Magda est institutrice et mère d’un petit garçon de 10 ans. Elle a du mal à faire face à la perte de son emploi et le départ de son mari. Mais lorsqu’on lui diagnostique un cancer du sein, plutôt que de se laisser abattre, elle décide de vivre pleinement chaque instant. Elle profite de son fils, de son médecin bienveillant et d’un homme qu’elle vient à peine de rencontrer. De son combat contre la maladie va naître une grande histoire d’amour entre tous ces personnages.

Neuvième film de Julio Medem, Ma Ma poursuit la mue entamée par le réalisateur avec le précédent et superbe Room in Rome (2010). Depuis ces débuts, Julio Medem aura façonné une œuvre unique où le grand mélodrame s’orne d’élans mystiques, d’une esthétique outrancière et porté par un onirisme unique en son genre. Cette étrangeté s’exprime dans une veine plus terrienne et rugueuse dans ses premiers films (Vacas (1992), L’écureuil rouge (1993) et Tierra (1996)) avant de prendre son envol dans un romanesque questionnant la destinée de manière grandiose dans Les Amants du Cercle Polaire (1998) et Lucia et le sexe (2000). Marqué par le décès de sa sœur, Medem pousse cette outrance narrative et visuelle au point de non-retour dans Caotica Ana (2007). Portrait de femme intime et universel questionnant le présent comme les origines du monde, Caotica Ana était une œuvre totale et sans entrave où la grâce côtoyait le ridicule avec une audace de tous les instants. Conscient du pas franchi, Medem revenait à une épure radicale avec Room in Rome, merveilleuse romance en huis-clos où tous le romantisme et l’excentricité qui le caractérise se maintenait à l’échelle intime des quatre murs de d’une chambre d’hôtel.

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Ma Ma retrouve cet équilibre miraculeux qui caractérise un Medem plus assagi, dosant ses effets pour déployer sa bizarrerie. Tout le cinéma de Medem peut être considéré comme une ode à la femme : mère, amante et épouse s’incarnent à travers des héroïnes belles, fougueuses et déterminées arborant la grâce plantureuse de divinités. C’était un des éléments de l’intrigue de Caotica Ana avec un féminisme ancestral et une des bases de Ma Ma puisque l’histoire germe chez Medem après avoir observé une sculpture de Thomas Schütte au Musée d’Art de Düsseldorf. Cette œuvre nommée « Bronze frau nº 6 » représente une femme en bronze, rampant dans la douleur et semblant porter une masse de vie et une masse de mort en elle. La femme comme pivot du monde, donnant la vie et endossant la mort, voilà ce que représente Magda (Penélope Cruz) dans Ma Ma. Mère de famille séparée, Magda apprend avec stupeur qu’elle est atteinte d’un cancer du sein avancé.

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Le film va alors se diviser en deux parties pour montrer sa réaction face à la maladie. C’est paradoxalement quand il reste un espoir de guérison que le ton se fait le plus sombre. Cherchant à protéger son jeune fils Dani (Teo Planell), Magda s’isole et assume seule la souffrance et la déchéance physique de la chimiothérapie. Le ton ne verse pourtant jamais dans le drame lourd, la volonté de Magda amenant des instants de légèretés inattendus à travers la complicité avec le gynécologue Julián (Asier Etxeandia). L’onirisme cher à Julio Medem montre l’héroïne comme s’évader en elle-même pour surmonter les épreuves, que ce soit par le montage ponctué de flash-forward furtifs qui dilue l’impact de chaque mauvaise nouvelle ou renforce la détermination de Magda. On pense à la scène de l’annonce de son mal qui s’alterne avec le moment où elle va assister au match de foot de son fils, accentuant sa détermination à vivre. Ces motifs s’immiscent dans la narration propre du film où sont activés par une fuite volontaire du réel de Magda s’abandonnant à son monde intérieur d’un mouvement de la tête. La photo de Kiko de la Rica arbore un désaturation bleutée et clinique qui pourrait sembler rendre l’ensemble sinistre mais l’éclat du regard de Pénelope Cruz, accrochée à la vie avec force, surmonte tout. Mieux, elle irrigue de son courage la douleur insurmontable d’Arturo, un homme qu’elle a rencontré par hasard et qui a tout perdu.

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La seconde partie sera plus positive, solaire et apaisée alors que la rémission est impossible. Souvent avec Medem la volonté de vivre se symbolise par le fait de se raccrocher à une image, on pense aux visions de l’héroïne endeuillée de Lucia et le sexe. Cette image se révèle dès l’ouverture avec cette fillette blonde s’avançant dans un paysage enneigé sans que l’on en comprenne encore l’explication. Elle reviendra plus tard sous forme de photo pour signifier à Magda ce qui peut l’aider à tenir, et ce qu’elle peut laisser à ses proches. Ami, compagnon et fils, l’entourage de Magda dans le film est uniquement masculin – la seule autre femme étant une infirmière sans nom ayant elle aussi des vertus protectrice. Amie, amante et mère, Magda par sa force morale répondra au manque de ses hommes en étant cette femme totale et absolue rêvée par Julio Medem. Elle les illumine et rend meilleurs par sa présence et prolongera cette grâce en leur donnant une autre figure féminine à idolâtrer et qu’ils devront servir à leurs tour de leur protection, amour et bienveillance. Pénelope Cruz par sa silhouette charnelle et maternelle à la fois, par sa vulnérabilité mêlée de puissance, était évidemment le choix idéal et on s’étonne que la collaboration avec Medem arrive si tard tant elle est la plus pure incarnation de son idéal féminin. Elle est de chaque plan et constamment magnifiée par la caméra du réalisateur, non pas comme une sainte mais comme une femme dont l’aura céleste ne s’exprime que dans une idée de déesse bienveillante et nourricière. Medem ose toute les audaces visuelles pour capturer ses émotions, notamment un plan de son cœur battant en plein coït qui s’il pourra sembler too much sur le moment, trouve tout son sens quand il sera repris lors d’un final bouleversant.

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La maternité, soit l’une des facettes qui définit le plus la féminité – mise à mal avec l’ablation mammaires subie par Magda et qui symboliquement l’éloigne un temps de son fils – embellit la beauté de Magda alors que la fin est pourtant si proche. Ce n’est qu’après avoir endossé cette maternité jusqu’au bout que la vie daignera quitter son corps, paisiblement. L’analogie héroïque et salvatrice s’exprime à travers la culture – l’extrait du final du Cid d’Anthony Mann –, le mythe et l’intime où Magda endosse littéralement le rôle de Gaia, la déesse de la maternité. Aux hommes de sa vie de se montrer digne d’elle en son absence en étant à leur tour ami, père et frère lors de la touchante scène finale.

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