriculture.

ST A 3Ce banquet débridé, cette grande bouffe * est si bien servie qu’elle laisse un tantinet sur sa faim. A force d’être habitué à l’excellence, le spectateur gourmet devient forcément plus gourmand ! Il n’empêche que le plaisir initial est inégalable et le duo, un cas inégalé dans le sinistre cinéma français actuel. Qui mieux que Gustave Kervern et Benoit Delépine pour doser ce savant mélange d’esprit anarchiste et d’existentialisme, de pessimisme et de croyance en l’être humain ?

* les auteurs ont d’ailleurs convoqué Andréa Ferreol, touchante dans sa séquence avec Depardieu, évoquant les fantômes de tous les excès qui étaient permis lors des regrettées 70s- le cinéma de Kervern/Delépine renoue gaillardement avec cet esprit phagocyté par l’an 3.0.

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A propos de Xanaé BOVE

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