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Copyright Mars Films 2016

Pure coïncidence de calendrier, moins d’un mois sépare la sortie en salles de Suzanne le deuxième film de Katell Quillévéré en Décembre 2013 et la parution en librairie du roman Réparer les Vivants de Maylis de Kerangal en Janvier 2014. Un peu moins de 3 ans plus tard, avec son troisième long-métrage la réalisatrice est la première à adapter l’auteure au cinéma, pour une rencontre qu’on espérait salvatrice entre deux univers qui avaient emporté notre adhésion.
Suzanne nous avait notamment séduit par son ampleur narrative racontant 25 ans d’une vie en une heure et demie entre naturalisme et romanesque, Réparer les Vivants impose un défi inverse avec seulement 24 heures, portées sur un peu plus d’une heure quarante à l’écran. Le roman captivait sur la question du don d’organes, retranscrite dans un contexte de course contre la montre. Le récit d’une transplantation cardiaque était agrémenté de descriptions minutieuses et documentées, sur le monde médical mais aussi au moyen de multiples digressions il s’ouvrait à plusieurs sujets secondaires élargissant considérablement ses perspectives. Le film reprend la trame limpide de son modèle littéraire : Un matin près du Havre, un jeune homme, Simon Limbres, part surfer avec deux amis, sur le chemin du retour il est victime d’un grave accident de la route. Transporté en réanimation à l’hôpital, il est déclaré en état de mort encéphalique, son coeur est intact, ses parents acceptent le prélèvement d’organes… Dans le même temps à Paris, Claire, 50 ans, atteinte d’une myocardite est dans l’attente d’un donneur et d’une greffe pour prolonger ses jours…

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La réussite étincelante de cette adaptation tient à plusieurs facteurs : les pièges potentiels transformés en atouts, les réponses de cinéma proposées, l’essence du roman restituée tout en s’imposant comme une œuvre personnelle venant s’inscrire dans la continuité d’une filmographie courte mais déjà passionnante. L’ancrage concret tranche avec une intrigue en ligne droite proche de l’abstraction – le voyage du cœur de Simon d’un corps à un autre – induisant une absence de personnage principal au profit d’un nombre conséquent de protagonistes se relayant les uns après les autres comme un passage de témoin. Le risque de réduire chacun à un rôle fonction était grand, pourtant tous ont un mot à dire dans ce récit, une importance décisive. Ils constituent les maillons essentiels d’une chaine qu’ils soient présents trois ou vingt minutes à l’écran. La fluidité avec laquelle ils se succèdent rejoint celle qui caractérisait la gestion des ellipses et les sauts dans le temps de Suzanne. La réalisatrice orchestre un ballet de corps en déplacements, accompagnés par sa caméra en mouvement régulier, donnant au film l’allure d’un véritable thriller d’action en milieu médical – dans sa définition première : les personnages sont toujours actifs – où le suspens ne se relâche définitivement qu’aux dernières secondes. L’intensité va crescendo, elle est parsemée de brèves coupures judicieusement disséminées, répondant aux digressions du roman, aérant l’action avant de mieux y replonger. Cadrés à l’inverse en plans fixes et rapprochés ces instants résonnent comme une bouffée d’oxygène, une soupape libératrice en rupture avec la tension latente.Une interruption nette s’opère en route, on délaisse provisoirement la trame principale au profit d’une parenthèse de vingt minutes. Ce choix risqué, frustre légèrement en venant suspendre un climax d’intensité, avant de se révéler éminemment pertinent pour la suite. En reprenant à zéro un nouveau récit, qui se développe alors en marge du premier, se présente la possibilité de ne pas réussir à raccrocher les wagons, c’est pourtant à l’arrivée ce qui relance la machine et donne le souffle nécessaire à la « course de fond » en cours. L’enjeu majeur de cette seconde partie étant la réussite ou non de la greffe, il devient essentiel de prendre le temps de s’attacher à celle qui en sera au coeur, la redescente volontaire contribue à décupler la force du dernier pan narratif consacré à l’opération. Cette deuxième partie du film se construit structurellement en symétrie à la première, reprend ses motifs clés pour faire émerger du film l’idée suivante : Comment la mort peut être transformée par la pulsion de vie ?

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Katell Quillévéré répond en se situant toujours du coté de ceux qui restent. Elle trouve l’équilibre délicat qui rend supportable l’insupportable, préfère constamment l’empathie à l’apitoiement larmoyant. On est face à un mélodrame pudique, à l’émotion subtile, Réparer les Vivants bouleverse non pas par la tristesse des évènements mais la lumière qui les traversent. L’évolution majeure qui distingue ce film des deux précédents ( Un poison Violent / Suzanne ) vient de l’incursion d’une imagerie poétique et métaphorique – renvoyant à quelques-unes des fulgurances d’un Laurence Anyways de Xavier Dolan ( la présence d’Anne Dorval et Monia Chokri facilite peut-être ce rapprochement ) – au sein du réalisme dominant. Cette approche constitue une proposition graphique forte tout en éveillant l’imaginaire du spectateur de la même façon qu’un lecteur à la découverte du roman, sensation similaire lorsque sont éludées à l’écran les prises de décisions cruciales des personnages.Enfin, difficile de pas dire quelques mots d’une distribution, réunissant plus d’une dizaine de comédiens et comédiennes, issus d’univers cinématographique divers : Emmanuelle Seigner, Anne Dorval, Tahar Rahim, Bouli Lanners, Monia Chokri, Dominique Blanc, Karim Leklou, Kool Shen, Alice Taglioni, Finnegan Oldfield… Dans un film où tout se fait collectivement, du deuil aux opérations, tous se fondent dans un dessein global, agissant au service d’une même cause : personne ne vient tirer la couverture à soi, valorisant la notion de travail d’équipe. Le grand mélange que représente ce casting est révélateur d’un geste politique, celui d’une ambition de cinéma n’entendant pas se résumer à la seule case qu’on voudrait lui attribuer qui marque au contraire la volonté d’abolir les frontières supposées ou existantes au sein du cinéma hexagonal pour définir un horizon qui lui appartient. Une œuvre dense, fondamentalement accessible à tous : un grand film tout simplement.

 

 

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A propos de Vincent Nicolet

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