Tout comme son titre ou son ouverture, le premier long-métrage de la réalisatrice israélienne Michal Vinik offre une apparence trompeuse. Sous couvert de filmer une romance lesbienne adolescente, Petite Amie nous montre jusqu’où peuvent se nicher les rapports de pouvoir d’une société militarisée et très hiérarchisée.

Léger et aérien comme une bulle, ou comme une bluette adolescente, Petite Amie nous emmène plus loin qu’il n’y paraît. Il s’agit de ne pas croire ses images voire ces clichés d’une rencontre de deux lycéennes, avec ses ralentis soyeux et ses contrejours solaires dignes d’une pub pour boisson d’ados. En nous plongeant à la fois dans une société, celle d’Israël, une famille dysfonctionnelle, une communauté lesbienne, le film semble plutôt interroger ce qu’il en est de certaines marginalités adolescentes, de leur viabilité, et de la façon dont elles peuvent reproduire les subversions d’un pouvoir contre lequel elles semblent s’affirmer.

Au départ, voici Naama, actrice non professionnelle comme les autres, lycéenne de 17 ans qui, sous ses dehors tranquilles, résiste à la violence de son père par une morne indifférence, et à la norme sociétale par de douces échappées chimiques. Naama vit dans l’ombre d’une sœur enrôlée dans l’armée et qui vient de disparaître, Liora. Deux trajectoires rebelles qui vont imprimer les lignes de tension du film et révéler les problèmes de lien – ou de manque de lien – de leur famille. Le père, violent, anti-palestinien, ultra-conservateur, qui a fait la guerre au Liban et souffre probablement d’un syndrome post-traumatique, ne sait comment communiquer sans agresser. Alors c’est sa fille qu’il somme d’aller vers les autres, pour parler. La mère, le lycée, la société échouent également à saisir, cerner, insérer l’adolescente boudeuse et mélancolique. Arrive une nouvelle venue, Dana, punk, sexy, authentiquement transgressive, qui illumine littéralement le film et l’existence de Naama. La ressemblance avec La Vie d’Adèle s’arrête ici, et pas seulement parce que les actrices de Petite Amie sont elles-mêmes homosexuelles.

Commence pour Naama un premier et grand amour, flamboyant, enivrant qui lui fait découvrir sa bisexualité explosive et l’extase des drogues dures. Grand amour ou passion dérivatrice, qui répond parfaitement à la règle d’être une histoire interdite, tout comme l’est l’histoire d’amour de Liora avec un Palestinien pour lequel elle a déserté. Transgression des limites en territoires occupés, séductions détournant l’ordre social mais dont les rituels deviennent de nouvelles règles*.

Se dessinent alors les lignes de fuite nécessaires, tragiques, vouées à l’échec, des deux sœurs qui défient chacune à sa manière la violence des institutions, celles de la famille, celle de l’armée, celle de la société. Car comment s’affirmer autrement face à une autorité qui laisse peu de place et peu de droit à la parole ?

Mais il en est des marginalités comme il en est des œuvres d’art ; elles se jugent à leur pouvoir de durer et faire durer leur transgression. La séduction de Naama par Dana sent beaucoup moins le soufre que celle de Dana par Dracula, femme-dragon perverse, sado-masochiste, caricature du pouvoir et de l’autorité, pour laquelle Dana quittera Naama. Et le dernier plan du film qui se referme comme une porte sur toutes les issues alternatives résonne, hélas, comme la morale un brin abrupte d’une fable à laquelle nous avons pourtant aimé croire pendant un court moment, une heure et vingt-deux minutes exactement.

Parmi ses références, Michal Vinik cite volontiers Todd Haynes, Todd Solondz ou Paranoïd Park. Si l’art de Gus Van Sant de filmer les lignes de fuite d’une adolescence sans horizon comme autant de transgressions de territoires répressifs peut évoquer celui de la réalisatrice, si le thème de l’homosexualité contrariée peut le lier à celui de Todd Haynes dans Carol ou de Todd Solontz, Michal Vinik semble cependant œuvrer dans l’évanescence et la distance, sans forcément de mise en relief autre que celle qu’impose la jeune Jade Sakori, trouvée dans la rue, pure météorite punk, immédiatement attachante et hypnotisante, découverte majeure de ce film qu’elle porte et transporte.

*De la séduction, Jean Baudrillard, éditions Galilée 1979.

RÉALISATRICE / MICHAL VINIK
SCÉNARIO / MICHAL VINIK
IMAGE / SHAI PELEG
MONTAGE / JOEL ALEXIS
MUSIQUE / DAPHNA KEENAN
Israël / Comédie dramatique couleur /1h22

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A propos de Danielle Lambert

4 comments

  1. Sylvie Finkelstein

    D’où sortez-vous cette idée ridicule qu’Israël est un pays très hiérarchisé ? C’est tout le contraire : une société où le moindre citoyen peut et va parler d’égal à égal avec un ministre. Des inégalités, oui, comme partout malheureusement. Par ailleurs, militarisée, vous me faites rire. Je voudrais voir la France, si elle était menacée par tous les pays qui l’entourent et ne devait son existence qu’à son armée…

    • Danielle Lambert
      Author

      L’idée qu’Israël a pu devenir une société plus hiérarchisée m’est surtout donnée par mes lectures comme par mes amis juifs ou ce film Petite Amie. Peut-être faut-il d’abord s’entendre sur le terme « hiérarchisé » : il signifie ici la présence de figures d’autorité fortes et contraignantes, l’Etat, l’armée, le père, le mari. Ce qui n’empêche pas qu’on puisse dialoguer avec un ministre. Pour exemple, je vous renvoie à une interview de Muki Tsur, secrétaire général du Mouvement kibboutznik: « Notre société actuelle est devenue capitaliste, hiérarchique, essentiellement fondée sur l’idée de salaire et de responsabilités. » qui se trouve ici : http://www.jpost.com/Edition-fran%C3%A7aise/Israel/Kibboutz-la-fin-dun-id%C3%A9al-345732
      Quant au fait qu’elle soit militarisée, mon propos là encore n’est pas critique, simplement descriptif, et mon but n’est surtout pas d’offenser qui que ce soit. Je parle d’un film de cinéma qui montre comment les structures de pouvoir d’une société peuvent se retrouver à l’échelle d’une famille, je ne fais pas le procès de cette société. Bonne fin de journée.

  2. Claudine

    J’ai aimé ce film, mais j’ai trouvé quand même qu’on y restait toujours à la surface : seul le personnage de Naama a un peu d’épaisseur. SI celui de Dana reste mystérieux, à dessein, puisqu’on la voit à travers du regard de Naama, celui de Liora aurait gagné à être plus développé, et celui de Dracula aussi: autres figures de la trnnsgression (les principales?) elles restent toutes deux de simples silhouettes, et c’est dommage: du coup, l’opacité du film ne recouvre pas une vraie profondeur..

    • Danielle Lambert
      Author

      Oui, je comprends ce que vous avez ressenti. Est-ce son écriture assez sobre, ou le manque de relief de certains personnages, voire l’une entretenue par l’autre, mais il existe une forme de « légèreté » ou d’évanescence qui peut laisser une sensation de superficialité. Cela dit, contrairement à vous, c’est Naama que j’aurais aimé voir approfondie, dans son jeu comme dans le scénario. Mais il s’agit d’un premier long, donc patience… Et merci d’avoir réagi !

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