Jeanne Labrune – « Le Chemin »

Par son récit épuré, la part belle qu’il laisse aux silences et son ton serein, le dernier film de Jeanne Labrune marque une nouvelle étape dans son riche parcours cinématographique, d’autant qu’elle en  signe en partie l’image.  Sa lumière, plus précisément.pl-l-cheminLa réalisatrice nous avait offert des films radicaux et âpres comme Sans un Cri, Si je t’aime, prends garde à toi ou ce qu’elle a appelé ses fantaisies : la trilogie Ca ira mieux demain/C’est le bouquet/ Cause Toujours où elle observait comme une tendre entomologue des urbains surbookés s’agiter en rond dans leur bocal à grands renforts de joutes verbales. Ou encore, son avant-dernier film, l’hilarant Sans queue ni tête qui voyait Isabelle Huppert en vieille pute sur le retour troquer des séances de psychanalyse avec un psy en désarroi affectif.
Ici, la cinéaste, opte pour le récit initiatique, avec talent et une infinie délicatesse.

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Le Chemin est l’adaptation d’un roman de Michel Huriet, La Fiancée du roi, paru en 1967.
Soit, la jeune Camille qui a rejoint une mission catholique au Cambodge avec l’intention d’y prononcer ses vœux. Chaque matin, elle emprunte un chemin qui longe la rivière et traverse les ruines d’Angkor. Elle y croise un homme cambodgien, Sambath. Un rituel de rencontre s’établit entre eux… On comprendra qu’à l’instar de la maxime bouddhiste, « ce qui compte c’est le chemin, pas le but ». La métaphore du chemin est envisagée sous tous ses aspects, sans que ça soit jamais explicite. Chemin interdit : la mère supérieure de Camille lui reproche de ne pas emprunter la route ; chemin du conte ; chemin parcours de vie et de mort : Camille y retrouvent des douilles, vestiges du génocide khmer ; chemin : voie à choisir.
Le film raconte ce parcours, via des plans habités qui rendent palpables l’invisible : la beauté époustouflante de la nature frémissante de symboles, mais aussi tous les morts ensevelis sur ce chemin et dans tout le Cambodge. Comme le dit un des protagonistes « Ici, les morts sont encore vivants dans les cœurs de ceux qui les ont perdus ».
Plein de tact et de subtilité, avec ses beaux plans muets et éloquents, le film évoque avec pudeur les non-dits de l’Histoire, les sentiments impossibles à rationaliser, encore plus à verbaliser : la relation qui pourrait se nouer entre Camille et Sambath, le tout avec une grâce de funambule et une gravité jamais plombante.

le-chemin-3Le Cambodge et ses lieux chargés est un personnage prépondérant du film. Voici ce qu’en dit Jeanne Labrune : « Les paysages du Cambodge sont mystérieux, il me fallait trouver les axes, les lumières, les heures, qui permettaient de capter leur mystère. Les sons aussi y sont mystérieux, à cause de la sécheresse qui fait craquer les feuilles , des insectes qui ont parfois des chants métalliques, des mouches qu’un fruit attire en nombre, des insectes nocturnes qui s’agglomèrent autour de la moindre torche allumée. Il y avait le son des rivières courantes et celui des eaux stagnantes, les silences peuplés. Nous avons, avec Anja Lüdke (monteuse), Pierre Choukroun (monteur son) puis Eric Tisserand (mixeur), reconstitué tous ces climats sonores. Le son est la troisième dimension de l’image, c’est l’élément qui la sculpte. C’est un climat construit comme une musique très subtile dans laquelle le spectateur doit baigner, avec plaisir. Et si c’est réussi, personne n’a conscience du travail, le son paraît « naturel », bien qu’il ne le soit pas. »

Pari gagné : Le Chemin est avant tout –et tant mieux- une expérience sensorielle : luminosité des plans, nature luxuriante, bande-son de sa faune et importance des regards et des silences. Une aventure minimale dans sa narration et infinie dans sa portée, qu’il faut vivre et non raconter.

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