Ce premier film intriguait par ses enjeux ambitieux et sa volonté de casser la frontière poreuse entre rêve et réalité, quotidien et fantasme, il n’y arrive que partiellement. Plus un fantasme de grand film qu’un grand film sur le fantasme.  Soit, Camille, jeune écrivain, admise à la prestigieuse Villa Médicis où elle s‘installe avec son mari, romancier reconnu et leur fils. Elle y croise la fascinante Axèle, photographe, qui a intégré la Villa en menaçant de se suicider devant le directeur. Les deux femmes sympathisent. Bientôt, Axèlle essaye d’insuffler sa liberté à Camille, phagocytée par un mari jaloux. Les fantômes de la Villa Médicis sont aux affuts, ainsi que la part d’ombre de Camille…

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Planter toute son intrigue dans un cadre de rêve et de prestige, telle la Villa Médicis est une très bonne idée initiale, une première cinématographique. Y installer une petite galerie d’artistes singuliers, voire gentiment dysfonctionnels, également. Clotilde Hesme (alias Camille) est formidable comme d’habitude, assurant colonne vertébrale et épaisseur à un personnage qui aurait été probablement esquissé sans sa partition. Jenna Thiam apporte ce qu’il faut de flamme à ce rôle casse-gueule d’héroïne, admirée plus qu’admirable. Les choses se compliquent avec le du mari ombrageux, Tcheky Karyo qui n’a rien à défendre : son personnage est fait d’un bloc, antipathique et buté, stéréotype machiste mâtiné de bohème, dont le discours se résume à : les femmes n’ont pas la nécessité de créer. Quand il avoue à sa concubine : « je t’ai aidée socialement à être ce que tu es », on se demande, comment cette femme à, priori intelligente peut avoir un tel mufle pour compagnon de longue date ? De ne pas croire à leur histoire d’amour n’aide pas être ému par le désamour qui va suivre, mais ce n’est pas là que le bât blesse le plus.
Ce premier film qui a le mérite de l’ambition et un parti pris de départ original, reste à l’étape des intentions, exposant son cahier des charges sans s’en évader. Trop d’effets tuent l’effet. Ainsi, ces passages impromptus au noir et blanc, tentant d’évoquer un vieux film avec grain ; le rêve qui vient maladroitement interférer le quotidien : irruption d’une lune rouge dans la nuit noire, mouvement de tête d’une statue… Ou encore, des annonces prometteuses ( s’inscrit à l’écran « Manteau protecteur de la nuit, les réminiscences et les cauchemars ne font qu’un, on ne peut compter que sur nos rêves pour se souvenir ”) sont déjouées par une mise en scène en-deça. L’envie de poésie ne signifie pas forcément sa transmission. Dont acte.

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Le décor était propice à l’entre deux, aux passages secrets vers l’onirique, et l’Italie, creuset des rêves antiques et des plongées dans l’imaginaire, sous le soleil ou la nuit, est évidemment le pays idéal pour Caroline Deruas. Les crépuscules romains nous guident dans les labyrinthes de l’esprit. L’ombre de Marco Bellocchio n’est donc pas loin, dans ce même désir de passer du quotidien vers l’ailleurs, afin de créer une nouvelle perception, floutée, imperceptible. Difficile de ne pas être séduit par cet amour de l’effacement des contours. Mais L’indomptée ne parvient jamais à trouver le chemin de son propre imaginaire  : faute de concrétiser son désir et de trouver sa griffe, le film laisse apparaître ses sources sans parvenir à donner naissance à son univers. On sait combien l’inquiétante étrangeté et le réalisme fantastique manquent au cinéma français, combien on aimerait le défendre. Mais voilà, Caroline Deruas n’est pas Jean-Claude Brisseau, et le fusionnement n’opère que très rarement. Peu de magie ni d’étincelle, juste des petits moments poétiques glissé,s immergés par la démonstration bavarde, le parisianisme du verbe.  Excepté quelques apparitions un peu ridicules dans un escalier, ou des promenades nocturnes au milieu des jardins bleutés, le magnifique décor de la Villa Médicis n’est qu’un arrière-plan sans âme, dont la cinéaste ne tire aucun mystère. De la même manière, nous étions heureux d’entendre les merveilleuses mélodies de Nicolas Piovani, si chères au cinéma des Frères Taviani, mais elles ne font qu’accentuer cette atmosphère de couleur locale, cette vision d’une élite française privilégiée, venant poser sa valise sous le soleil de l’Italie et s’y complaire. Il est toujours fascinant de voir les vertiges de la création vampiriser la réalité, avec cette apparition de créatures dont on ne sait plus très bien si elles sont figures de chair ou êtres de fiction, doubles de l’écrivain. Mais le trouble s’évanouit trop souvent dans la faiblesse de l’illustration. On espérait l’hypnose, on a trouvé l’ennui.
Des promesses de mystère qui se retournent contre elles-mêmes : ainsi, le réveil des fantômes fameux de la Villa devient involontairement comique. Malgré une belle idée scénaristique : évoquer Lucienne Heuvelmans, la première pensionnaire de la Villa Médicis, quand le spectre de Messaline se promène l’air de rien dans le parc, le rire n’est pas loin. L’Indomptée devient alors une relecture poseuse de la pub Schweppes : « Expect the Unexpected ». A force de surgir tous les trois plans, l’Imprévu finit par être fatiguant et surtout fatigué.

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Dommage car le décor choisi est idéal par sa beauté et le romanesque qu’il est propice à déclencher, les deux actrices impeccables et les intentions plus que louables. En ce sens, L’Indomptée propose une expérience instructive : le décalage entre des objectifs élevés et un développement qui ne tient pas la route. Au moins, un premier film qui a envie de sortir des sentiers battus, quitte à se fourvoyer quelque peu en route.

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