Vittorio & Paolo Taviani – « Contes italiens »

A voir également sur le site : l’interview de Paolo Taviani sur Contes italiens, réalisée par Olivier Rossignot et Enrique Seknadje.

Les temps sont durs et étouffants. Saluons la sortie des Contes Italiens – Merveilleux Boccace, pour la traduction du titre italien en français, réalisé(s) par ces peintres du septième art que sont Paolo et Vittorio Taviani, qui nous apportent un ballon d’oxygène poético-filmique. Contes italiens est une œuvre relativement sereine. Un pré carré verdoyant, une oasis d’amour dans le chaos noir du monde réel ouvert à toutes les intrusions malveillantes, dans le désert des sentiments actuel.

Le Décaméron de Jean Boccace, qu’adaptent les auteurs de César doit mourir en ce nouveau film, se déroule, comme le titre l’indique, sur – environ – dix journées. Sept jeunes filles et trois jeunes hommes fuient la peste qui sévit à Florence, se réfugiant dans une campagne édénique pour se conter des histoires qui leur permettent d’échapper un temps à la sordide réalité qui les submerge. Dix histoires par jour. Cent histoires en tout, donc. Concernant l’ouvrage, on parle généralement de « nouvelles ».

La Peste Noire a ravagé l’Italie en 1348. À Florence, on considère que 80 % de la population pourrait avoir été décimée. Boccace à composé son récit en toscan entre 1349 et 1351- ou 1353, selon les sources.

Les frères Taviani ont sélectionné cinq histoires pour leur film. « Catalina », quatrième nouvelle de la dixième journée. « Calandrino e l’elitropia » (« Calandrino et l’héliotrope »), troisième nouvelle de la huitième journée. « Ghismunda », première nouvelle de la quatrième journée. « La badessa » (« L’Abbesse »), deuxième nouvelle de la neuvième journée. « Federico degli Alberighi » (« Frédéric Alberghi »), neuvième nouvelle de la cinquième journée ».

Ils choisissent, et sont en cela fidèles à l’esprit boccacien, de mettre en lumière le caractère merveilleux de ces récits, leur fonction esthético-thérapeutique, et aussi ceux des splendides paysages toscans qui servent de décor à tous les niveaux narratifs, en peignant d’abord le contexte atroce qui pousse les jeunes gens à chercher un provisoire refuge à la campagne : l’épidémie qui s’est installée à Florence et la violence des relations humaines qu’elle provoque. Les Taviani n’adoptent certes pas le style quasi clinique de l’écrivain, qui décrivait en sa présentation la façon dont la maladie s’emparait des corps et les abîmait, mais ils sélectionnent quelques éléments forts : les porcs qui sont contaminés, les fleurs dont le parfum éloigne un tant soit peu l’odeur pestilentielle qui a envahi la cité… Ils ajoutent quelques autres éléments tout aussi marquants et parlants : l’homme qui se suicide du haut d’une tour, celui qui se laisse enterrer vivant avec ceux des siens qui ont été emportés par la maladie – laissant seuls ses proches encore épargnés. Ou encore, celui vêtu de noir qui sème la terreur par ses provocations. La musique sonne comme le glas. Le rouge sang domine et se répand. Le regard-caméra innocent d’un enfant témoigne, interroge et dénonce.

Les jeunes protagonistes refusent de « compter les morts », de céder au désespoir, de se laisser jeter dans le vide de la solitude par leurs concitoyens apeurés et agressifs, de participer à l’oeuvre au noir qui gangrène l’espèce humaine et la pousse à sa perte. Ils veulent jouir de quelques heures de bonheur pour oublier l’enfer du quotidien – ce qu’ils ne réussiront pas complètement à faire, conscience oblige -, pour se reposer et oublier momentanément le présent et le concret. Pour vivre leur jeunesse faite d’amour, de candeur, de mignons secrets et d’énergie jolie.
Il s’agit au minimum de reprendre des forces, au maximum de se purger des maux et des vices de leur temps – que l’on pense à la pluie finale.

Les histoires véhiculent l’Amour, ses possibles puissance et pérennité. La bonté, l’humour et la taquinerie, la saine naïveté, la nécessaire raison. Elles sont le chemin par lequel passent l’évasion vitale, la rébellion fertile, la compréhension de ce qui est bien, bon et beau. Elles représentent la liberté que l’imagination, le rêve et l’illusion, l’art permettent de trouver et saisir, et la volonté heureuse de briser les barreaux de la prison du réel grâce à la force de l’esprit. Et le Cinéma est concerné, bien sûr, puisque ce sont les Taviani qui adaptent Boccace, et qu’ils nous parlent aussi, c’est une évidence, d’Aujourd’hui. Mis en abîme, ces récits tentent, à leur humble niveau, symboliquement, d’éviter que l’abîme du néant n’engloutisse l’humanité.

Les auteurs de n’ont pas cherché à démarquer Pasolini – qui a réalisé Le Décaméron en 1971, le premier volet d’une trilogie dite significativement de la vie –, ils ont manifestement voulu s’en démarquer. En laissant de côté la paillardise, la grivoise vulgarité populaire, la satire féroce, la représentation directe des corps nus, des actes charnels, en privilégiant les nobles sentiments, la courtoisie et la décence, la suggestion vaguement érotique, peut-être ratent-ils quelque chose d’essentiel chez Boccace, quelque chose qu’avait bien perçu l’auteur des Contes de Canterbury. Peut-être ont-ils tort de croire que le combat pour la sexualité n’est plus d’actualité, comme il l’était pour Pasolini et dans les années soixante et soixante-dix… Mais ils se sont appropriés les Nouvelles en toute liberté et en leur nom, et ont réussi une épure romantique dont les dimensions picturales et théâtrales n’empêchent pas à la la fraicheur et à la spontanéité des corps et des visages, à la splendeur ouverte de la nature toscane de s’épanouir à l’écran.

Par ses images et le travail effectué sur la lumière et les éclairages – les scènes nocturnes avec bougies sont fascinantes – ; par son style homogène, même si le rythme est parfois haché et parfois coulé ; par les thématiques vénérables ci-dessus évoquées ; par la beauté prégnante des protagonistes, et notamment des femmes qui ont le beau rôle en ces contes, aussi bien chez Boccace que chez les Taviani… ceux-ci signent, non pas, loin de là, leur meilleur film, mais une œuvre qui rappelle avec bonheur quelques-unes de leurs plus grandes réussites : Le Pré (1979), KaosContes siciliens – (1984)…

 

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A propos de Enrique SEKNADJE

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