A propos de « Hedi, un vent de liberté » de Mohamed Ben Attia

Mohamed Ben Attia plante le décor de son film Hedi, un vent de liberté (doublement primé au festival de Berlin) dans la ville conservatrice de Kairouan en Tunisie au sein d’une famille bourgeoise. C’est alors l’occasion de brosser à petits traits le traditionalisme prégnant dans ce milieu social. Car dans ces grandes familles, encore plus qu’ailleurs, nulle possibilité de déroger aux règles ancestrales dictées par la société ; arrivés à un certain âge les jeunes doivent se marier et épouser un partenaire de leur classe suivant les rites et les traditions en vigueur. C’est le sort réservé à Hedi qui s’apprête à épouser une jeune fille bien sous tout rapport, et qui semble s’en accommoder. Tous les détails pratiques sont orchestrés par le grand frère et la mère, merveilleusement interprétée par Sabah Bouzouita, donnant ici l’image d’un matriarcat, qui sous couvert de bienveillance, se révèle aussi autoritaire que dévorant.

Mais le jeune homme fait, entre temps, la rencontre de Rym, animatrice dans l’hôtel où il séjourne pour son travail. Rayonnante, pétillante, libre et épanouie, cette dernière se présente comme l’antithèse de sa promise et fait entrevoir à Hedi la lumière d’un autre champ de possibles, celui d’une vie indépendante, animée par ses propres désirs. C’est à ce seul moment où, mû par la vaillance que lui procure son nouvel amour qu’il ose enfin, dans un élan salvateur, crier à sa mère le sentiment de brimade et de frustration qui l’anime.

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Le film dessine ainsi en arrière-plan (au détour d’une conversation entre Rym et sa collègue) une Tunisie post-révolutionnaire à travers la situation catastrophique du tourisme avec ces grands complexes hôteliers désertés par les touristes d’une part, et dresse d’autre part une sorte d’état des lieux de ce qui reste à accomplir : la libération de l’individu du joug familial et sociétal. Car tous les personnages semblent ici pris au jeu d’un formalisme régi par une schizophrénie consentie : les deux jeunes futurs mariés qui apparaissent comme deux pantins exécutant la partition qui a été tracée pour eux, le frère aîné qui finit par révéler que s’il est parti à l’étranger c’est pour pouvoir vivre sa relation avec la femme qu’il aime ; et enfin la mère elle-même, sillonnant allègrement entre port ou non du foulard –sorte de convention sociale imposée par son statut et son rang- et gestes libérés et occidentalisés comme le fait de fumer ou encore de s’exprimer en français.

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Ces débuts de séquence répétitives où l’on aperçoit Hedi au volant de sa voiture refaisant inlassablement la route entre Kairouan, son lieu de résidence et Mahdia, son lieu de travail,apparaissent dès lors comme une métaphore de l’immuable qui a été tracé pour lui ; tandis que les jeux sur le flou et l’absence de mise au point laissent apparaître en filigrane, un autre ailleurs possible : celui incarné par le personnage de Rym et sa capacité à vivre sans filets de sécurité. Pris en étau entre son désir d’explorer des chemins de traverse et son besoin d’être rassuré par des certitudes, Hedi nous emporte vers les méandres d’une jeune démocratie tunisienne en plein balbutiement chancelant entre tradition et modernité. Les profonds moments de silence qui habitent le film sont autant d’instants de méditation et d’interrogations du personnage principal sur sa vie et ses désirs, qu’une réflexion engagée sur la société tunisienne.

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A propos de Emna Mrabet

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